Un an plus tard, il reste du travail pour qu’Ottawa soit bilingue
OTTAWA – Il y a un an, jour pour jour, les députés provinciaux votaient en faveur du projet de loi 177 qui reconnaissait officiellement, entre autres, le caractère bilingue de la Ville d’Ottawa. Un an plus tard, les effets de cette annonce demeurent limités et la capitale du Canada n’est toujours pas officiellement bilingue.
« Les gens ont trop rapidement crié victoire. Ce n’est pas pour rien que même le maire d’Ottawa Jim Watson se soit dit satisfait. Ottawa n’est pas officiellement bilingue! Le projet de loi n’a fait que reconnaître le caractère bilingue de la ville, ce qui ne veut rien dire », insiste l’ancien sous-ministre adjoint à l’Office des Affaires francophones, Daniel Cayen. « Cela ne donne aucune obligation à la ville pour des services égaux en français et en anglais », illustre-t-il.
« On s’est fait passer un sapin! » – Daniel Cayen
Et de poursuivre : « Pour qu’Ottawa soit officiellement bilingue, il faudrait modifier la Loi sur la Ville d’Ottawa pour la déclarer officiellement bilingue et dire que les deux langues officielles y ont un statut égal », poursuit celui qui est aujourd’hui retraité de la fonction publique provinciale.
Mais Bernadette Sarazin, une porte-parole du groupe Ottawa Ville Bilingue, dresse un portrait plus positif de l’apport de la Loi proposée par la députée d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers.
« Il y a eu des initiatives intéressantes qui en ont découlé. On a notamment vu mis en place des fonds fédéraux dans le Plan d’action pour les langues officielles [2,5 millions sur 5 ans] qui vont appuyer la promotion d’Ottawa, capitale bilingue. Pendant la campagne électorale municipale, Mathieu Fleury [conseiller municipal de Rideau-Vanier] s’est également engagé à développer une stratégie pour améliorer l’offre de services en français. »
Politologue à l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal a milité dans le Mouvement pour une capitale du Canada officiellement bilingue. Elle reconnaît que la Loi de 2017 était le fruit d’un compromis.
« C’est sûr qu’on voulait plus et que le bilan, après un an, est plutôt mitigé. Il y a encore beaucoup de choses à faire. »
L’impact de Doug Ford
En cause, notamment : l’impact de la décision du gouvernement progressiste-conservateur de supprimer l’indépendance du Commissariat aux services en français.
Si Ottawa n’est pas devenue officiellement bilingue le 14 décembre 2017, le projet de loi comportait quelques avancées non négligeables, dont l’enchâssement de la politique municipale sur les services en français désormais plus difficile à modifier, et la possibilité pour le commissaire aux services en français de traiter les plaintes qui concernant tous les services en français de la Ville d’Ottawa.
« On pensait que ce serait un outil pour de grandes avancées, mais avec la disparition d’un Commissariat aux services en français indépendant tel que décidé par le gouvernement Ford, c’est un recul. Aujourd’hui, c’est l’ombudsman qui décidera s’il faut enquêter ou non. De plus, le Commissariat n’avait pas qu’un rôle de traitement des plaintes, il pouvait faire des suggestions avant que les problèmes ne surgissent et trouver des solutions. On n’est pas du tout sûr que l’ombudsman en fera une priorité. »
Depuis un an, le Commissariat indique avoir enregistré huit plaintes recevables relatives à l’absence de service en français de la part d’un organisme, d’un comité de la Ville d’Ottawa ou lors des élections municipales d’octobre 2018 ou encore, à l’absence d’offre active de services en français dans un Complexe récréatif et dans des installations municipales de la capitale nationale.
Développer une stratégie municipale
Sur le terrain municipal, le projet de loi de 2017 est passé presque inaperçu, à l’exception de quelques conseillers qui ont appuyé le mouvement, comme M. Fleury.
« Le volet symbolique de la Loi n’a pas été célébré comme il aurait dû l’être, sans doute pour des raisons politiques », reconnaît le conseiller de Rideau-Vanier.
Pour ce nouveau mandat, M. Fleury souhaite développer une stratégie pour améliorer les services en français dans l’appareil municipal, en consultation avec la communauté.
« On doit définir des objectifs, car sinon, il est difficile d’évaluer les progrès. Actuellement, la Direction des services en français est en mode réactif. Elle traite les plaintes et fait de la traduction. Il lui faut un mandat proactif. »
Il avoue que la volonté politique manque autour de la table du conseil municipal, même si du côté de l’administration, il y a une ouverture pour revoir et améliorer ce qui se fait déjà.
Prochaine étape : le fédéral
Pour M. Cayen, il est peut-être trop tard.
« En acceptant le compromis de 2017, on s’est peut-être peinturé dans le coin et je crains qu’il soit très difficile de revenir là-dessus avant longtemps, même si ça paraît incroyable de parler encore en 2018 d’avoir notre capitale nationale officiellement bilingue! »
La prochaine étape du dossier « Ottawa bilingue » pourrait se déplacer sur la scène fédérale, estime Mme Sarazin.
« Quand on voit ce qui se passe au niveau provincial, on réalise la fragilité de nos acquis. Et je pense qu’il sera plus simple de travailler avec le gouvernement fédéral que de bâtir sur nos acquis avec la province, à moins que le gouvernement Ford ne change son approche. »
Un avis que partage Mme Cardinal.
« Quand on voit comme ça a été difficile avec les libéraux, je ne pense pas qu’il faille tenter de rouvrir la Loi pour la bonifier avec le gouvernement provincial actuel. »
La politologue a déjà présenté un mémoire, cosigné avec le professeur de droit, François Larocque, auprès du comité sénatorial sur les langues officielles. Les deux professeurs de l’Université d’Ottawa y proposent d’intégrer le bilinguisme officiel de la capitale nationale dans une Loi sur les langues officielles modernisée.