Tudor Alexis, un bilan terni par des allégations de harcèlement non élucidées
TORONTO – « Des trucs montés de toute pièce par des gens qui ont déconné », voilà comment le consul général de France à Toronto qualifie les signalements d’employées à son encontre pour des faits présumés de harcèlement. Il revient au micro d’ONFR sur ses quatre années de mandat avant son départ pour Paris.
« Ces plaintes étaient des trucs montés de toute pièce par des gens qui ont déconné, qui avaient des choses à se reprocher », résume Tudor Alexis. « Je pars tranquille. Le ministère (de l’Europe et des Affaires étrangères, MEAE) connait ce dont je suis capable. Il n’oublie pas que j’ai mené à bon port l’ensemble des projets qui m’ont été confiés et je continuerai à œuvrer pour mon pays d’adoption. »
Dans un entretien accordé à ONFR, le consul général sortant dont le dernier jour en poste à Toronto était le 30 août et dont le prochain poste, à Paris, n’est pas encore connu, parle au passé d’une controverse qui serait derrière lui. Les signalements d’employés révélés l’hiver dernier n’ont pourtant jamais débouché sur une inspection et la cellule Tolérance zéro du ministère n’a toujours pas rendu publiques de conclusions sur cinq des six plaintes, celles émanant de femmes qui regrettent d’avoir été exclues du périmètre de l’enquête administrative.
Une seule investigation est en effet allée au bout de processus, celle concernant le litige opposant le consul général à son adjoint de l’époque, Yves Chauchat – depuis muté à Paris -, concluant à des « torts partagés » et écartant l’aspect de harcèlement moral.
Le MEAE n’a d’ailleurs pas donné suite avec précision à plusieurs de nos sollicitations médiatiques dans ce dossier. Et le consul général a tenu à garder son devoir de réserve « jusqu’au bout ». « Je ne trahirai pas les principes par lesquels j’ai été nommé ici », tranche-t-il.
Depuis les révélations du média français Lettre A et les témoignages recueillis par ONFR en janvier dernier, le dossier a fait quelques ricochets dans la presse outre-Atlantique et devant le Sénat français, le sénateur Ronan le Gleut pointant en juin « un silence assourdissant » du ministère de tutelle. Avant lui, la sénatrice Mélanie Vogel avait déjà mis en doute, en février, l’efficacité de la cellule d’écoute face à « plusieurs signalements classés sans suite malgré des faits graves et avérés ».
Le « retour en force de la France » en Ontario
Pour le reste, après quatre années d’action, Tudor Alexis estime que son mandat a été marqué par le « retour en force de la France comme un acteur privilégié de l’Ontario dans plusieurs domaines d’importance pour les générations à venir ».
« On a maintenant une communauté rassemblée et conquérante sur la scène économique », souligne-t-il. « De grandes entreprises françaises ont déménagé leur siège social à Toronto et des entrepreneurs pensent très souvent à cette métropole en premier pour s’installer au Canada ou comme base de travail pour toute l’Amérique du Nord. »
Et de citer Sanofi, Saint-Gobain, Sodexo, Nexans, Thalès, Safran, Arcelor, Lactalis, Areva, Colas, Dior… « Il y a à la fois un sentiment d’appartenance parmi ces entreprises et de reconnaissance de leur puissance économique de la part des autorités ontariennes », décrit M. Alexis qui ajoute à cela la dimension technologique qui a pris de l’ampleur avec les événements de French Tech.
« L’avenir de cette économie appartient à la jeunesse et la reconnaissance de diplômes pour que des Français puissent venir enseigner directement dans les écoles franco-ontariennes et les écoles d’immersion va sensibiliser les générations futures à notre langue qui est un vecteur d’influence », croit-il.
Dans la même veine, M. Alexis met en exergue le renouvellement de l’accord Ontario-Rhône-Alpes. Vieux de 30 ans et menacé d’extinction, cet accord doit garantir la poursuite d’échanges dans l’enseignement supérieur.
Faire exister la question francophone et le bilinguisme canadien
Le consul général sortant ajoute que la présence de la France s’est aussi exercée dans la diplomatie publique avec, entre autres, le lever de drapeau de l’Organisation internationale de la Francophonie, une célébration inédite soulignant la richesse de la diversité torontoise et ontarienne.
« L’importance de la France à Toronto s’est aussi mesurée le 15 juillet dernier quand la mairesse de Toronto a consacré 1h30 de son temps, trois jours après son intronisation, pour prendre connaissance de l’ensemble des stands de la Fête nationale française », note le diplomate.
« On a fait beaucoup de travail pour faire exister la question francophone et le bilinguisme canadien », ajoute-t-il. « Aujourd’hui, on ne se pose plus la question d’avoir un quartier de langue française à Toronto pour s’enfermer dans un coin. Les acteurs francophones sont partout. »
« Dans une société mondialisée où les réseaux sociaux divisent et les algorithmes ne font que fournir des raisons de haïr son voisin, l’antidote devient le partage de savoirs, la connaissance de l’autre. La culture est une arme de destruction massive contre l’intolérance », se félicite celui qui a débuté son mandat par la réception en 2019 du ministre français de la Culture. Il prend comme exemple la présence de films français au TIFF ou encore la Nuit blanche, autant d’occasions pour la France de marquer son empreinte en Ontario.
« En tant que Français, nous avons toujours un regard très critique envers notre pays et c’est notre force. En revanche, on en oublie ce qui se passe mal ailleurs : le recul des droits de l’homme dans l’Europe de l’Est, le Brexit qui a cassé l’industrie financière londonienne, les résultats des dernières élections en Finlande ou en Italie, le quasi-coup d’État en 2022 à Washington et la montée du racisme et de la xénophobie dans certains pays que je ne citerai pas », énumère M. Alexis.
« Mais finalement, les gens qui prennent du recul continuent encore de croire en la France, un pays qui connaît le taux de chômage le plus bas depuis 40 ans et constitue la première destination des investissements directs à l’étranger devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. »
Une Journée de l’Europe en Ontario, projet inachevé
« Entre des États-Unis qui se divisent et une Europe qui reste unie, quel est le vrai partenaire? » interroge-t-il. « C’est l’Europe, dont la France est un des pays fondateurs du Canada. »
« Nos deux pays ont tant de choses en commun depuis la crête de Vimy où le Canada a trouvé son identité de nation indépendante. Si on crée le besoin de la langue française parmi les Ontariens et qu’on projette une image de la France comme partenaire de valeurs et qu’on cultive notre francophilie, on arrivera à créer une demande du français, capable de répondre à des enjeux comme celui de susciter encore plus des vocations d’enseignant du français par exemple. »
L’importance d’une langue ne réside pas seulement dans son vocabulaire mais dans son système de pensée, martèle-t-il. « Pour cela, il faut labourer le terrain et montrer à quel point on est des partenaires pertinents sur des sujets qui concernent l’avenir de nos enfants. »
Le diplomate espère enfin voir aboutir un projet : que la Province déclare le 9 mai comme Journée de l’Europe en Ontario. « J’espère que cette idée que j’ai lancée pendant la présidence française de l’Union européenne sera votée un jour à Queen’s Park. Nous n’avons pas encore en Ontario le réflexe de se tourner vers l’Europe comme le fait le Québec. Or c’est essentiel de savoir que 25 millions de Canadiens sont d’origine européenne et que l’Europe est un partenaire important pour le Canada », conclut Tudor Alexis, dont le successeur, Bertrand Pous, doit prendre ses fonctions dans les prochains jours.