Un an après, étudiants et professeurs écœurés par les coupes à la Laurentienne

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SUDBURY – Le 12 avril 2021, le postsecondaire francophone vivait sa crise la plus importante en Ontario lorsque survenait l’annonce de la coupure de 72 programmes dont 29 en Français. Derrière ces chiffres, de futurs étudiants contraints de revoir leur plan universitaire, des étudiants dans l’impossibilité de terminer leur programme et des professeurs privés d’emploi. Un an plus tard, la douleur est toujours présente et les impacts de la crise continuent de se faire sentir.

Le professeur en économie David Leadbeater fait partie de ceux qui ont perdu leur emploi avec les coupes de programme, et selon lui le gouvernement provincial peut et devrait intervenir directement dans la résolution du conflit en mettant notamment fin à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

« C’est possible d’avoir une intervention pour terminer ce désastre de la LACC, d’avoir les garanties face aux créditeurs et ce n’est pas nécessaire d’avoir ce débat. »

Selon ce professeur d’économie, le gouvernement fédéral a lui aussi une énorme part de responsabilité, concernant les offres d’enseignement en langues minoritaires et les études indigènes pour lesquels « il pourrait faire beaucoup plus ».

Les sciences humaines sacrifiées

Les programmes en sciences humaines sont ceux qui avaient étés les plus sacrifiés lors de ces compressions, et pour de nombreux étudiants touchés, il a fallu se réorganiser. C’est le cas de Marie-Pier Héroux, qui étudiait dans le programme d’histoire et langue française.

Même si celle-ci s’estime chanceuse que sa nouvelle université ait accepté de lui créditer la totalité de ses acquis à la Laurentienne, elle regrette amèrement d’avoir eu à quitter la communauté de Sudbury dans laquelle elle se sentait si bien.

« J’ai vécu le pire été de ma vie » – Marie-Pier Héroux

« J’avais de l’espoir jusqu’au bout que l’Université allait pouvoir m’accommoder pour les cours qu’il me restait, ou que l’Université de Sudbury pouvait me permettre de continuer mes cours chez eux si la Laurentienne s’asseyait avec, mais j’ai finalement dû me résigner et juste transférer à Ottawa (…) J’ai vécu le pire été de ma vie. »

Marie-Pier Héroux, programme d’histoire et langue française. Archives ONFR+

Si le choc est une réaction partagée par la majorité des personnes touchées par ces compressions, la sensation d’isolement l’est aussi. Page Chartrand étudiait en deuxième année d’études autochtones lorsqu’elle a appris la suppression de son programme sur internet, au hasard d’une publication Facebook.

Celle qui était aussi présidente de l’Association des études autochtones se souvient encore.

« C’était juste pas croyable qu’un des deux programmes les plus vieux d’études autochtones au Canada, avec des professeurs renommés internationalement n’existe plus sans nous le dire directement, surtout à moi, présidente. On l’a compris quand on a su que la fédération des Universités avait été dissoute. »

« Mes amis autochtones qui y sont encore sont malheureux » – Page Chartrand

Le départ de nombreux étudiants autochtones est une lourde perte pour l’Université, pour lesquels celle-ci n’a pas fait suffisamment d’effort pour maintenir ce programme selon Page Chartrand. Elle ajoute que cela pèse sur le climat de l’établissement.

« Mes amis autochtones qui y sont encore sont malheureux d’y être et y sont par obligation et non par choix puis ont juste hâte de partir. »

Page Chartrand étudiante en études autochtones. gracieuseté

Des impacts sur le long terme

Les conséquences sont loin d’avoir fini de se faire sentir et David Leadbeater en sait quelque chose, lui qui n’a toujours pas de poste permanent. Une partie des fonds de 100 000 $ qu’il avait reçu pour son projet de recherche à l’Université de la Laurentienne est menacée par le processus de la LACC.

« J’ai très peur pour ma recherche, et je pense que les gens ne réalisent pas à quel point les impacts de cette restructuration ont encore de lourdes conséquences aujourd’hui et vont continuer d’en avoir sur le long terme sur l’ensemble de la communauté », confie-t-il.

Le départ de professeurs qualifiés et francophones est aussi difficile pour la région du moyen-nord. Aurélie Lacassagne dit faire partie des rares personnes qui n’étaient pas surprises de ces compressions, mais regrette ne pas avoir été épargnée.

« J’étais la seule à enseigner les relations internationales. Ça faisait longtemps que je travaillais à l’Université et j’ai une formation en droit. Donc je pensais vraiment être transférée au programme en droit qui n’a pas été coupé et donc échapper à un renvoi, mais ça n’a pas été suffisant. »

Aurélie Lacassagne, professeure. Gracieuseté

Heureuse dans son malheur, Mme Lacassagne a pu retrouver un emploi et même se voir proposer le poste de doyenne à l’Université Saint-Paul d’Ottawa qu’elle débutera le 1er juillet prochain.

« Il a fallu très vite trouver quelque chose parce que, le père de mes enfants étant décédé, je devais prendre en charge mes deux enfants sans plus aucun salaire du jour au lendemain », relate-t-elle.

Et quid de la relève? Selon Jean Thériault, diplômé de l’Université Laurentienne et conseiller en orientation à l’École secondaire catholique Nouvelle-Alliance à Barrie, les élèves ont mis de côté l’Université Laurentienne dans leur choix d’orientation.

Il compare les chiffres de la dernière année pré-pandémique à ceux d’aujourd’hui.

« 13 élèves de la cohorte l’ont fait à la Laurentienne, dans 23 programmes dont neuf étaient des premiers choix et sept élèves sont allés à la Laurentienne, tandis qu’en 2022, huit élèves ont fait une demande dans dix programmes, seul un étant le premier choix et qu’un élève a accepté donc c’est vraiment drastique, les élèves ne songent même plus à aller à la Laurentienne. »

Jean Thériault, conseiller en orientation. Gracieuseté

Rappelons que c’est la décision du Conseil des gouverneurs de l’Université Laurentienne de recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) le 1er février 2021 qui avait précipité la crise dévastatrice au sein de l’établissement, mais aussi auprès de la communauté franco-ontarienne.

C’est donc 45 % des programmes en français et près de 110 postes de professeurs, dont une trentaine de francophones, qui ont subi de plein fouet les conséquences de la restructuration financière.

Une tragédie qui aurait pu largement être évitée comme l’a dévoilé le rapport de la Commissaire Kelly Burke le 1er avril dernier, dans lequel on apprenait notamment que L’Université Laurentienne a enfreint la Loi sur les services en français.