Un an après son départ du PPC, Simard défend son statut d’indépendante
TORONTO – Il y a un an, Amanda Simard claquait la porte du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario (PPC). Son statut d’indépendante lui garantissait une liberté de ton retrouvée, en même temps qu’il la privait de précieuses ressources logistiques et financières. Choisi ou subi, ce statut, à l’ombre des partis officiels, reste peu connu. Certains le considèrent comme une « anomalie » dans le système politique canadien. Explications et confidences inédites.
Quel est le point commun entre la libérale Kathleen Wynne, le vert Mike Schreiner et l’ex-conservatrice Amanda Simard? Ce sont tous des députés provinciaux indépendants. Ils sont actuellement au nombre de huit à Queen’s Park à n’appartenir à aucun parti officiel.
Cette situation est bien souvent le fruit d’une mauvaise expérience. La plus cinglante est celle endurée par les libéraux, en 2018. Balayés par le tsunami progressiste-conservateur, ils ont non seulement perdu le pouvoir, mais aussi laissé filer le confort que procure un statut de parti officiel, faute de députés suffisants.
Fixé à huit, ce plancher légal a même été augmenté à douze dans une période où le départ d’Amanda Simard laissait craindre un ralliement aux sept libéraux rescapés des élections.
Les ex-progressistes-conservateurs Randy Hillier et Jim Wilson sont, eux-aussi, devenus indépendants par la force des choses. Ils ont tous deux été exclus de leur caucus, le premier pour avoir manifesté publiquement des désaccords politiques, le second – alors ministre – embourbé dans des allégations d’inconduite sexuelle.
Mais il existe une autre catégorie : les indépendants qui en ont fait le choix. Mike Schreiner a même réalisé une prouesse : se faire élire en tant que tel. Un fait rare dans un pays où le vote de parti supplante le vote de personnalité. L’exploit similaire le plus récent et plus médiatique encore, au niveau fédéral, est celui réalisé par Jody Wilson-Raybould, ex-ministre libérale devenue dissidente.
Tout aussi rare, il y a enfin les députés qui quittent volontairement leur caucus. Amanda Simard a claqué la porte de son parti le 29 novembre 2018. Même si les défis sont quotidiens et qui lui a fallu une longue période transition, elle ne regrette rien. Bien au contraire.
Être en phase avec ses convictions
« C’est une occasion en or de pouvoir prendre ses propres décisions et d’être réellement soi-même », confie la députée de Glengarry-Prescott-Russell, qui nous reçoit dans son bureau, ironiquement plus grand que celui qu’elle avait au sein du PPC.
« J’ai ma voix. Je choisis les dossiers qui m’intéressent. Tout est plus facile. Il n’y a personne qui vérifie chaque mot que je prononce. Personne pour me dire quoi voter ni quand aller en chambre. »
La femme politique a cumulé de la confiance en elle depuis un an. L’image de la jeune francophone déclarant en chambre, la gorge serrée, son départ du caucus, est déjà loin. Il a forgé son nom dans la résistance franco-ontarienne aux coupes Ford. Elle a pris du recul, affirmé sa gestuelle, affûté ses arguments.
« Tout a changé car ce que je dis, c’est ce en quoi je crois » – Amanda Simard
Elle réajuste son diplôme encadré sur un des murs du bureau avant de reprendre : « Que ce soit en chambre, devant la presse ou dans ma circonscription, je dis ce que je pense, sans me poser de question. Tout a changé car ce que je dis, c’est ce en quoi je crois. Quand on parle avec le cœur, on n’a plus besoin de notes. »
La Ford Nation l’avait habituée à un prémâchage de son travail quotidien de députée, confie-t-elle sur les coulisses du pouvoir, inaccessibles au commun des citoyens.
« Quand on est dans un parti, les gens ne le savent pas, mais on reçoit des messages clés chaque matin. Tout le travail est fait pour nous. On nous demande de passer huit heures en chambre, pas le droit de sortir. »
Les rouages parlementaires mécanisent la pensée libre de l’élu « dépendant ». Amanda Simard a choisi l’indépendance.
