Touchés par les feux de forêt, les peuples autochtones subissent de graves pertes
De nombreux peuples autochtones ont été et continuent d’être affectés par la saison des feux de forêt. Partout au Canada, des milliers de personnes ont été évacuées entre mai et septembre. Parmi les personnes les plus touchées, les peuples autochtones le sont en grande partie. Plusieurs raisons évidentes l’expliquent, mais malgré tout, l’impact de ces feux pour de nombreuses communautés est irréversible. Voués à se répéter, ces événements climatiques font craindre le pire pour ces communautés reculées.
Les peuples autochtones sont disproportionnellement touchés par les feux. Ils représentent 5 % de la population et pourtant d’après Sécurité publique Canada, depuis plusieurs années, 42 % d’entre eux ont déjà vécu des évacuations en lien avec les feux de forêt.
La principale raison, c’est qu’ils vivent souvent dans des régions plus reculées et boisées.
Depuis le début de la saison, plus de 90 communautés des Premières Nations ont reçu des ordres d’évacuation en raison de ces feux. D’après Service autochtone Canada, au 22 septembre, il y avait encore 23 Premières Nations vivant dans des réserves en proie aux feux (une en Alberta, 20 en Colombie-Britannique et deux dans les Territoires du Nord-Ouest). En plus de cela, huit Premières Nations n’ont pas encore pu retrouver leur réserve (cinq en Colombie-Britannique, une en Alberta, deux dans les Territoires du Nord-Ouest).
Mathieu Bourbonnais est un ancien pompier, expert en feux de forêt et professeur adjoint à l’Université de la Colombie-Britannique. D’après lui, « la plupart des évacuations qui ont lieu à travers le Canada concernent les communautés autochtones ou les communautés rurales, et sont donc disproportionnellement touchées ».
Le chercheur s’inquiète des effets à long terme de ces incendies sur les communautés. « J’ai parlé avec des évacués à plusieurs reprises au cours d’une même saison et d’autres sur plusieurs années. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un coût cumulatif lié à ces évacuations. »
Pour quantifier les conséquences, nous pourrions dans un premier temps constater les difficultés d’évacuation. Certaines réserves sont difficiles d’accès. Il y a parfois une seule route pour y entrer ou pour sortir. Pour d’autres, l’accès se fait par les eaux ou les airs. La communication se fait aussi difficilement, sans compter les difficultés financières liées à l’évacuation et tous les problèmes qui en découlent.
« Cela peut engendrer un traumatisme, car vous quittez votre domicile dans des circonstances difficiles », explique M. Bourbonnais.
Nicole Redvers, directrice de la Santé planétaire autochtone à l’École de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western Ontario à London et également membre de la Première Nation, Deninu K’ue dans les Territoires du Nord-Ouest, explique au micro d’ONFR que « l’impact disproportionné sur les communautés autochtones existe en raison de la proximité immédiate avec la nature ».
« D’où je viens, dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons connu notre lot d’évacuations cet été. En fait, 68 % de la population a été évacuée, y compris mon père et ma mère. »
Des effets sur la santé émotionnelle, culturelle et spirituelle
D’après Nicole Redvers, « nous pensons souvent seulement aux impacts physiques des incendies de forêt. Bien sûr, il y a un danger immédiat pour les personnes ainsi que pour les infrastructures physiques. Mais ce qui est souvent minimisé, ce sont les effets sur la santé mentale, émotionnelle, culturelle et spirituelle que subissent les communautés lorsqu’elles sont déracinées pendant les périodes clés de l’été ».
L’été est une période importante puisque c’est à ce moment de l’année que se déroulent les récoltes, la chasse et les activités culturelles. Des pratiques qui ne peuvent pas avoir lieu lorsque ces événements surviennent.
« C’est cet élément, je pense, qui n’est pas souvent pris en compte ni compris en termes d’impact », croit-elle.
Une des graves conséquences souligne l’experte, ce sont les grosses fumées des incendies. « Bien sûr, la principale préoccupation concerne les conditions pulmonaires, notamment l’exacerbation de l’asthme. Nous avons effectué des recherches qui montrent qu’au cours de cette saison, la fumée des incendies de forêt est particulièrement dense et les taux d’asthme, en particulier dans les services d’urgence, augmentent considérablement. »
« La plupart de nos communautés autochtones ont des logements très médiocres », ajoute-t-elle. « Dans ma région natale, dans nos maisons, l’air entre littéralement par les bouches d’aération des salles de bain. C’est parce que les maisons sont construites différemment, pas hermétiques. L’intérieur de la maison devient presque aussi toxique que l’extérieur. »
En Colombie-Britannique, Bonnie Lépine Antoine, une Métis de la rivière Rouge et directrice de l’éducation autochtone pour le Conseil scolaire francophone (CSF) de la Colombie-Britannique, « ne veut plus respirer la boucane ».
« La qualité de l’air m’inquiète. On reste souvent dans l’école pour ne pas respirer ça. Cet été, ça a commencé tôt. En plus, un de mes enfants a eu un cancer », confie-t-elle.
