« Torontoise », « Pas à la hauteur de McGill », l’Université de l’Ontario français répond aux critiques
TORONTO – L’Université de l’Ontario français, première institution universitaire francophone entièrement indépendante dans la province, verra le jour en septembre 2021. Sa présidente, Dyane Adam, croit que les comparaisons entre le nouvel établissement et les institutions anglophones québécoises sont bancales. Et elle défend la décision de créer un campus unique, à Toronto.
Installée à Toronto, sur les berges du lac Ontario, la nouvelle université francophone comptera une population étudiante de 1 500 personnes, d’ici 2027.
« 1 500 places seulement. En 2018, il y avait 79 184 étudiants inscrits à McGill, Concordia et Bishop’s au Québec. 53 fois plus que la capacité de l’Université de l’Ontario français », a réagi le chroniqueur intéressé aux enjeux linguistiques, Frédéric Lacroix, en marge du dévoilement du futur campus de l’institution franco-torontoise.
Un sentiment partagé par des dizaines d’internautes et observateurs privilégiés qui ressortent régulièrement le même argument sur les réseaux sociaux.
« Allons voir à la naissance de McGill combien ils avaient d’étudiants! », réplique la présidente du conseil d’administration de l’Université de l’Ontario français, Dyane Adam. La comparaison entre son institution en devenir et McGill, créée il y a près de 200 ans, est bancale, dit-elle.
« Je ne veux pas être McGill. Nous n’avons pas la même mission. Nous, on est en Ontario français, dans un contexte anglophone majoritaire. Les anglophones minoritaires au Québec ne sont pas minoritaires au pays », lance l’ancienne commissaire aux langues officielles du Canada.
Vérification faite, McGill comptait seulement une poignée d’étudiants à ses débuts. « Entre 1834 et 1856, il n’y avait pas plus de 20 étudiants, surtout en médecine et en art », révèle Katherine Gombay, porte-parole de l’institution montréalaise. En 1868, la population étudiante de McGill atteint le chiffre de 312 personnes. En 1906, elle atteint 1 383 étudiants.
« Et est-ce que le fait d’être gros est nécessairement bon? », lance Dyane Adam.
« Ce qui m’importe est d’avoir une université pertinente, agile, qui répond aux besoins de notre société. Qu’on se positionne face aux autres », précise-t-elle.
C’est une chance de pouvoir redéfinir la manière d’enseigner à l’université et de pouvoir briser les carcans dans lesquels les autres universités sont prisonnières, en raison des traditions, affirme Dyane Adam : « Le but est de se donner des objectifs réalistes et l’Université va grandir ».
Une réponse efficace à l’assimilation?
Depuis dix ans, les représentants de la communauté franco-ontarienne ont martelé le besoin d’une institution au « mandat provincial ».
« L’Université de l’Ontario français devait être la structure parapluie assurant la gouvernance de l’ensemble des programmes d’études universitaires en français de l’Ontario », écrivait en janvier le chroniqueur Pierre Allard.
« Se trouvera-t-il quelqu’un, au sein de la collectivité franco-ontarienne ou dans les médias, pour remettre les pendules à l’heure? Si on ne le fait pas, et ce, de façon énergique, la population étudiante franco-ontarienne sera condamnée pour longtemps (pour toujours?) à fréquenter des institutions bilingues anglicisantes comme l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne… », écrivait-il.
« On a des rêves et c’est légitime », lance Dyane Adam.
« Mais d’avoir tous les programmes rapatriés chez-nous, légalement, c’est un enjeu. Pas un gouvernement ne peut faire ça. Bien qu’elles soient régies par des lois provinciales, les universités sont autonomes. Dans le contexte légal, une université ne peut pas se faire enlever des mandats », dit-elle.
« Ça va arriver, seulement s’il y a des raisons bien particulières. Par exemple, si une université ne voulait plus servir les francophones », affirme la présidente de l’UOF.
Si l’Université de l’Ontario français hérite d’un mandat provincial, sa priorité est de servir le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, où il y a un manque de programmes en français, martèle Dyane Adam.
« Nous sommes dans un endroit névralgique pour le futur de la francophonie en Ontario. On va prendre le temps de servir notre région. La priorité est ici, mais on n’exclut rien ensuite », dit-elle.
Initialement, une série de partenariats devaient voir le jour avec d’autres institutions universitaires ontariennes. La crise linguistique et l’annonce de l’annulation du projet, en novembre 2018, ont fait dérailler le processus, admet Mme Adam. À quelques exceptions près.
Trois programmes seront offerts à l’Université de Hearst
Trois des quatre programmes phares de l’Université de l’Ontario français seront offerts à l’Université de Hearst, en vertu d’une nouvelle entente signée le mardi 25 février.
« Les baccalauréats économie mondialisée, environnements urbains et cultures numériques seront offerts chez-nous sur nos campus. Alors que l’Université de Hearst ira offrir son programme d’administration des affaires, en 2021, puis celui de psychologie, en 2022, à l’Université de l’Ontario français à Toronto », révèle Luc Bussières, recteur de l’Université de Hearst.
N’est-il pas surprenant de voir l’Université de Hearst venir offrir des programmes à Toronto, située à 1 000 kilomètres de son campus. « Soit on se délocalise, soit on délocalise les gens. C’est peut-être plus facile l’un que l’autre », lâche M. Bussières.
Il balaie du revers de la main les rumeurs voulant que l’Université de Hearst devienne le campus nordique de l’Université de l’Ontario français.
« On a toujours dit que notre gouvernance locale était non-négociable. On ne veut pas se faire dire quoi faire et on ne veut pas dire aux autres quoi faire », réplique-t-il. D’ailleurs, Luc Bussières espère que son université obtienne son indépendance entière de l’Université Laurentienne, à qui elle est actuellement affiliée.
La manière dont prendra vie les programmes de l’Université de l’Ontario français à Hearst demeure à déterminer, admet Dyane Adam.
« Tout va se passer à Toronto en personne », dit-elle d’abord. « Mais rien n’empêche qu’un professeur de Hearst enseigne de là-bas un cours », ajoute-t-elle, insistant sur le potentiel des technologies pour offrir une offre de cours accessibles un peu partout.
Des ressources devraient aussi être partagées avec OCAD, une université artistique de Toronto, et le collège George Brown, fait savoir Dyane Adam. Elle n’a pas de malaise à collaborer avec les universités anglophones.
« On veut former les gens à travailler bilingue. Un laboratoire ou un studio d’enregistrement, ça ne parle pas une langue », lâche-t-elle.