Un joyau du patrimoine franco-ontarien sauvé de la démolition

La Maison de Louis Georges Labatte date de 1834
La Maison de Louis Georges Labatte construite en 1834. Crédit image: Micheline Marchand

LAFONTAINE – Après avoir voté en faveur de la démolition de la Maison de Théophile Brunelle en novembre dernier, le conseil du canton de Tiny a bien failli rééditer la manœuvre avec un autre édifice d’une haute valeur patrimoniale pour les Franco-Ontariens et les Métis : la Maison de Louis Georges Labatte, dans la Baie du tonnerre. Mais la mobilisation de plusieurs acteurs du dossier a renversé la situation.

Conforté par la relative absence de mobilisation franco-ontarienne, le comité consultatif sur le patrimoine local a acté en début d’année, en catimini, le retrait du bâtiment de son registre patrimonial, une première étape vers sa démolition projetée par les propriétaires au motif qu’il serait en mauvais état. C’est ce même argument qui avait conduit le conseil du canton à voter pour la démolition de la Maison de Théophile Brunelle, le berger associé à la légende du loup de Lafontaine.

Mais, coup de théâtre le 2 février, plutôt que de voter pour ou contre la démolition, le conseil du canton – uniquement composé de conseillers anglophones – a accepté d’entendre les doléances de plusieurs acteurs du dossier. Ces derniers ont fait valoir l’erreur que commettrait le conseil en actant la destruction de cette maison datant de 1834, une des plus anciennes habitations métisses en Ontario.

La Maison de Louis Georges Labatte vue de l’intérieur. Crédit image : Mike Guilbault, MPF

Au cours de la réunion, les propriétaires ont eux-mêmes fait machine arrière, indiquant qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de démolir la bâtisse mais plutôt de la rénover en profondeur, une action qui nécessitait selon eux le déclassement de la propriété de la liste patrimoniale. Leur demande aurait été mal interprétée par le comité de sauvegarde du patrimoine.

« On a absolument eu aucune intention immédiate de démolir cette maison », a déclaré au cours de la réunion Michael Roebuck, fils des propriétaires, ajoutant avoir clarifié les projets de sa famille auprès des représentants métis, vent debout contre toute destruction.

Érigée avant la Confédération

Alertés, le Conseil métis de la Baie géorgienne et le Conseil métis de la Rivière Grand sont en effet intervenus dans le dossier pour dénoncer un déclassement inacceptable acté sans consultation. Érigée avant la Confédération, par Louis Georges Labatte, forgeron et ancien combattant métis de la Guerre de 1812, cette maison revêt un caractère patrimonial de premier plan.

Elle est aussi intimement liée à la francophonie et à la Légende du loup de Lafontaine puisque, suspectés d’être à l’origine de la mort des brebis, les chiens de M. Labatte avaient été abattus, avant qu’il ne soit rétabli dans son bon droit.

Si le conseil du canton de Tiny a entendu le souhait des différentes parties de conserver la maison en rejetant la recommandation de son déclassement, il n’en demeure pas moins que plusieurs résidents s’inquiètent de la facilité avec laquelle le comité consultatif sur le patrimoine peut rayer de la carte des édifices de grande valeur historique.

Le conseil du canton de Tiny a entendu des membres du Conseil métis de la Baie géorgienne (au centre). Capture d’écran ONFR+

« Quelques semaines à peine après avoir déploré la perte inévitable de la maison Brunelle, voici qu’on récidive. Or, cette maison est habitable. La propriétaire la loue à la semaine pendant l’été », s’insurge Nadine Lalonde, une résidente préoccupée par le développement immobilier frénétique dans cette partie huppée du canton, truffée de grandes propriétés avec vue imprenable sur la baie du Tonnerre. À l’issue de la réunion et du revirement des propriétaires, elle jugeait la situation « prometteuse », anticipant « des discussions futures de bon augure ».

« La valeur patrimoniale de la maison Labatte et de son terrain est incontestable. La résolution du comité du patrimoine n’a pas été fondée sur sa valeur patrimoniale. Si on ne peut pas protéger cette maison et son terrain d’exception qui commémore la vie des premiers colons du canton, que pourrons-nous protéger à l’avenir? », interroge Micheline Marchand, une autre résidente qui, en dépit de ce sursis, reste sur ses gardes.

« Peu à peu, les traces de notre communauté d’origine s’effacent », constate-t-elle. « Nous serions à la fois ingrats et insensibles d’oublier ces fondateurs qui sont passés ici avant nous ».

La Loi sur le patrimoine très limitée face aux appétits immobiliers

Joint par ONFR+, le ministère des Industries du patrimoine, du sport, du tourisme et de la culture n’a interféré à aucun moment pour tenter de sauver de la destruction la Maison Brunelle, ni dans le processus qui risquait de conduire au même résultat pour la Maison Labatte.

« La Loi sur le patrimoine de l’Ontario confère aux municipalités la responsabilité première d’identifier et de protéger les biens patrimoniaux qui sont importants pour leurs communautés », explique sa porte-parole, Denelle Balfour, qui explique que le patrimoine est d’abord une affaire locale.

La Maison Labatte est intimement liées à la légende du loup de Lafontaine. Crédit image : Mike Guilbault, MPF

Plusieurs résidents pensent néanmoins que concentrer la décision dans les seules mains de l’échelon municipal, sans garde-fou provincial, est un dangereux processus, l’intérêt privé pouvant prévaloir sur l’intérêt patrimonial, surtout quand il est question de francophonie dans un milieu décisionnel anglophone, et que la province gagnerait à renforcer sa loi pour rééquilibrer la balance.

« La province est très limitée dans son champ d’action. Même si la loi est provinciale, la décision ultime appartient aux municipalités. Ce sont elles qu’on doit convaincre », explique Diego Elizondo, agent de projet au Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO).

Au cours du processus de déclassement de la maison Labatte, son organisation a manifesté son désaccord face au risque de démolition, relevant son caractère historique : « Elle a appartenu à une famille pionnière dont l’installation a entraîné celle d’autres familles francophones dans la Baie du Tonnerre. »

M. Elizondo a également regretté un manque de transparence dans la décision qui a mené au retrait de la maison de l’inventaire patrimonial pour des raisons de mauvais état. « Ce serait intéressant de voir les études qui ont mené à une telle chose. Ces études, on les attend. Personne ne les a aperçues. »

Le conseil du canton de Tiny envisage à présent de revoir son processus de déclassement patrimonial afin qu’une telle situation ne se reproduise pas.