Un rapport commandé par l’Ontario met en doute la pérennité des petites universités franco-ontariennes
SUDBURY – Attendu depuis cet été, c’est finalement ce mercredi, cinq ans jour pour jour après le jeudi noir, qu’a été dévoilé le rapport « blue-ribbon », ou Harrison du nom de son président. Un comité de spécialistes en enseignement y émet des recommandations au gouvernement sur l’avenir financier du postsecondaire en Ontario, notamment celui des établissements de langue française.
Dans une section consacrée au système d’éducation en français, le comité d’experts, qui compte un seul francophone sur sept membres, part en effet du principe que « l’Ontario peine depuis longtemps à offrir un vaste éventail de programmes s’adressant à la communauté étudiante francophone et francophile ».
Il souligne que le faible nombre d’inscriptions et le manque de financement adéquat de l’Université de l’Ontario français (UOF) et de l’Université de Hearst posent un problème de viabilité, et « doute fort » que les deux institutions « puissent continuer de fonctionner efficacement en tant qu’établissements indépendants et financièrement viables ».
Trois options s’offriraient donc à l’UOF et l’Université de Hearst, la première étant de les fédérer à l’Université d’Ottawa, présenté comme « le principal prestataire de programmes en français de niveau baccalauréat, maîtrise et doctorat », et comptant également « la population étudiante étrangère de langue française la plus importante en Ontario, en soutien direct à la stratégie d’immigration francophone de la province ».
« En se fédérant à l’Université d’Ottawa, ces universités pourraient bénéficier d’une capacité de planification future pertinente au regard des besoins du marché du travail en français, grâce à la collaboration étroite d’établissements complémentaires », peut-on encore lire dans le rapport faisant 83 pages.
La deuxième option serait un partenariat avec le Collège Boréal de Sudbury et celui de La Cité à Ottawa. Déclarant être conscient des difficultés de ce genre d’entreprise, le comité propose même d’élargir ce partenariat à des établissements hors Ontario tels que l’University Thompson Rivers (UTR) en Colombie-Britannique, dont le volet important d’apprentissage ouvert serait « susceptible de séduire davantage de membres francophones dans les collectivités du Nord ».
Et d’ajouter : « Cela pourrait être l’occasion d’inventer une option université-collège en Ontario ayant pour mission spéciale de dispenser des programmes axés sur la carrière et ainsi d’offrir aux détenteurs d’un diplôme collégial des possibilités d’obtenir un grade universitaire, de servir la francophonie, de promouvoir le français ainsi que la diversité culturelle et linguistique, et de faire preuve d’esprit d’innovation et d’adaptation aux besoins des employeurs du secteur privé. »
Une porte ouverte pour l’Université de Sudbury?
La troisième option explore la création d’un consortium de tous les établissements postsecondaires francophones et bilingues de la province chapeauté par l’Université d’Ottawa, une possibilité qui pourrait être retenue dans le cas de l’Université de Sudbury que la province a refusé de financer en juin dernier.
Selon les experts, ce consortium officiel pourrait également avoir pour mandat de servir d’autres collectivités de l’Ontario enregistrant une forte présence francophone. Si le comité évoque la région de Windsor où des diplômés francophones seraient recherchés, cette piste pourrait aussi concerner la région de Sudbury comptant une grande proportion de francophones.
« Le mandat émanant du gouvernement pourrait inclure la mise en place d’inscriptions croisées et la prestation en consortium des cours en cas de faible effectif, dans l’optique générale de réaliser des économies d’échelle », lit-on.
« Grâce aux engagements financiers connexes du gouvernement, le consortium pourrait élargir les offres scolaires afin d’inclure la technologie, les métiers et les disciplines de santé, contribuant ainsi à l’agenda des compétences de l’Ontario. »
Le rapport suggère aussi que la répartition du financement fédéral pour les institutions francophones et bilingues soit révisée pour que l’Université d’Ottawa reçoive plus, en tenant compte de la part importante du marché étudiant francophone qu’elle occupe.
