Tristan Das Eiras, le prodige de Vankleek Hill

À 15 ans, Tristan Das Eiras est déjà un pianiste exceptionnel. Crédit image: Rachel Crustin

VANKLEEK HILL – Tristan Das Eiras est déjà installé au piano lorsque nous le rejoignons à l’église Knox de Vankleek Hill. Le jeune homme a l’habitude d’y jouer chaque année, lors du festival de musique. Il est entouré de ses parents, Nathalie et Nelson, et de son professeur de musique, Ian Hepburn.

Pour Tristan, tout a commencé il y a environ six ans, lorsque son grand-père lui a appris à jouer une pièce folklorique au piano. L’enfant s’est ensuite retrouvé avec un clavier électronique, sur lequel certaines pièces classiques étaient préprogrammées. Le jeune Tristan a la piqûre. Il demande à ses parents de l’inscrire à des cours. Il ne touchera plus au folklore, ne s’intéressera pas au rock ou à la pop. Aujourd’hui, Tristan a 15 ans et ne jure que par la musique classique.

Tristan nous rencontre à l’église Knox, où il a déjà enregistré certaines pièces en plus de jouer au festival de musique chaque année. Crédit image : Rachel Crustin

Et il se fait remarquer. À l’automne 2022, il se rend avec son père au magasin de pianos Steinway d’Ottawa pour acheter un livre de musique de Jean-Sébastien Bach. Il en profite pour jouer sur les prestigieux instruments en démonstration. Son interprétation du prélude en la mineur de Maurice Ravel attire l’attention de l’employée de Steinway. C’est elle qui incitera Tristan à s’inscrire au concours musical international Crescendo, grâce auquel il gagnera une place pour jouer sur la scène du prestigieux Carnegie Hall de New York, avec d’autres jeunes musiciens de partout dans le monde.

En parlant de cette expérience, c’est son père qui est le plus enthousiaste. « Il est entré sur scène, j’ai arrêté de respirer. Il a joué sa pièce, il est parti, et là j’ai recommencé à respirer. Pour lui, c’était juste une autre journée où il jouait du piano. »

Les parents de Tristan, Nathalie et Nelson, et son professeur de piano, Ian Hepburn (à droite) ont rapidement remarqué le talent du jeune pianiste, il y a six ans. Crédit image : Rachel Crustin

En effet, lorsqu’on le questionne sur son expérience, Tristan hausse les épaules. « C’était le fun, ça c’est sûr », lance-t-il sur un ton désinvolte. Il indique ne pas ressentir de stress particulier avant un concert et semble indifférent au niveau de prestige de la salle. Nous lui demandons s’il ressent une pression lorsqu’il se fait dire qu’il est un prodige. « Pour moi, ça ne change pas grand-chose. Je continue à pratiquer. »

Tristan s’anime d’avantage lorsqu’il parle de jouer du piano, en général. « Le piano a un beau son. Tu peux avoir tellement de variété de dynamiques, comparé à d’autres instruments. Tu as aussi beaucoup plus de notes. Tu peux jouer un très grand répertoire, autant baroque, classique, romantique, impressionniste, etc. »

Comme un cheval sauvage

Ian Hepburn était présent lors de ce fameux concert au Carnegie Hall en févier dernier. Une expérience qu’il a vécue de façon plus analytique. Il commente : « C’était très intéressant. Il y avait peut-être 24 étudiants qui sont passés sur scène. Tous, sauf trois, ont joué des pièces très difficiles techniquement, très impressionnantes. Tristan, lui, a choisi une pièce très tranquille, très introspective, et il s’est vraiment démarqué comme ça en ne jouant pas le genre de pièce à laquelle on s’attend dans une compétition comme celle-là. »

Ian Hepburn est lui-même un pianiste et harpiste accompli. Il enseigne le piano à Tristan Das Eiras depuis six ans. Crédit image : Rachel Crustin

Ce n’est pas le seul exemple où Tristan n’en a fait qu’à sa tête. Lorsqu’on demande à Ian Hepburn de décrire son étudiant, l’anglophone répond : « Wild! »

« C’est comme monter un cheval sauvage, parfois, d’essayer de lui faire faire ses exercices techniques et tout ça. Mais il écoute beaucoup de musique. Et c’est très évident qu’il est sérieux. Il écoute beaucoup les conseils. Il prend de la maturité. »

Et il pourrait aller loin, s’il continue de travailler. M. Hepburn met son chapeau de professeur : « Il a un immense talent. Il faut maintenant canaliser ce talent. Pour jouer au niveau professionnel, ça prend beaucoup de focus, beaucoup d’énergie, beaucoup de temps, énormément d’efforts. C’est gros. »

De grandes ambitions

Du temps et de l’énergie, Tristan Das Eiras en trouve toujours pour le piano.

