Un budget-tremplin vers les élections provinciales
TORONTO – En façade, le budget que s’apprête à dévoiler le gouvernement, ce jeudi, doit baliser le terrain de la relance économique. À l’écart des micros, c’est surtout une plateforme électorale qui ne dit pas son nom. Ce test grandeur nature pour les progressistes-conservateurs ne sera d’ailleurs pas adopté avant la dissolution de l’Assemblée législative qui plongera l’Ontario en campagne électorale à 28 jours du scrutin du 2 juin. Dès lors, qu’attendre réellement de cet exercice comptable?
Plusieurs mesures déjà annoncées doivent trouver leur source de financement dans ce quatrième budget de la Ford nation, telles que la construction d’autoroutes, le développement des transports en commun et l’agrandissement d’hôpitaux. Il sera donc principalement question de poursuivre l’accompagnement de la relance économique et tout indique que les infrastructures y trouveront une bonne place.
« Le ministre des Finances Peter Bethlenfalvy a indiqué que ce budget servirait à un meilleur futur pour l’Ontario. Il souhaite donner de l’espoir aux Ontariens qui en ont besoin après plus deux ans de pandémie et l’augmentation du coût de la vie qui s’en est suivi », analyse la politologue Emmanuelle Richez, professeure agrégée au département de science politique de l’Université de Windsor.
« On peut s’attendre à retrouver la parade de promesses faites au cours des dernières semaines », complète Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada, évoquant entre autres la fin des péages d’autoroute 412 et 418, la suppression des frais de renouvellement de plaques d’immatriculation, la hausse du salaire minimum à 15,50 $ de l’heure ou encore la baisse de la taxe sur l’essence.
Le gouvernement étendra en outre le crédit d’impôt pour les travailleurs à faible revenu de 38 000 à 50 000 $, a-t-on appris mercredi de source gouvernementale.
Si la croissance économique donne chaque jour plus de revenu et donc de latitude au gouvernement d’investir dans ses priorités, ce dernier devrait toutefois faire des arbitrages conséquents afin de tenir son cap d’un retour à l’équilibre budgétaire à l’horizon 2023-2024, tandis que le déficit actuel flirte avec les 13 milliards de dollars. À son arrivée au pouvoir en 2018, le parti s’était engagé dans cette voie avant de revoir sa copie, face aux coûts inattendus engendrés par la crise sanitaire.
Tenir cette promesse est donc capital. « Le gouvernement ne veut pas s’aliéner sa base conservatrice, surtout qu’avec la pandémie il a été très interventionniste », poursuit Mme Richez. « Mais en même temps, avec l’inflation, ses recettes fiscales risquent d’être plus élevées que prévu, ce qui lui donne une certaine marge de manœuvre pour de nouvelles initiatives. On peut s’attendre par exemple à des réductions d’impôts, toujours bienvenues en période électorale. »
Le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF) prévoit effectivement de son côté un équilibre budgétaire dès 2023-2024 grâce à une croissance économique soutenue de 4,8 %, pour atteindre un excédent de 7,1 milliards de dollars en 2026-2027. Les indicateurs sont au vert.
Une plateforme électorale dans un calendrier législatif raboté
Alors que la date du 4 mai, coup d’envoi hautement probable de la campagne électorale, figure dans tous les agendas, tout indique que ce budget sera le véritable déclencheur. C’est du moins ce que croit Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster.
« On retrouvera dans ce budget les grandes lignes de la campagne de M. Ford. Ce document financier va souligner la reprise économique en Ontario et la nécessité de continuer sur cet élan en enlevant les barrières qui pourraient freiner son développement. »
« Le gouvernement ne réussira pas à adopter le budget avant les élections », rappelle Mme Richez. « On peut donc dire qu’il servira de plateforme électorale au parti progressiste-conservateur. » S’ils sont réélus en juin, les progressistes-conservateurs devront donc redéposer un nouveau budget.
Il y a huit ans, les libéraux avaient usé de la même stratégie, au moment de la passation de pouvoir entre Dalton McGuinty et Kathleen Wynne. La chambre avait été dissolue et le budget redéposé à la virgule près, sous le gouvernement majoritaire suivant.
« C’est une pratique habituelle », contextualise M. Graefe. « L’attention du public et des médias est focalisée sur cet acte important du dépôt le budget. Et il y a en même temps une opportunité pour le gouvernement en place d’utiliser les fonds publics pour faire la promotion de ses grands projets. »
Et il n’est « pas rare non plus qu’un gouvernement dépose un budget au printemps et trouve qu’il n’a pas le sou à l’automne pour en mettre en place toutes ses idées », observe M. Graefe.
Le spectre d’une dissolution de l’Assemblée dès aujourd’hui
Ce jeudi pourrait également être le dernier jour où les députés siègent en chambre. Dans les couloirs de Queen’s Park, l’opposition ne se fait guère d’illusion : « Ce n’est plus une surprise : après le budget, ils vont annoncer la dissolution de la chambre », est convaincue la députée France Gélinas. « Ils enlèvent une voix à l’opposition. Eux ils auront la chance de présenter leur budget et, nous, on aura jamais eu la chance ni d’y répondre ni de leur poser des questions en chambre. C’est fait pour les aider. C’est assez évident. »
Déjà la semaine dernière, le gouvernement avait supprimé, par motion, trois jours de présence en chambre.