« Quand on est là-dedans, on n’a presque pas besoin de penser par nous-mêmes. On ne choisit pas les sujets sur lesquels on veut intervenir. Je me souviens que je ne pouvais pas parler en chambre sur une motion du NPD sur la francophonie, alors que j’étais une des rares francophones. Ils avaient peur que je sorte de la ligne. »
Soulevant régulièrement des enjeux franco-ontariens, elle dit avoir retrouvé un esprit critique, une liberté de voter pour ou contre ce qu’elle croit juste ou non.
« Je n’aurais jamais pu poser les questions que je pose en chambre si je faisais encore partie de ce caucus. »
Visibilité et temps de parole accrus
Mieux, elle affirme avoir gagné en temps de parole.
« Chaque jour, un indépendant a droit à une question. Je peux donc prendre la parole environ tous les huit jours. Et en plus, je pose la question que je veux. Aucun parti ne m’impose quoi que ce soit. Dans un parti avec 74 députés, on n’avait pas toujours son tour. »
Ce temps de parole pourrait même s’accroître dans les mois à venir. Des discussions avec Paul Calandra, leader parlementaire pour le PPC, pourraient déboucher sur un changement de règles parlementaires.
« Même si ça ne changera rien au niveau du poids de la majorité dans les votes, ça donnera une présence accrue dans la chambre », estime Mme Simard. « C’est dans l’intérêt de tout le monde de faire fonctionner la démocratie. »
Sur le plan du financement, la contestation constitutionnelle de Randy Hillier pourrait aussi rebattre les cartes en faveur des indépendants.
« Contrairement aux autres députés, on n’a pas le droit d’accepter des dons, et quand on donne 100 $ au candidat d’un parti officiel, Élections Ontario rembourse 75 $. Nous, on peut juste créer un organisme charitable mais le remboursement n’est que de 25 $. C’est discriminatoire. M. Hillier a porté ça devant les tribunaux, car c’est contre la Charte canadienne des droits et libertés. »
Enfin, elle a compensé la perte de visibilité d’un gros parti par une présence médiatique décuplée. « Les gens me reconnaissent à Toronto », dit-elle.
De l’Europe à l’Amérique latine, la présidente du Réseau international des jeunes parlementaires de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie affirme que l’on a « mis le comté sur la map ».
« Je suis la députée de Glengarry-Prescott-Russell! »
Plus de travail, moins de ressources
En contrepartie, elle déclare travailler plus. De la recherche à la bibliothèque de l’Assemblée jusqu’à la stratégie de communication, Amanda Simard doit tout faire.
« Ça nécessite plus d’énergie et de temps. Je vais faire mes propres vidéos, car c’est le futur », dit-elle, désignant du doigt un appareil photo DSLR dernier cri, sur le rebord d’une table. « Avant, c’était le travail du parti, pas le mien. »
Comme tout député, elle jouit d’un budget d’environ 300 000 $ par an qui sert à payer les salaires des employés, les loyers des bureaux de comté et autres dépenses, excepté l’aller-retour de la circonscription à Queen’s Park, défrayé, en plus, par l’Assemblée.
La différence dans un parti, c’est que pour chaque député élu, près de 71 000 $ tombent dans l’escarcelle du parti. Mis dans un pot, la somme accumulée permet de créer le Bureau de recherche du caucus mais aussi, pour le PPC, de financer Ontario News Now, un organe de promotion du parti sur les réseaux sociaux, mélangeant information et communication.
« Je ne planifie pas de me représenter comme indépendante », lâche-t-elle, toutefois. « J’ai toujours été une joueuse d’équipe. Mais une équipe doit partager mes valeurs. Je ne peux pas me représenter dans un parti dans lequel je ne me reconnais plus. Il faudra voir avec le futur chef libéral si on est sur la même page. Je n’échangerai pas mon indépendance pour n’importe quoi. »