Lorsque nous lui demandons combien d’heures il passe en moyenne à jouer, c’est la voix de son père qui résonne derrière lui : « Une question plus facile serait de lui demander combien de temps il ne joue pas! C’est sans arrêt. » La mère de Tristan acquiesce en indiquant que son fils passe ses journées de congé assis devant son instrument. Le jeune homme souligne qu’il a d’autres loisirs, parfois, comme d’aller faire une balade à bicyclette. Mais aussitôt revenu à la maison, la musique l’appelle. « Je compose tellement de pièces, j’ai besoin de temps pour les écrire », justifie-t-il.

En effet, le musicien a déjà composé plus de 50 morceaux, dont sept pour lesquels il a enregistré ses droits d’auteur. Il aimerait faire carrière comme chef d’orchestre et entendre ses propres compositions jouées par les ensembles qu’il dirigerait, « comme Gustav Mahler, Félix Mendelssohn et Leonard Bernstein », précise-t-il.

Nathalie Poupart affirme qu’elle ne sait plus toujours reconnaître si son fils est en train de jouer un morceau classique ou de son cru. Ian Hepburn raconte aussi que son élève arrive parfois en trombe dans le local de pratique, se met à jouer et lui demande de deviner le compositeur. « Habituellement, c’est lui, » dit-il en riant.

Après l’école, Tristan se rend souvent à la bibliothèque Champlain de Vankleek Hill pour travailler sur ses compositions. Crédit image : Rachel Crustin

Être francophone est un avantage dans sa pratique, selon Tristan Das Eiras. « Ça aide beaucoup quand tu apprends des pièces de compositeurs comme Debussy ou Ravel. C’est bien mieux d’être capable de comprendre ce qu’ils ont écrit, car ils écrivaient presque tous en français. »

L’adolescent va plus loin. Il a commencé à apprendre l’allemand pour comprendre les notes d’autres compositeurs, comme Robert et Clara Schumann, Ludwig van Beethoven et Felix Mendelssohn. Sa deuxième motivation est l’ambition d’étudier dans un grand conservatoire de musique allemand.

Talents multiples

En plus du piano, Tristan joue de la harpe, de la flûte traversière, de l’accordéon, de la cornemuse, du violon, de la guitare et du ukulélé, et compte se mettre au hautbois prochainement. Il se dit inspiré par son grand-père, le même qui lui a transmis la passion du piano. Il se laisse également guider par la musique qui le touche.

« Il y a des pièces musicales qu’on ne peut pas jouer au piano. Il y en a d’autres qui pourraient se jouer, mais il n’y a aucune partition. Donc, si j’apprends ces autres instruments-là, ce sera plus facile de les jouer. Une des raisons pour lesquelles je veux apprendre le hautbois, c’est pour une pièce de Camille Saint-Saëns, sa sonate pour hautbois. »

Tristan Das Eiras sur le banc devant le centre de créativité de Vankleek Hill, où il se produit souvent en spectacle. On aperçoit l’église Knox plus loin. Crédit image : Rachel Crustin

La flûte traversière est arrivée un peu par défaut, puisque le hautbois de l’école était endommagé. « J’ai appris les notes avec le reste de la classe, mais quand les autres ne jouaient pas j’allais dans la salle de pratique et je pratiquais par mes propres moyens. »

En plus de la musique, Tristan Das Eiras s’intéresse à l’Histoire, à l’aviation et à la physique théorique. Il fait partie d’équipes de curling, de la troupe de théâtre et du club multiculturel de son école, en plus d’exceller académiquement.

