Temps durs pour les restaurants à Ottawa : « L’hiver sera long »
OTTAWA – Situé en bout de la rue Murray, Chez Lucien fait figure d’institution dans le Marché By à Ottawa. Depuis des années, c’est un lieu de rencontre privilégié pour les francophones, là où les discussions s’animent, et des contrats se signent. Derrière les vitres fumées du commerce, un mystère plane, mais qu’on se rassure, les portes ont bien rouvert en juillet.
« Nous ne pouvions pas rouvrir immédiatement, car nous n’avions pas de terrasse, c’est définitivement un aspect négatif », précise Elsie Daoust, l’une des responsables.
Incapable donc d’accueillir de nouveau les clients début juin au moment de la seconde phase du déconfinement dans la capitale, le resto-bar a dû attendre la phase 3 au mois de juillet, synonyme de réouverture des salles intérieures des restaurants.
Cet après-midi, l’ambiance est calme au moment de notre visite. Les tables sont pour la plupart vides. « Nous faisons le mieux que nous pouvons, mais c’est clair que nous ne reviendrons jamais à la capacité que nous avions avant la COVID. Nous espérons qu’avec le froid et l’automne, les gens seront encouragés à venir plus à l’intérieur. Nous nous apprêtons aussi à bénéficier d’Uber Eats, donc nous espérons que cela va aider pour la vente à emporter. »
Contraint de s’adapter au faible achalandage, Chez Lucien fonctionne aujourd’hui à effectif réduit : un serveur, et un employé aux cuisines, contre le double avant mars.
L’impact de la baisse du tourisme
À quelques centaines de mètres, en plein cœur du Marché By, le défi est le même pour le Moulin de Provence. Depuis sa réouverture le 12 juin, la boulangerie-pâtisserie-café-bistrot a bien changé. Sur le sol, d’imposantes flèches rouges indiquent le chemin à suivre. Pour acheter les croissants ou les fameux « biscuits Obama », une grande barrière de plexiglas sépare les clients des employés.
Claude Bonnet son propriétaire affiche un sourire prudent. Sur les 60 employés, quelque 25 restent au chômage partiel.
« Il faut se rendre à l’évidence, les villes sont vides. Au centre-ville d’Ottawa dans le Marché By, six mois dans l’année, nous vivons du tourisme. Or pour l’instant, on ne peut pas voir de touristes internationaux, et pas de touristes canadiens. Nos clients pour 90 % d’entre eux sont des locaux. »
Pour le propriétaire, cette baisse du tourisme s’ajoute à la rigueur des mesures de distanciation sociale en place.
« Pour nous, au Moulin de Provence, on a eu 30 à 40 % de nos clients habituels, la première semaine de la réouverture, puis 50 à 60 % par la suite. On ne va pas trop s’en plaindre. Financièrement, nous avons bénéficié de l’aide du gouvernement fédéral, mais nous avons un retard de 140 000 $ à payer pour notre loyer. »
Située dans une zone réservée aux bureaux de la fonction publique, la seconde succursale du Moulin de Provence sur la rue Metcafle souffre.
« En ce moment, la fréquentation des bureaux, c’est zéro. Cela explique que pour ce magasin, nous ne sommes qu’à 20 % du chiffre d’affaires habituel. »
Pour les semaines à venir, le patron du Moulin de Provence regardera tout d’abord vers le ciel, ou plutôt les prévisions météo.
« On vit en ce moment grâce à nos terrasses, et les mesures de distanciation physique font que l’on ne peut pas faire rentrer tous les gens à l’intérieur. Les pluies fortes des derniers jours nous ont fait du tort. L’hiver risque d’être long. »
La date du 23 septembre est d’ores et déjà cochée. « C’est le jour du discours du Trône de Justin Trudeau. On verra à ce moment si on a plus de support. »
L’exemple d’un restaurant encore fermé
Loin du trafic du Marché By et des foules du centre-ville, le restaurant Signatures, dans le manoir de l’école de cuisine Le Cordon Bleu, jouit d’un cadre privilégié. Sa cour intérieure donne directement sur le parc Strathcona bordé par la rivière Rideau. Chaque jour, ils sont des centaines d’Ottaviens à se rendre sur les pelouses du parc profiter de l’été.
Mais le restaurant doit encore patienter s’il veut accueillir des clients.
« S’il y a eu des pertes? Ça, c’est sûr », explique Nathalie Gelineau, la directrice marketing du Cordon Bleu. « Notre situation est particulière. »
Et pour cause, le restaurant Signatures partage les locaux du manoir avec les élèves du Cordon Bleu. Ce casse-tête sanitaire incite à la prudence des propriétaires.
« Pour les étudiants, il y a beaucoup de démarches et de protocoles. On prend leur température chaque jour, ils doivent remplir un questionnaire. Aussi, l’entrée du restaurant Signatures est devenue le passage principal pour eux. Dans ces conditions, ce n’était pas prudent d’accueillir des clients. Ça aurait été beaucoup de personnes dans un même lieu. »
Mme Gelineau espère une réouverture en octobre, à condition qu’il n’y ait pas de seconde vague. « On verra si les choses restent comme maintenant. »
« Un moment j’ai cru que j’allais fermer »
À Vanier de l’autre côté de la rivière Rideau, on attend aussi des jours meilleurs.
Il y a un an quasiment jour pour jour, Jimmy Bizimana ouvrait les portes de son commerce Simba Restaurant and Lounge sur l’avenue MacArthur. Le projet d’une vie.
L’arrivée soudaine de la COVID-19 a freiné la mise en route du restaurant, spécialisé dans les plats burundais, pays d’origine de M. Bizimana, mais aussi la cuisine d’Afrique de l’Ouest.
« Un moment, j’ai cru que j’allais fermer, il y avait trop d’incertitude », confie le propriétaire. « Je suis un optimiste de nature, donc j’ai décidé de poursuivre. Aujourd’hui, mon chiffre d’affaires est à 50 % de celui des premiers mois. Ça reste très difficile. »
L’emplacement n’aide pas.
« Avant la COVID-19, j’avais une clientèle issue des bureaux gouvernementaux dans Vanier qui venait après les heures du travail prendre une assiette. Maintenant, c’est plus mort. Heureusement, les fins de semaine, il y a une présence forte de la communauté ouest-africaine. Notre restaurant est un lieu de rassemblement pour cette communauté, mais nous ne pouvons pas encore danser, c’est frustrant. »
Côté finance, M. Bizimana se démène pour joindre les deux bouts. « Nous avons eu une aide du gouvernement fédéral de 40 000 $, mais il va falloir la rembourser au bout d’un moment, ça ne sera pas facile. »
Quant à l’hypothèse sérieuse de la seconde vague selon les virologues, bien que le nombre de cas quotidiens en Ontario soit stabilisé, M. Bizimana préfère ne pas y penser.
« Un chuchotement en parle, mais ça serait une catastrophe. »