Le projet d’Université de Sudbury « par et pour » rejeté par la province
SUDBURY – Le projet d’une université par et pour les francophones dans le Moyen-Nord vient d’encaisser un revers majeur. Le ministère des Collèges et Universités ne financera pas l’Université de Sudbury. À peine dévoilée ce vendredi en fin de journée, cette nouvelle a déjà suscité une onde de choc dans la communauté franco-ontarienne de Sudbury.
Dans un communiqué diffusé la veille du long week-end de la fête du Canada, le ministère indique que « la proposition de l’Université de Sudbury, y compris la demande de financement visant à créer une université autonome de langue française, ne reflète pas la demande actuelle ni les tendances en matière d’inscription ».
Le ministère, qui s’est appuyé sur les conclusions de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire (CEQEP), justifie sa décision par l’offre postsecondaire en français déjà existante dans la région du Grand Sudbury et dans l’ensemble de l’Ontario.
Sa décision est aussi fondée sur un examen du marché du travail, des programmes offerts, de l’intérêt des étudiants, du besoin de collaboration institutionnelle et des propositions soumises par l’Université de Sudbury.
C’est un coup dur pour les partisans du projet, d’autant que l’institution – qui n’offrait plus de programmes depuis deux ans – avait franchi toutes les étapes préalables : autonomie, laïcité et unilinguisme francophone… Il ne lui manquait que l’accréditation du ministère des Collèges et Universités.
Le recteur Serge Miville n’était pas parvenu à convaincre le gouvernement de faire place au projet dans le dernier budget provincial au printemps dernier, mais plusieurs sources communautaires proches du dossier espéraient un déblocage à l’automne prochain.
Incompréhension totale
Pour le recteur de l’établissement qui a vu la création du drapeau franco-ontarien, la nouvelle a été particulièrement surprenante.
« C’est une très grande surprise surtout qu’ils ont le plan d’affaires depuis un peu plus de six mois et la seule rétroaction qu’on a reçue, était élogieuse », confie-t-il en évoquant le plan d’affaires. Soumis dans le cadre du processus de la CEQEP, celui-ci avait pourtant confirmé la concordance entre les besoins du marché du travail et les programmes proposés.
Il ajoute, qu’en outre, les dialogues avec la province étaient très positifs et constants.
L’institution « envisagera les prochaines étapes, car elle est solidaire de sa communauté et cherche à créer davantage d’options d’éducation postsecondaire dans une université par et pour », précise-t-elle dans un communiqué.
Une étude publiée le mois dernier par le Centre de leadership et d’évaluation estimait également l’impact économique global de l’Université de Sudbury à près de 90 millions de dollars pour le Moyen-Nord de l’Ontario pour l’année académique 2028-2029.
« Nous continuerons à travailler avec l’ensemble des établissements d’éducation francophones pour contribuer à offrir un enseignement postsecondaire de qualité aux communautés du Nord ainsi qu’aux communautés francophones de l’Ontario », assure, de son côté, le ministère dans son communiqué.
L’Université de Sudbury a aussi laissé la porte ouverte à la suite des pourparlers avec le provincial.
« Nous continuerons à travailler avec le gouvernement de l’Ontario pour clarifier les points du plan alors que nous envisageons nos options. »
« Pas un premier non qui va nous ralentir »
Pour l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), il n’est pas question d’en rester là. Celle-ci indique qu’elle va « étudier la réponse et nous organiser », tout en invitant les francophones ontariens et canadiens à rester à l’écoute.
« Un nouveau chapitre va s’écrire dans ce dossier. Nous visons la réussite et ce n’est pas un premier non qui va nous ralentir. »
L’organisme des Franco-Ontariens s’est dit « grandement déçu que la province ait choisi la voie du statu quo et récompense la mauvaise gestion de l’Université laurentienne au détriment de la saine gestion de l’université de Sudbury ».
Dans une déclaration, le bureau de la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor, qualifie de « grande déception » la décision de l’Ontario. Ottawa avait annoncé l’an dernier un financement de deux millions de dollars pour contribuer au projet de l’institution franco-ontarienne.
« La communauté franco-ontarienne du Moyen-Nord s’était ralliée derrière ce projet rassembleur depuis ses débuts et avait fait les preuves d’un modèle »par et pour » (…) Il est essentiel pour nos communautés de langue officielle en situation minoritaire de pouvoir se doter d’institutions fortes pour assurer leur vitalité. Nous allons prendre le temps de parler avec l’Université, la communauté et la province de l’avenir du postsecondaire dans la région », a indiqué la directrice des communications de la ministre, Catherine Mounier-Desrochers.
Le sujet pourrait revenir dès la semaine prochaine alors que les ministres Caroline Mulroney et Ginette Petitpas Taylor seront réunies du côté de Vancouver le 6 et 7 juillet dans le cadre d’une conférence du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne.
Un timing difficile
Pour beaucoup, le choix de révéler cette information un vendredi en fin de journée, la veille d’un long congé et de la fête du Canada. Cela rend la nouvelle encore plus amère, estime Fabien Hébert, président de l’AFO.
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) se dit « solidaire » de l’AFO et des francophones du Nord de l’Ontario.
Celle-ci intervient également moins de deux semaines après l’adoption majoritaire de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Pour M. Hébert, pour accueillir davantage d’immigrants et rétablir le nombre de francophones au pays, comme le veut le nouveau libellé, une décision positive aurait été plus logique.
« On est en train, d’un côté de dire, il faut augmenter la communauté francophone, de l’autre, on dit qu’ils n’auront pas besoin d’institutions éducationnelles », s’étonne-t-il.
« 110 ans après l’adoption du Règlement 17, on doit continuer de se battre pour notre éducation en français », a laissé savoir l’AFO dans un de ses nombreux gazouillis de réactions.
Autres réactions
Denis Constantineau, porte-parole de la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française, se dit déçu, mais pas surpris de la décision du bureau de Jill Dunlop.
Réagissant au motif du refus invoqué par le gouvernement conservateur, celui-ci répond que l’établissement est un vrai besoin pour le Nord.
« On ne construit pas l’université pour ce qu’on a besoin aujourd’hui, une université c’est un projet de société, pour planifier l’avenir ». Il ajoute que c’est aussi un manque à l’échelle de toute la province.
Même son de cloche chez le député néodémocrate et porte-parole de l’opposition officielle aux Affaires francophones, Guy Bourgouin selon lequel « les droits acquis des francophones en Ontario prennent du recul.
Le Franco-Ontarien estime que le gouvernement conservateur « montre ses vraies couleurs aujourd’hui sur sa position ».
À la déception s’ajoute la colère chez bien des francophones de la région, y compris Réjean Grenier, éditorialiste bien connu de Sudbury. Celui qui écrit souvent des chroniques enflammées sur l’établissement, va jusqu’à dire qu’« il n’y a personne dans ce gouvernement-là qui croit dans la francophonie ontarienne incluant ceux qui parlent français ».
Avec la collaboration de Rudy Chabannes et Pascal Vachon.
Article mis à jour vendredi à 19 h.