Lorsqu’il lui reste un peu de temps et d’inspiration, il fait de la peinture à l’huile. Il a même déjà vendu certaines de ses toiles.

En plus d’avoir un talent indéniable pour la musique, Tristan Das Eiras est aussi peintre. Gracieuseté

Tristan Das Eiras donne parfois de son temps pour aller jouer dans les résidences de personnes âgées. Il a aussi fait don de ses droits d’auteur sur deux de ses pièces, l’une pour l’hôpital Shriners pour enfants de Montréal et l’autre pour la loge maçonnique située à Vankleek Hill. En plus de l’implication de sa famille dans la franc-maçonnerie, le jeune homme a choisi cette organisation car de grands compositeurs comme Wolfgang Amadeus Mozart et Franz Liszt en faisaient partie.

Le classique, juste le classique

Parmi les jeunes de son âge, Tristan est devenu un ambassadeur de la musique classique. « J’ai beaucoup d’amis. Ils n’ont pas tous la même passion. Il y en a quelques-uns que j’ai réussi à convaincre d’écouter de la musique classique et qui ont commencé à aimer certains compositeurs. J’ai un ami qui aime Tchaïkovski, un autre qui préfère Chostakovitch. Mais il y en deux ou trois qui aiment la musique presqu’autant que moi. »

Pour sa part, les trois compositeurs qu’il nomme comme ses préférés sont l’Espagnol Enrique Granados, pour la façon dont il intègre des éléments folkloriques à sa musique, ainsi que l’Allemand Robert Schumann et le Français Hector Berlioz pour leur capacité à raconter des histoires en musique.

Tristan Das Eiras a écrit la pièce Hope for Tomorrow pour l’hôpital Shreiners pour enfants. Il « passe le chapeau » lorsqu’il la joue en concert et ses éventuelles redevances de droit d’auteurs iront à la cause. Gracieuseté

Était-il intéressé au spectacle d’Ed Sheeran qui a rempli le Centre Rogers de Toronto quelques jours plus tôt? « C’est qui, Ed Sheeran? demande-t-il.

Nelson Das Eiras nous explique qu’il a même tenté de payer son fils pour qu’il apprenne des chansons de Supertramp, en vain. « Ça n’utilise que quatre accords. La plupart de la musique est trop simple, c’est répétitif. Trois minutes à faire la même chose, ça devient plate, » justifie le jeune homme.

Tristan Das Eiras avec ses parents, Nathalie Poupart et Nelson Das Eiras. Crédit image : Rachel Crustin

Son père lui propose de mettre à sa main des musiques plus contemporaines. L’adolescent se borne : « J’ajouterais plus d’accords, ça deviendrait plus long et je changerais les instruments. À ce point-là, c’est rendu de la musique classique. »

Les seuls écarts tolérés sont la musique folklorique durant le temps des fêtes, le ragtime du pianiste Scott Joplin, le thème de la série Friends et celui de Wings, ce dernier étant à l’origine une pièce de… Franz Schubert.

La particularité du piano

Ian Hepburn, qui enseigne le piano depuis plus de 40 ans, nous explique ce qui distingue cet instrument des autres.

« C’est une grande chose de connecter avec un instrument. Surtout un piano. Ce n’est pas comme avoir un violon sous le menton ou violoncelle entre les jambes. C’est plus distant. Et c’est difficile car, en général, les pianistes ne se déplacent pas avec leur piano. Alors il faut développer un rapport très rapide avec un instrument qui n’est pas le nôtre. »

Questionné sur ce point, Tristan nuance : « Oui, mais je veux plutôt sentir une connexion avec la pièce. Il faut être capable de savoir exactement comment elle doit être jouée et comment toi tu veux la jouer. »

Au-delà de l’instrument, c’est avec la pièce musicale que Tristan Das Eiras veut connecter. Crédit image : Rachel Crustin

Ses opinions arrêtées, sa passion insatiable et sa connaissance pointue de son art font de Tristan Das Eiras un musicien d’exception. Nul doute que l’adolescent de Vankleek Hill peut se rendre loin, s’il poursuit dans cette veine. Une autre fierté locale à surveiller pour les francophones de l’Est ontarien.

Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.