Sylvin Lacroix, le résilient de Timmins
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
TIMMINS – Impossible de parler de Timmins sans évoquer le nom de Sylvin Lacroix, Franco-Ontarien d’adoption, qui a mené de front plusieurs luttes importantes pour la communauté francophone de cette ville du Nord. Le fidèle directeur général de l’Alliance de la francophonie de Timmins souhaite encourager la relève et se lance en politique municipale.
« Vous êtes de Rouyn-Noranda (Québec). Comment avez-vous vécu votre déménagement vers l’Ontario?
Je restais avec mon oncle et ma tante à Rouyn, mais ensuite je suis retourné vivre chez mes parents qui vivaient dans la région de Temagami. Ça a été un ajustement extrêmement difficile, surtout durant les deux premières années en Ontario, en 7e année : la culture, se faire des amis, m’adapter à plusieurs nouvelles situations. Je parlais pas l’anglais, donc c’était pas facile.
Comment vous retrouvez-vous ensuite à Timmins?
J’ai déménagé à Timmins pour étudier la technique en éducation spécialisée et en service social au Collège Northern qui était bilingue à l’époque. Ça, c’est encore drôle, parce que dans les derniers mois mon éducation secondaire j’avais été refusé par deux collèges et c’est ma conseillère d’orientation, qui était une amie, qui me dit : « Pourquoi tu ne vas pas au Collège Northern en technique de service social? », C’est de même que ça a commencé parce qu’elle faisait partie du comité francophone et puis c’est comme ça que je me suis retrouvé à Timmins. C’était vraiment pas une intention. J’y suis arrivé en 1988, j’étais ici pour deux ans et, 34 ans plus tard, j’y suis encore!
Quel a été votre premier pas dans l’implication pour la francophonie?
Sitôt que je suis arrivé au Collège Northern, j’ai fait partie du comité d’association francophone. Et après en 1989, j’ai été élu membre du conseil d’administration de l’ACFO Timmins et j’y suis resté vraiment longtemps avant de devenir employé là-bas.
On vous doit en grande partie l’aboutissement d’un projet de 30 ans : l’ouverture du centre de santé communautaire de Timmins en 2019. Parlez-nous de ce combat…
J’étais là au départ dans les balbutiements oui. Ensuite, dans les 20-25 dernières années, Pierre Bélanger, père fondateur du projet, et moi avons vraiment fait avancer le dossier. Mais on s’est fait rire de nous autres. On s’est fait pointer du doigt à cause de nos positions politiques. Les gens disaient que ça n’arriverait jamais. On nous a mis des bâtons dans les roues. On a fait plein de présentations, rencontré des dizaines de ministres, demandé plein d’études. La profession médicale était contre nous aussi. J’avais fait une entrevue avec Radio-Canada juste après qu’on m’ait interdit de participer à la deuxième étape d’un projet pour parler des besoins de santé pour les francophones de Timmins. Et là, j’ai sorti la bombe. J’ai dit que le médecin était contre parce que dans son équipe de santé voulait avoir l’argent pour eux et ça s’était prouvé. Je porte encore des bleus un peu partout à cause de ce combat-là, parce que j’ai reçu des coups dans le dos et des menaces de poursuite.
Qu’est-ce qui a permis de débloquer le dossier?
Ce qui a vraiment aidé, c’est dans les quatre dernières années, quand un avocat nous a aidés à aller chercher des sous. On a vu un petit changement parce qu’on commençait à avoir des preuves constitutionnelles qu’on avait le droit d’avoir accès à des services de santé en français. Ça s’est débloqué et le gouvernement libéral de l’époque a annoncé un financement pour le centre, une semaine avant le déclenchement de la campagne électorale en 2018. Ils sentaient que c’était la fin et on sentait qu’ils faisaient ça pour chercher des votes francophones. Donc oui, c’était un long combat mais, quand j’y repense, je crois que j’aurai dû le mener différemment. Je regrette profondément d’avoir attaqué le médecin à l’époque. Ce n’était pas personnel, mais je l’ai fait sous le coup de l’émotion. J’étais trop impliqué dans ma lutte pour la communauté.
Comment êtes-vous devenu directeur de la francophonie de Timmins?
À l’époque, les gens qui voulaient se lancer comme membre dans le conseil d’administration de l’Alliance, ça ne courait pas les rues. C’est pour ça que j’ai pu y rentrer dès mon arrivée à Timmins. En 30 ans de travail à l’Alliance, on a rarement eu un conseil complet, même si j’ai fait beaucoup de tordage de bras. Mon entrée a été accidentelle. J’ai montré un intérêt et pouf! j’étais au conseil, puis très rapidement à la vice-présidence et ensuite à la direction générale.
L’ACFO (Alliance culturelle francophone de l’Ontario) est devenue l’Alliance de la francophonie de Timmins sous votre leadership en 2006. Pourquoi avoir changé de nom?
