Un parc provincial pour les 10 000 ans de la tourbière d’Alfred
ALFRED – Voilà pas moins de 3 000 hectares, soit 7 500 terrains de football, que couvrent la tourbière d’Alfred et sa promenade. C’est la plus grande tourbière à l’Est de l’Ontario et dans le bassin Sud du Canada. C’est une source de carbone âgée de 10 000 ans et c’est pourquoi cet espace de verdure est un endroit exceptionnel pour la faune et la flore locale. C’est aussi l’habitat de nombreuses espèces, dont des orignaux, oiseaux, moustiques et animaux que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Le gouvernement de l’Ontario lancera prochainement un projet de conservation qui fera l’objet de futures consultations. Pour l’instant, il n’y a pas de plan d’aménagement prévu.
La tourbière d’Alfred deviendra un parc provincial non opérationnel, il n’y aura donc pas d’aires de camping. Cependant, il existe déjà un sentier : le Bog Walk Trail, une passerelle de 273 mètres qui passe au-dessus de la tourbière offrant aux visiteurs la possibilité d’observer cet incroyable écosystème.
« Les intérêts de la tourbière, je les ai à cœur », affirme René Beaulne, habitant d’Alfred, très impliqué dans sa communauté. « Il y a 20 ans, nous avions, avec Don Boudria (ancien député fédéral), travaillé sur un comité de citoyens passionnés de la tourbière. Déjà en 1994, nous demandions à ce que la tourbière devienne un parc fédéral. »
Préservation de la tourbière
Le gouvernement de l’Ontario sera donc à l’initiative de cette nouvelle désignation. L’Ontario possède 115 parcs opérationnels et 225 parcs non opérationnels, en plus de 295 réserves de conservation, soit 9,2 millions d’hectares auxquels s’ajouteront les 3300 hectares de la tourbière d’Alfred.
Il s’agit de la plus grande tourbière à l’Est d’Ottawa. Depuis 10 000 ans, cette tourbière abrite de nombreuses espèces. « Il y a vraiment des tas d’animaux et de plantes différentes », explique M. Beaulne. « Il y a une tortue et des oiseaux assez rares, une fleur carnivore et une sorte d’orchidée qu’on ne voit nulle part. Il faut absolument protéger leur habitat. »
Selon le porte-parole de Conservation de la nature Canada (CNC), Jensen Edwards, « il y a des recensements d’espèces et un plan de gestion et en ce qui concerne la tourbière d’Alfred qui constitue un habitat essentiel pour un oiseau particulièrement menacé : l’engoulevent bois-pourri ».
« Il y a aussi de nombreux orignaux et ce qui est intéressant, c’est qu’ils sont connectés aux orignaux de la tourbière Mer bleue située tout près d’Ottawa. »
Pour CNC, la protection de la tourbière d’Alfred permet de relier entre eux des habitats de l’orignal qui s’étendent de la tourbière Mer bleue à la forêt Larose. « Cela va créer un ruban de verdure entre Ottawa et Vankleek Hill. C’est très important de protéger ce corridor écologique pour permettre aux espèces de se rencontrer et pour diversifier leur génome, pour leur survie. »
La tourbière d’Alfred, c’est un lieu pour les amoureux de la nature, raconte René Beaulne. « Cet endroit est extraordinaire, lorsque j’étais enfant, mon père m’amenait souvent dans la tourbière pour ramasser des bleuets tout en faisant attention de ne pas détruire la diversité, tant de la faune que de la flore. »
« Il faut faire attention où on met les pieds et on peut y observer des insectes, libellules, des amphibiens, des grenouilles. Nous, on allait voir les orignaux au bout de la concession 10 », se rappelle-t-il.
Vieille de 10 000 ans
Au départ, la tourbière s’étendait sur 10 000 hectares, René Beaulne dit avoir sonné l’alarme à plusieurs reprises, mais « elle a perdu du terrain ».
Pour le porte-parole de CNC, « au cours des derniers 200 ans, le développement humain a réduit les tourbières de la région. Celle d’Alfred a perdu un tiers de sa taille d’origine ».
« On a réussi à protéger environ 3 300 hectares de la tourbière. À peu près 1 700 hectares de cette tourbière nous appartiennent et 1 200 hectares ont été transférés à la province. »
M. Edwards, rappelle que depuis 40 ans, CNC tente de préserver cet espace. La tourbière a aussi déjà eu quelques améliorations comme avec la passerelle de la Conservation de la Nation Sud, longue de 273 mètres.
Un enjeu pour l’environnement
« Il y a beaucoup de citoyens pour qui l’environnement est un enjeu sérieux et, en faisant du porte-à-porte pour les élections municipales, ces questions sont très souvent revenues. »
Le porte-parole de CNC se dit très heureux d’entendre que ce projet aille de l’avant. « On a confiance pour cette tourbière puisque le surintendant des parcs provinciaux de cette région nous a donné des assurances que son équipe surveillera de plus près la tourbière afin de s’assurer que les visiteurs s’alignent sur nos valeurs de conservation. »
Il rappelle aussi que les tourbières ont des écosystèmes qui stockent le carbone dans la mousse et qui améliore l’eau. « Elle fonctionne comme une éponge géante qui filtre lorsque l’eau passe à travers les plantes et les racines. »
Une tourbière en aussi bonne santé et bonne condition semble rare dans le sud dans cette région en l’Ontario. M. Edwards explique que c’est plus souvent un système boréal et donc du Nord.
Pour CNC, la priorité est de surveiller la tourbière et de la protéger contre les espèces envahissantes. « Il faut protéger cet espace face aux grandes menaces dont le changement climatique et le roseau commun, très menaçant en milieux humides. »
Jean Saint-Pierre, vice-président de Boisés Est, une association pour les propriétaires de boisés dans l’Est ontarien, considère que la protection de cet environnement devrait s’étendre aux forêts et boisés qui entourent la tourbière. « Ce sont des services écosystémiques. Les arbres absorbent les polluants et réduisent les incidents liés aux inondations. »
Il rappelle que la région tente toujours de sauver et récupérer ce qui a été détruit durant la tempête de mai 2022.
Pour le porte-parole, « tant que nous en prenons bien soin, la tourbière suivra son processus naturel ». En effet, la tourbière d’Alfred assure sa subsistance depuis 10 000 ans.