Tarifs douaniers : Cornwall inquiète, mais mobilisée

À Cornwall, à seulement dix minutes de la frontière américaine, l’imposition imminente de tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens aux États-Unis, prévue dès le 4 mars, suscite de vives inquiétudes.
Justin Towndale, maire de cette ville de près de 48 000 habitants, dont environ un tiers sont francophones, relaie les préoccupations du milieu des affaires.
« Nous sommes très inquiets. Notre tissu économique repose sur plusieurs entreprises qui fabriquent des produits destinés à l’exportation vers les États-Unis. De plus, certaines entreprises américaines installées à Cornwall pourraient choisir de rapatrier leurs activités de fabrication vers leurs installations aux États-Unis », souligne le maire de cette ville du Sud-est ontarien.
Selon lui, des centaines d’emplois sont menacés dans plusieurs secteurs clés, notamment les textiles techniques pour l’industrie automobile, la biscuiterie, la transformation alimentaire et la métallurgie.
Cornwall abrite également de nombreuses grandes enseignes spécialisées dans l’entreposage, un secteur fortement dépendant du commerce transfrontalier et employant une main-d’œuvre conséquente, précise la sénatrice et ancienne mairesse de Cornwall, Bernadette Clément.

« Si les chaînes de distribution sont perturbées, cela entraînera d’importantes pertes d’emplois touchant l’ensemble de la population, qu’il s’agisse des francophones, des nouveaux arrivants ou des résidents de longue date », prévient l’ancienne mairesse, qui a également exercé trois mandats comme conseillère municipale.
Après l’incertitude, la riposte
Une enquête menée par la Chambre de commerce de Cornwall et sa région révèle que l’inquiétude est palpable au sein du milieu entrepreneurial : 41 % des entreprises expriment une préoccupation modérée et 22 % se disent extrêmement préoccupées. La majorité des répondants sont des petites et moyennes entreprises (PME), particulièrement vulnérables face aux incertitudes économiques.
Réalisée en janvier, alors que les détails des tarifs demeuraient flous et que les gouvernements élaboraient encore leurs réponses, cette enquête a également mis en lumière un manque de préparation : seulement 15 % des entreprises avaient entamé des démarches d’adaptation.
« Depuis, la communauté d’affaires est passée de l’incertitude et du scepticisme à une phase de préparation active et de vigilance accrue », explique Angela Bero, gestionnaire de la Chambre de commerce de Cornwall et de la région.
« Les entreprises élaborent désormais des stratégies pour atténuer l’impact des tarifs, preuve que la situation est prise très au sérieux », ajoute-t-elle.
Pour atténuer l’impact des tarifs, explique Angela Bero, les entreprises de Cornwall envisagent plusieurs stratégies.
Celles-ci incluent la recherche de fournisseurs alternatifs, la réduction des dépenses d’exploitation, la diminution des coûts non essentiels, la renégociation des conditions de paiement avec les fournisseurs et les clients, ainsi que le report des investissements en capital.
Certaines entreprises prévoient également d’augmenter les prix pour les clients ou d’explorer de nouvelles sources de revenus.
De plus, elles cherchent à améliorer leur efficacité en optimisant la gestion des stocks, en augmentant leurs réserves de trésorerie et en reportant certains investissements, souligne la Chambre de commerce de Cornwall.
Une mobilisation politique et économique
Face à ces menaces, la mairie de Cornwall a annoncé des mesures pour soutenir les entreprises locales et maintenir des relations transfrontalières solides.
Dans cette optique, le maire Justin Towndale a récemment rencontré Greg Paquin, maire du village de Massena (État de New York), ainsi que Susan Bellor, superviseure municipale de la Ville de Massena.
« Nous avons discuté d’approches collaboratives pour assurer la stabilité et la croissance économique, ainsi que des actions de lobbying à mener auprès des législateurs », indique Justin Towndale.
En tant que membre de l’Alliance des maires frontaliers, il affirme que Cornwall, aux côtés d’autres municipalités canadiennes frontalières, défend « des politiques favorisant un commerce équitable et stable ».
Sécurité aux frontières : un prétexte
L’argument sécuritaire figure également parmi les justifications avancées par l’administration américaine pour imposer ces tarifs.
Le maire de Cornwall reconnaît que la gestion des frontières est une tâche complexe, mais il assure que le Service de police de Cornwall et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) redoublent d’efforts pour lutter contre le trafic d’êtres humains et de drogues.
« La frontière est vaste et notre région est située au bord du fleuve Saint-Laurent. Cependant, chaque pays souverain est responsable de la gestion de ses propres frontières », explique-t-il, rejetant ainsi la volonté américaine de faire peser l’entière responsabilité sur le Canada.
« Les États-Unis disposent de leurs propres services et agences de sécurité pour surveiller leurs frontières. Faire porter le blâme au Canada n’est qu’un prétexte. En réalité, plus de produits illégaux circulent des États-Unis vers le Canada que l’inverse », s’indigne-t-il.
Une juridiction complexe au cœur des tensions
Pour la sénatrice Bernadette Clément, la situation de Cornwall est d’autant plus particulière en raison de sa position géographique unique.
« Cornwall est une ville frontalière, située à la croisée des frontières québécoise et américaine. Aussi, il suffit de traverser un pont pour se retrouver sur le territoire des Mohawks d’Akwesasne. »
Elle rappelle que les enjeux liés au trafic d’êtres humains ne sont pas nouveaux dans la région et souligne la forte présence des forces de l’ordre, qui collaborent étroitement.
« Les résidents de Cornwall ont d’ailleurs remarqué une intensification des patrouilles aériennes avec des hélicoptères survolant régulièrement la frontière », note-t-elle.
Cependant, un autre sujet l’inquiète davantage : « Nous avons entrepris un travail de réconciliation avec nos voisins autochtones, les Mohawks d’Akwesasne, en impliquant les communautés francophones et anglophones. J’ai peur que ce processus soit entravé par l’adversité croissante dans ce contexte de juridiction complexe. »
Coincés entre plusieurs législations, les Mohawks d’Akwesasne subissent directement les conséquences de cette crise.
« Leur territoire chevauche les frontières américaine, canadienne, québécoise et ontarienne. Il est essentiel que leur voix soit entendue dans ce tumulte provoqué par la question des tarifs », conclut-elle.