Le consul général de France à Toronto sous le coup d’allégations de harcèlement
TORONTO – La cellule d’écoute « tolérance zéro » du ministère français des Affaires étrangères a reçu six signalements pour harcèlement moral au cours des deux dernières années par des employés à l’encontre du consul général de France à Toronto, Tudor Alexis.
Les plaignants, dont certains ont depuis quitté le consulat, dénoncent des faits de harcèlement moral et de comportements sexistes qui auraient débuté en janvier 2020, soit quelques mois après l’entrée en fonction du consul à Toronto.
Dans plusieurs dépositions – dont ONFR+ a obtenu copie -, ces agents décrivent les « explosions de colère », les « regards condescendants », les « agissements rabaissants » d’un supérieur hiérarchique intimidateur aux propos « culpabilisateurs », détaillant plusieurs altercations avec précision.
« Il est pathologiquement très toxique, narcissique et dangereux » – Une des plaignantes
« Il est pathologiquement très toxique, narcissique et dangereux », confie sous couvert d’anonymat une des plaignantes au micro d’ONFR+. « Tudor Alexis a laissé des traces de souffrance derrière lui. Des harceleurs comme lui, il y en a plein mais le problème c’est l’institution qui les maintient, les fait grossir et ignore les victimes. »
Cinq signalements dans les oubliettes du Quai d’Orsay?
Elle témoigne de son désarroi face à la diplomatie française qui n’a toujours pas rendu ses conclusions depuis son signalement. Le Quai d’Orsay, qui a mené une enquête administrative de janvier à avril 2020, s’est en effet concentré uniquement sur un des signalements, celui du consul adjoint Yves Chauchat, concluant à des torts partagés, selon les informations du quotidien d’enquête français La Lettre A.
Résultat : le numéro 2 du consulat général doit être prochainement muté « dans l’intérêt des services », tandis que le consul n’a écopé d’aucune sanction, promu début janvier 2022 au rang de conseiller des affaires étrangères hors classe.
Pour le reste, « il n’y a eu aucun suivi », affirment plusieurs autres victimes présumées, toutes des femmes. Elles se sont donc tournées vers les gouvernements ontarien et canadien puisque leurs contrats locaux stipulent qu’elles sont protégées par la Loi ontarienne, tout litige relevant de la Cour de l’Ontario.
Contrats de droit canadien… remis en cause par le Canada
Mais contre toute attente, elles se sont heurtées à une fin de non-recevoir. Dans une lettre du 13 juillet 2022, le ministère fédéral Emploi et Développement social Canada argue que le consulat de France est considéré comme un État étranger et qu’il ne relève, à ce titre, ni de la juridiction fédérale ni de la juridiction provinciale.
« Cette activité n’est pas couverte par l’article 2 du Code canadien du travail », peut-on lire dans sa réponse, du fait qu’elle implique une relation officielle entre la France et le Canada.
Ces fonctionnaires françaises qui se sentent abandonnées par la province et le Canada, ne se font guère plus d’illusion quant à la France.
La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, dont le ministère est chargé d’instruire les plaintes, était elle-même visée par des signalements dénonçant des comportements « destructeurs » lorsqu’elle était ambassadrice de France en Italie et au Royaume-Uni, a révélé en juin dernier le site d’information français Mediapart. Mais l’inspection qui devait en découler avait été stoppée au moment de sa nomination à la tête de la diplomatie française en mai 2022.
« Comment peut-on prendre au sérieux des signalements pour harcèlement si la personne chargée de les superviser est elle-même accusée de cela? », se préoccupe une autre plaignante, elle aussi souhaitant rester anonyme.
La diplomate à la tête de l’Inspection générale des Affaires étrangères n’est autre que Kareen Rispal, l’ancienne ambassadrice de la France au Canada. « Elle n’a pas su faire le ménage devant sa porte quand elle était au Canada », déplore cette même victime présumée, évoquant un climat d’impunité flagrante. « Ils appartiennent à un cercle fermé et se protègent les uns les autres, sachant que si quelqu’un parle sa carrière va en pâtir. »
« Comment se fait-il que nos témoignages n’aient pas été pris en considération par la diplomatie française? », interroge une ex-agente qui affirme avoir été victime elle aussi de harcèlement au travail et de violences sexistes, de la part d’un homme « intouchable, protégé par son statut, son pouvoir, ce qu’il représente ». Elle critique vertement la cellule « tolérance zéro » qui n’a pas été, selon elle, à la hauteur. « Je n’ai pas été informée de mes droits, des ressources disponibles et du processus : ils ont failli à toutes leurs obligations. »
« Je vais devoir affronter la tempête », dit le consul général
Ni le consul général de France à Toronto, ni l’inspectrice générale des Affaires étrangères, ni son ministère n’ont donné suite à nos sollicitations médiatiques à l’heure où nous écrivons ces lignes.
M. Alexis s’est toutefois adressé par courriel à un cercle de connaissances non destiné à la presse, en date du 6 janvier dernier. « L’enquête mentionnée (celle liée au litige entre le consul et le consul adjoint, NDLR) a prouvé mon innocence. Cela fait 13 mois que je fais face, en silence, à des tentatives de calomnies tout en défendant mon équipe et en poursuivant sans relâche ma mission : être au service de notre communauté et faire connaître la France et l’Europe », écrit-il.
« Si je peux vous demander une seule chose, ça serait de garder intacte l’amitié que vous avez pour moi en attendant que la vérité soit établie y compris par voie judiciaire (…) La diffamation est une incitation à la haine qui ne dit pas son nom. »
Dans un nouveau message publié ce mardi, il déclare être « sûr que la vérité éclatera un jour mais je vais devoir affronter la tempête. Je ne souhaite pas remettre en question l’authenticité des gens qui pensent que je les ai volontairement blessés, mais je suis assez attaché aux valeurs dans lesquelles j’ai été élevé et à la sincérité de mes actions. »
« On veut nous décrire comme travaillant sous les ordres d’un tyran, mais ce n’est pas notre réalité » – Un employé anonyme
Trois employés en poste depuis plusieurs mois ont apporté un tout autre son de cloche. Ils affirment n’avoir été témoins d’aucune scène de sexisme ni de rabaissement.
« À aucun moment je n’ai observé une quelconque attitude dégradante, déplacée ou méprisante vis-à-vis de collègues de sexe féminin ou masculin », assure un premier agent actuellement en poste et voulant « rétablir une certaine vérité ». « On veut nous décrire comme travaillant sous les ordres d’un tyran, mais ce n’est pas notre réalité. »
« On travaille en open space et avons des discussions ouvertes avec le consul général dont la porte est toujours ouverte. Il prend le temps de nous parler sur n’importe quel sujet, sans faire de différence entre les collègues », abonde une de ses collègues.
Ils confient toutefois avoir vécu une situation difficile au moment du conflit entre le consul général et son adjoint. « Ce problème relationnel a été la situation la plus difficile à vivre pour les agents car il n’y avait plus de collaboration entre le numéro 1 et le numéro 2 du consulat. Le reste de la chaîne hiérarchique en a pâti », convient une troisième employée.
De leur côté, les plaignantes, qui n’ont pour l’heure donné aucune suite judiciaire à leur démarche, craignent que d’autres agents ne s’ajoutent à la liste des victimes présumées si le consul général demeure en poste.
ONFR+ a protégé l’identité de l’ensemble des agents et ex-agents qui ont accepté de témoigner à son micro afin de les préserver de tout préjudice professionnel.