C’était la même année que l’ACFO provinciale disparaissait. Comment pouvait-on rester l’ACFO Timmins quand il n’y a plus d’ACFO provinciale? Je trouvais qu’il y avait une déconnexion. On devait chercher un nom plus rassembleur et plus local. Ça a été toute une discussion parce qu’à l’époque il y avait l’Alliance conservatrice que les gens détestaient, mais j’ai dû expliquer que nous on faisait pas de politique. C’est pour ça que je trouvais que l’Alliance était un nom qui pourrait limiter les divisions qui existaient à l’époque entre les différents organismes et inciter les bénévoles à venir s’impliquer. Au début, ça a marché, mais aujourd’hui tout le monde a de la misère à se trouver des bénévoles.
Vous étiez aussi travailleur social pendant très longtemps. Qu’en retenez-vous?
Oui, j’ai été technicien en service social pendant 23 ans. C’était une expérience incroyable, j’ai énormément appris, sur moi-même, sur les communautés. Je travaillais pour un bon conseil scolaire, c’était des années qui m’ont beaucoup apporté. L’an dernier, j’ai pris la décision que c’était le temps de partir. J’avais plus le plaisir de faire la job et c’est quand même une job qui n’est pas facile!
Le Nord se vide de ses jeunes, et des mairies et conseils ont vu un nombre record de candidats élus par acclamation faute de candidature. Comment ça se manifeste à Timmins?
Oui, absolument! À Timmins, je pense qu’on a encore perdu mille personnes. On est sous les 42 000. La population francophone a baissé. C qui maintient l’économie de la ville, c’est l’arrivée des Indiens de l’est, des élèves de l’Inde. On a un gros problème de pénurie de main-d’œuvre. Quasiment tous les commerces se cherchent des employés. On a de grosses difficultés au niveau de l’économie francophone puis pas parce qu’on est pas productifs, mais parce qu’on a personne de disponible. Alors on perd nos jeunes. Souvent la raison pour laquelle ils partent et ne reviennent pas est liée à la culture, la possibilité de faire ci, de faire ça. Mais la chose qu’il faut voir qu’il faut expliquer c’est qu’on a plein de choses à Timmins. Il faut aussi pouvoir leur offrir des incitatifs, et ça, c’est le rôle des gouvernements.
Selon vous, quelle est la solution pour dynamiser le Nord?
C’est l’immigration. Je l’ai souvent dit, mais la communauté francophone de l’Ontario sera préservée par l’immigration francophone, particulièrement celle qui vient du Nord de l’Afrique. L’économie de Timmins sera sauvée, mais par l’immigration générale. Et je pense que c’est possible d’aller chercher des talents. C’est vraiment ça le rôle de la communauté francophone. On a besoin de sang jeune. C’est pour ça que je veux laisser la place à la relève pour l’Alliance.
On sent que vous en parlez avec conviction. Est-ce que c’est ça qui vous a poussé à vous présenter pour la première fois comme conseiller pour les élections municipales?
Oui et ce que les gens ne comprennent pas c’est que la politique municipale est la politique qui affecte le plus la vie des gens. Puis, il y a des difficultés à Timmins présentement et je ne vois pas les solutions. Le monde chiale, mais les solutions ne sont pas là. Je n’ai pas de baguette magique, mais je pense qu’on doit regarder en face la situation de Timmins au niveau économique. On commence à avoir beaucoup de sans-abri à Timmins. On a des maisons abandonnées, des poubelles sales dans les rues. Je veux pouvoir travailler avec les autres conseillers et qu’on fasse quelque chose pour vrai.
Et avez-vous d’autres ambitions, puisque vous êtes visiblement très polyvalent?
Je suis un maniaque de l’Histoire, particulièrement celle de la Seconde Guerre mondiale. C’est certain que dans mes vieux jours, je voudrai aller chercher une maîtrise parce qu’on en parle de moins en moins. Au mois de novembre, je vais chercher mes licences de camionneur. Je veux faire ça depuis l’âge de 18 ans. À 53 ans, je ne suis dis que c’était le temps! Une autre chose que je veux absolument faire : visiter les cimetières de guerre canadiens, remercier ces gens-là qui ont fait du Canada ce qu’il est aujourd’hui. »
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LES DATES-CLÉS DE SYLVIN LACROIX :
1968 : Naissance à Rouyn-Noranda (Québec).
1983 : Déménagement en Ontario.
1995 : Devient directeur général de l’Alliance de la francophonie de Timmins (ex-ACFO).
2018 : Annonce d’un investissement majeur du gouvernement libéral marquant l’aboutissement d’un combat de plus de 30 ans pour Sylvin Lacroix.
2022 : Candidat pour le poste de conseiller du quartier de Schumacher aux élections municipales.
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada