Le gouvernement Ford a dévoilé jeudi les conditions du bail signé avec la compagnie Therme, qui va construire un parc aquatique et un spa à la Place de l'Ontario. Photo : Duke via Wikimédia Commons, CC BY 2.5

TORONTO – Les critiques environnementales et financières du mégaspa et du parc aquatique de Therme Canada ont été une nouvelle fois mises en lumière cette semaine par l’abattage massif de près de 865 arbres sur l’île Ouest de la Place Ontario. Les experts parlent d’un non-sens environnemental et d’une fantaisie que les contribuables ne pourront même pas se permettre.

Après avoir longtemps gardé confidentiel le contrat qui lie Therme Canada et la province, le gouvernement Ford a révélé, le 3 octobre, les détails du bail. Ce contrat, d’une durée de 95 ans, prendra effet en 2025.

Pour Ken Greenberg, designer urbain et membre du conseil consultatif d’Ontario Place for All, c’est une absurdité. « Un bail d’un siècle avec un estimé de revenus ridicules pour la durée totale de ce bail est encore plus stupide », affirme-t-il en entrevue avec ONFR.

Au cœur de la controverse, plusieurs éléments sont à prendre en compte, explique la Dre Helen Stopps, experte en urbanisme et développement à l’Université métropolitaine de Toronto.

Pour la professeure, non seulement la construction du mégaspa est un non-sens environnemental, mais ce qui est en jeu, c’est aussi « le bien-être humain dans l’environnement bâti, comme les microclimats urbains. Un autre problème est la privatisation et le manque de transparence du gouvernement », souligne-t-elle au micro d’ONFR.

La docteur Helen Stopps est professeur adjointe au département des Sciences de l’Architecture à l’Université métropolitaine de Toronto. Photo : Université métropolitaine de Toronto

Concernant les questions environnementales et suite à l’abattage de centaines d’arbres dans la soirée du 3 octobre, Mme Stopps martèle : « Les vastes étendues de terres jouent un rôle écologique très particulier dans les centres urbains. Elles offrent des habitats pour des espèces qui ne sont pas favorisées là où les arbres sont disséminés à travers la ville. De grands espaces verts connectés sont incroyablement bénéfiques. »

D’après la professeure, la Place Ontario abritait plus de 170 espèces d’oiseaux, des renards, ou encore des castors. « Du côté de l’urbanisme, les espaces verts améliorent la qualité de l’air, réduisent l’effet d’îlot de chaleur urbaine et aident à gérer les eaux pluviales. »

Une extravagance qui n’est pas la priorité de tous

Le projet de réaménagement de la Place Ontario, avec la construction d’un mégaspa dirigé par Therme Canada et de son stationnement de 2 500 places, impliquerait une importante contribution financière de la part du gouvernement de l’Ontario, alors que les bénéfices reviendront principalement à des intérêts privés. Sur le réseau social Reddit, un groupe de citoyens déplore l’absence de consultations publiques adéquates, mais reproche aussi au gouvernement le coût exorbitant de ce projet.

Un des commentaires du groupe Reddit Ontario Place spa redevelopment will cost taxpayers millions. Photo : Capture d’écran et traduction libre.

Pour la professeure Helen Stopps, « les contribuables financent quelque chose dont ils ne tirent aucun bénéfice. Ils subventionnent des intérêts privés, ce qui enrichit encore plus ces derniers. C’est une autre raison pour laquelle les gens sont très mécontents : le manque flagrant de transparence avec ce contrat ».

Le gouvernement a indiqué que Therme Canada investira environ 200 millions de dollars dans les infrastructures hors spa, tandis que la construction de l’installation elle-même est censée coûter environ 500 millions de dollars.

D’un autre côté, le gouvernement affirme investir 25 millions de dollars pour préparer le site et espère recevoir un revenu de 2 millions de dollars par an de la part de Therme Canada. Il faudra donc attendre 15 ans, soit un sixième de la durée totale du bail, avant que les revenus générés par Therme ne constituent un réel surplus pour les finances publiques.

« Ils imaginent 6 millions de visiteurs par an, mais à titre de comparaison, la statue de la Liberté à New York n’atteint même pas ce nombre de visiteurs, et c’est à peine cela pour la tour Eiffel. C’est fantasmagorique », avance Ken Greenberg.

Ken Greenberg est un designer urbain, ancien directeur du design urbain et de l’architecture pour la Ville de Toronto. Il fait partie du conseil consultatif d’un groupe ayant porté plainte contre le gouvernement suite à l’absence d’évaluation environnementale de la Place Ontario. Photo : Gracieuseté de Ken Greenberg

D’après l’urbaniste, ce projet est une fantaisie. « Après avoir coupé tous ces arbres, ils disent qu’ils vont en replanter sur la toiture de cette énorme bâtisse, sur une surface de 16 acres. Mais on doit remplacer les toits tous les 20 ans, il n’y aura donc jamais plus d’arbres d’une cinquantaine d’années », déplore-t-il.

« De plus, nous n’avons plus le moyen de savoir l’impact réel sur l’environnement, puisque les terres gouvernementales sont maintenant exemptées d’analyse environnementale. »

À ce sujet, la docteure Stopps indique que la question des évaluations environnementales est très intéressante. Selon elle, le gouvernement Ford s’est exempté lui-même de ces évaluations, spécifiquement pour ce projet.

« Cela dit, il y a eu des évaluations initiales du site, notamment sur les espèces présentes et l’importance culturelle du lieu. Nous savons donc certaines choses. Il y aura certainement des risques d’impacts environnementaux. »

Malgré les pertes, il reste un espoir de voir le projet échouer

« Il reste des problèmes qui nous laissent croire que ça va être difficile pour eux », raconte Ken Greenberg. « Le terrain sur lequel le gouvernement souhaite construire le stationnement étagé de plus de 2 500 places est municipal. Même s’ils peuvent l’exproprier, ce sera une bataille politique. »

« Plus personnellement, j’espère encore que la compagnie Therme va quitter le champ. C’est tellement peu populaire et il y a tellement de résistance. »

Toujours d’après l’urbaniste, nous perdons deux éléments essentiels. « D’une part, la création d’un architecte majeur, Eberhard Zeidler, qui était l’un des meilleurs de son époque, et le travail d’un paysagiste de renom, Michael Hough. D’autre part, la destruction du Centre des sciences, qui laissera place à une version très réduite et peu fonctionnelle sur le même site, ainsi qu’une vaste expansion de Live Nation juste à côté. En ce qui concerne le spa, imaginez un édifice de la taille d’un stade. Si l’on considère la taille de ce projet en trois dimensions, cela montre à quel point le spa est colossal. C’est inimaginable. »

Aucune date d’ouverture n’a pour le moment été avancée, mais Therme Canada assure que la construction commencerait dès que le site serait prêt.