« On essaie de se tenir éloigné mais mon mari, chef de la bande Bonaparte, est resté pour combattre les feux. »
En Alberta, l’établissement Métis d’East Prairie a subi de nombreuses pertes cet été. En rencontre avec ONFR, le président Raymond Supernault se souvient exactement du jour où sa réserve est « passée au feu ».
« C’était le 5 mai », se rappelle-t-il, « actuellement, nous avons encore sept ou huit familles qui résident dans des chambres d’hôtel, depuis mai. Il est vraiment crucial que nous ramenions ces familles chez elles ».
Pour l’instant l’objectif de M. Supernault est de reconstruire. « Nous avons beaucoup perdu et c’était une saison très stressante. »
« C’est une perte de notre culture », considère-t-il. « Le feu a tout dévasté, notamment là où se trouvaient les orignaux. Les animaux que nous chassons ne sont plus là. Nous ne savons plus où chasser et nous sommes plus éloignés que jamais. »
Les Premières Nations, les Métis et Inuits ont subi la perte de lieux sacrés, y compris des cimetières et des sites archéologiques. Leur culture et leur mode de vie ont été frappés de plein fouet.
Dans la région de Kamloops en Colombie-Britannique, la réserve de Little Shuswap Lake est passée au feu. Bonnie Lépine Antoine connaissait bien cette communauté, puisqu’elle y a vécu durant quinze ans. « Les saisons des feux s’intensifient année après année et étrangement on s’y habitue », remarque-t-elle.
D’après Mathieu Bourbonnais, « nous avons battu le record national de superficie brûlée depuis 1989 à l’échelle du pays ».
« Et les conditions sont réunies », pense-t-il. « Il y a de nombreuses raisons à cela. Il y a le changement climatique qui touche l’ensemble du pays, avec des saisons des feux plus longues et des conditions météorologiques plus propices aux incendies. »
Comment ne plus être les premières victimes des changements climatiques?
Nicole Redvers est certaine que le Canada a aussi son rôle à jouer dans ce domaine. « Il faut une plus grande implication des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans les politiques de gestion forestière. Nous avons une longue histoire et des façons traditionnelles de contrôler les feux. »
Ce que corrobore Mathieu Bourbonnais, indiquant à son tour qu’il existe plusieurs mesures à prendre. « Historiquement, les autochtones ont protégé leurs communautés en utilisant le feu comme un outil. Ces communautés pratiquaient activement la combustion contrôlée, mais maintenant cette pratique est devenue illégale. »
« Je pense que l’une des solutions pour les communautés autochtones et rurales », ajoute-t-il, « sera de les habiliter à reprendre certaines de ces pratiques pour protéger leurs communautés, restaurer leurs paysages et préserver leurs pratiques culturelles ancestrales ».
Cet été, Raymond Supernault a combattu les feux avec des membres de sa communauté, en Alberta. « Nous n’avions pas le choix, sinon on y passait », a-t-il dit.
Du côté de la bande Bonaparte en Colombie-Britannique, même son de cloche : « Les hommes sont restés combattre le feu, mais c’est en grande partie par manque de confiance dans le système », explique Mme Lépine Antoine.
« Ce n’est pas facile pour nous d’avoir confiance, avec les traumatismes du passé. La communauté s’est demandé si le gouvernement allait nous venir en aide. »
« Les feux ont brûlé pendant des semaines et des semaines et quand l’ordre d’évacué est tombé, nous n’avions que 20 minutes », rappelle-t-elle.
« Nous essayons d’être autonomes pour être capables de protéger notre communauté, parce que nous sommes témoins d’inégalité de toute façon. »
Nicole Redvers croit fermement qu’il y subsiste un manque de préparation en matière de réponse d’urgence face aux catastrophes environnementales au Canada.
D’après elle, la plupart des municipalités et des communautés ont des plans trop légers. « Cela impliquerait, par exemple, l’évacuation immédiate des communautés et, non seulement de penser aux effets physiques, mais aussi aux impacts mentaux, émotionnels, spirituels et culturels sur les personnes qui continueront à être touchées par ces événements. »
Pour ce qui est de la lutte contre les feux de forêt, M. Bourbonnais demeure optimiste. « Je pense que les organisations de gestion des incendies, les agences gouvernementales et les gouvernements eux-mêmes réalisent que nous ne pouvons pas continuer à privilégier la gestion des incendies comme nous le faisons. »
D’après l’ancien pompier forestier, il faut travailler de manière collaborative et comprendre la logistique des évacuations dans les communautés rurales, éloignées et autochtones qui peuvent être très difficiles.
De plus, « les pompiers professionnels, même s’ils sont saisonniers, sont très bien formés et très compétents dans ce qu’ils font. Cependant, nous sommes désormais dans une ère où cela ne suffit plus. Ce que cela a fait, c’est créer un héritage où la gestion des incendies intervient toujours comme « sauveur » et n’exploite pas efficacement les connaissances locales. »
M. Bourbonnais est d’avis que la suppression des incendies restera toujours une partie importante de la solution, mais que le changement climatique va favoriser des saisons comme celle de 2023.
« Sommes-nous prêts à accepter cela comme notre avenir? » demande-t-il. « Pour moi, la réponse devrait être non. Si nous voulons changer cela, il faut envisager le changement climatique comme un problème sociétal majeur et progresser, même si cela peut sembler lent. »