À noter, en toute fin de rapport, une annexe précise que le seul membre francophone et du Nord au sein du comité, Maxim Jean-Louis, n’aurait pas soutenu ces propositions.
Augmentation des frais de scolarité
Une autre recommandation plus générale concerne le potentiel financier d’une augmentation des frais de scolarité des étudiants. Cette éventualité « permettrait d’augmenter l’aide provinciale directe aux collèges et universités, ce qui se traduirait par une hausse du financement par étudiant et du nombre d’étudiants », juge le comité.
En 2019, la province a réduit de 10 % les droits de scolarité que versent les étudiantes et étudiants canadiens admis dans les collèges et universités. Depuis lors, un gel est en vigueur et le restera en septembre 2023, comme le rappelle le comité qui dit constater que ce gel a mis en difficulté les établissements.
Le groupe d’experts prévoit un rajustement ponctuel à la hausse des droits de scolarité de 5% à payer aux collèges et universités qui prendra effet en septembre 2024, « de façon à compenser en partie l’inflation subie ces dernières années » avec une augmentation supplémentaire de 2% les années suivantes toujours selon l’indice des prix à la consommation.
« J’ai l’intention de travailler avec les établissements d’enseignement postsecondaire pour accroître l’efficience des activités, améliorer l’offre de programmes et la viabilité du secteur », a déclaré par voie de communiqué la ministre des Collèges et des Universités de l’Ontario, Jill Dunlop, laquelle avait recommandé la création du comité en mars dernier.
Celle-ci a néanmoins exprimé une réserve quant à certaines des recommandations du comité : « Toutefois, avant d’accepter toute augmentation des droits de scolarité, nous devons nous assurer que les collèges et les universités prennent les mesures nécessaires pour fonctionner de la manière la plus efficiente possible. »
Le groupe dit constater, en outre, un écart important entre l’Ontario et le reste du Canada en ce qui
concerne le financement des collèges et universités. En exemple, des données de 2021-2022 montrent que le financement de l’Ontario par étudiant/étudiante des universités est estimé à seulement 57% comparé au reste du Canada.
Défis du Nord, Étudiants étrangers, transparence financière
Dans ce rapport, qui ne manquera pas de susciter de vives réactions, le comité d’expert reconnaît enfin l’importance d’évaluer les spécificités régionales particulière du Nord qui connaît une faible croissance démographique comparé aux autres régions. Dans une piste de solution, il est question « d’accroître les subventions à des fins particulières au profit des collèges du Nord, ruraux et éloignés, ainsi que la subvention pour les universités du Nord, afin de tenir compte des coûts de fonctionnement supérieurs ».
« Plusieurs (de nos) recommandations soulignent l’importance de reconnaître que certains acteurs du secteur postsecondaire font face à des défis particuliers, ce qui exige une certaine souplesse dans le soutien apporté afin d’assurer la viabilité financière à long terme et de soutenir la croissance économique régionale. »
Par ailleurs, bien qu’ils soient considérés comme une source de revenu essentielle, le comité estime que « la dépendance aux étudiants étrangers doit être reconnue explicitement comme un risque financier et intégrée dans les analyses de la viabilité des établissements. » Et de continuer : « Il conviendrait, par exemple, de fixer des objectifs de diversité géographique des étudiantes et étudiants étrangers et d’exiger que ces derniers puissent prévoir le montant de leurs droits de scolarité. »
Toujours selon les experts, il faudrait veiller à ce que la culture du conseil d’administration puisse « encourager la transparence et la divergence ouverte des points de vue ». En toile de fond, la crise à la Laurentienne qui a déclenché la publication de plusieurs rapports y compris celui de la vérificatrice générale, paru presque deux ans plus tôt, sur lequel le comité dit s’être appuyé pour ses recherches.
« Il convient de mettre en place un programme solide de gestion des risques afin de cerner les menaces susceptibles de compromettre la viabilité financière des établissements. De plus, les conseils d’administration devraient instaurer un processus annuel d’autoévaluation permettant de relever des axes d’amélioration continue. »