Toronto tourne le dos aux municipalités franco-ontariennes
TORONTO – Malgré plusieurs signaux positifs en 2019 et des discours officiels pro-francophonie en 2020, Toronto n’est pas revenue dans le cercle des villes franco-ontariennes. Une attitude qui déçoit plusieurs maires de la province, qui n’ont pu que constater son absence lors du congrès virtuel de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO), cette semaine.
« Tout le monde est déçu de ne pas avoir vu Toronto à la table », confie Roger Sigouin, le maire de Hearst, à l’issue des deux jours d’échanges et de discussions qui ont eu lieu mercredi et jeudi. « C’est un joueur clé qui, s’il veut respecter les francophones dans leur communauté, doit venir à l’AFMO pour le démontrer. »
Sa consœur de Moonbeam, Nicole Fortier-Levesque, pense que Toronto est en train de pénaliser ses communautés en agissant ainsi : réintégrer l’AFMO « aurait un fort impact auprès des résidents francophones et francophiles parce que ces gens-là, c’est dans leur droit de recevoir des services en français ».
Depuis son retrait voté en 2018, après 28 ans d’implication, Toronto laissait entendre, dans ses contacts tissés avec l’association dirigée par Marc Chénier, un retour en 2020. En vain. La métropole qui ambitionne d’être une alliée de la francophonie n’a pas repris son adhésion.
« Lorsqu’on a approché John Tory en mars 2019, il a dit : pas de problème, on va réintégrer », se rappelle M. Chénier.
Plus récemment, le maire s’est aussi montré très réceptif à faire progresser les services en français lors d’une conférence virtuelle avec les Franco-Torontois.
M. Chénier est revenu plusieurs fois à la charge, notamment auprès de Jennifer McKelvie, unique conseillère municipale francophone et présidente du Comité consultatif francophone de Toronto. Elle s’est déclarée « très ouverte à la participation de la ville », certifie-t-il. Un an plus tard, rien.
Un gros acteur à l’écart de la francophonie ontarienne
« L’adhésion à l’AFMO n’est pas incluse dans le budget 2020 », affirme Alex Burke, chargé des relations avec les médias à la ville de Toronto. Pourtant, une mention dans un document budgétaire indique l’inverse.
L’équipe de communication du maire Tory rappelle que si Toronto a quitté le navire des municipalités franco-ontariennes, c’est avant tout la conséquence de la loi Ford de 2018 réduisant de moitié le nombre de conseillers et donc, par ricochet, le nombre de comités où siéger.
« Cette décision a été prise sur la base d’une recommandation présentée par le personnel municipal sur la gestion de la taille réduite du conseil municipal », recontextualise l’attaché de presse du maire, Lawvin Hadisi.
M. Chénier attribue de surcroît le désengagement de la ville au passage à vide de l’AFMO qui a connu, il y a trois ans, de graves difficultés financières.
« Ils se sont distancés », relate le directeur général pour qui le décès de la chef de cabinet de Jim Karygiannis, mémoire corporative de l’association et membre de plusieurs comités, a creusé un peu plus le fossé.
Privée d’une cotisation d’environ 20 000 $, soit le cinquième de son budget global, l’AFMO ne serait pas en mesure de développer des projets d’une envergure optimale, d’autant que, sans le gros acteur qu’est Toronto, les bailleurs de fonds seraient moins généreux, croient plusieurs membres de l’organisation.
Services en français dans les tribunaux : un projet bloqué pour une cotisation non réglée
M. Sigouin, qui est aussi le président de l’association, pense qu’en ignorant l’AFMO, la Ville fait une erreur qui porte préjudice aux Franco-Torontois dans le développement des services en français. Il prend en exemple le dossier de la justice en français.
« On travaille actuellement sur la justice à Toronto. On collabore bien, mais on ne peut aller de l’avant tant qu’ils n’ont pas payé leur cotisation. Ce qui est vraiment triste, c’est qu’il y a un bureaucrate quelque part qui veut juste ne pas faire avancer le dossier. »
« Il y a un bureaucrate quelque part qui veut juste ne pas faire avancer le dossier » – Roger Sigouin, président de l’AFMO
Dans les faits, les progrès de la ville en matière de services en français, ces dernières années, sont minces. Interrogé par ONFR+, le service de communication met en avant le soutien financier apporté dans le domaine culturel francophone.
Au niveau économique, Digital Main Street et ShopHERE, des programmes d’aide aux entreprises offrent, par exemple, du soutien en français.
« La Ville a également soutenu les entreprises francophones tout au long de la pandémie », affirme M. Lawvin, notamment avec la ligne d’assistance BusinessTO et le centre de support BusinessTO, disponibles en français.
Pour le reste, le porte-parole s’en remet au Comité consultatif francophone de Toronto qui « garantit que la ville continue de donner la priorité aux affaires francophones et que les services en français sont offerts aux résidents ».
Selon une source interne au sein du comité, l’adhésion à l’AFMO pourrait être mise sur la table lors de la prochaine session.