Un remède contre l’insécurité linguistique

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OTTAWA – La Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) profite de la Journée internationale de la francophonie, ce vendredi 20 mars, pour dévoiler la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique.

« Le sentiment de ne pas être compétent, de ne pas faire le poids ou de ne pas être à la hauteur de l’Autre ou encore, la peur de commettre des fautes », c’est ainsi que l’écrivaine franco-ontarienne de Kapuskasing, Hélène Koscielniak, décrivait l’insécurité linguistique dans un texte paru dans la revue Liaison, au printemps 2016.

Le sujet est une préoccupation constante de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) depuis 2014. Et après avoir recensé 64 documents sur la question, recueilli cinq mémoires, tenu 25 groupes de conversation, organisé un sondage à travers le Canada et un Symposium national sur la sécurité linguistique en mai dernier, l’organisme révèle le fruit de son travail.

« C’est un aboutissement en un sens et, avec les organismes partenaires, nous sommes très satisfaits, mais c’est loin d’être complété. On a fait le travail de refléter les idées, mais si ce n’est pas appliqué, ce document ne vaudra pas grand-chose », prévient la présidente de la FJCF, Sue Duguay.

Disponible en français et en anglais, le document préfère insister sur la sécurité linguistique plutôt que l’insécurité linguistique, afin d’aborder la problématique de façon positive, ajoute-t-elle.

Phénomène complexe

Car le phénomène est complexe, reconnaît-on dans le document, qui parle d’un enjeu de société autant que d’une expérience individuelle.

« Mais ça prend un système en place pour que l’individu puisse s’y retrouver et se sentir en sécurité linguistique », insiste Mme Duguay.

Dans le sondage mené auprès de 1 374 personnes en 2018, la grande majorité des répondants disaient écouter la télévision et la musique en anglais et reconnaissaient être eux-mêmes source d’insécurité linguistique.

« On le sait, c’est la réalité des francophones en contexte minoritaire. Quand on pense à la production médiatique en français, elle est rare à l’extérieur du Québec. On n’a pas beaucoup la chance de s’entendre et de se voir. Ce système crée une hiérarchie linguistique », analyse Mme Duguay.

La présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, Sue Duguay. Gracieuseté Franky photography

L’enjeu ne concerne pas que les jeunes, insiste l’organisme porte-parole des de la jeunesse francophone vivant en situation minoritaire, même si l’insécurité linguistique tend à se dissiper avec l’âge, note-t-on.

Quatre domaines d’intervention

Pour contrer ce phénomène, la Stratégie cible quatre domaines d’intervention : l’éducation, le marché du travail, la culture et les médias et les politiques publiques.

« Quand on a décortiqué ce que les gens nous disaient, ce sont les quatre domaines qui ressortaient. C’est-à-dire que c’est de là que vient le problème, mais aussi de là que peuvent venir les solutions. Si on a des écoles où on comprend la sécurité linguistique, on pourra toucher des générations. »

Pour chaque domaine, plusieurs pistes d’action sont proposées, comme d’augmenter les services en français de la petite enfance au postsecondaire, de former les enseignants à la sécurité linguistique, de développer du contenu canadien francophone pour tous les publics ou encore, d’inciter les entreprises à utiliser le français au travail.

Plusieurs aspects de la modernisation de la Loi sur les langues officielles pourraient également aider, souligne le document, dans lequel on souhaite également que Radio-Canada soit davantage encouragée à refléter la diversité de la francophonie canadienne, notamment son réseau national.

Pas une solution définitive

La balle est désormais dans le camp du gouvernement, mais pas uniquement, insiste Mme Duguay.

« Notre groupe de travail était très diversifié, avec des parents, des gens du milieu de l’éducation, de la communauté… Il y a une composante qui concerne les pouvoirs publics, mais on aimerait aussi embarquer la majorité. Il faut donc que tout le réseau se mobilise, pousse le document et appelle à l’action. On sait que médiatiquement, le coronavirus occupe beaucoup d’espace, et c’est normal, pour nous ce sera donc un travail de longue haleine. »

Des participants en discussion au Symposium national sur la sécurité linguistique. Gracieuseté : FJCF

L’enjeu est d’importance, insiste la FJCF, afin de ne pas perdre davantage de locuteurs francophones. Dans le sondage mené par la FJCF pour développer cette stratégie, seulement 66 % indiquait que le français était leur langue préférée et 55 % s’identifiaient comme francophones, alors que 74 % des répondants étaient de langue maternelle française.

« C’est comme un terrain qui subirait de l’érosion. Si tu ne plantes pas d’arbres ou ne met pas de pierres, ça continuera. Cette stratégie, c’est un peu un arbre qu’on plante », illustre Mme Duguay, soulignant que la démarche a déjà permis de sortir le sujet des laboratoires de sociolinguistique pour normaliser la discussion.

Toujours est-il que l’organisme se montre réaliste.

« Cette stratégie ne réglera pas l’insécurité linguistique, car celle-ci peut avoir du bon. C’est comme le stress, ça peut te bloquer, mais ça peut aussi te pousser à faire plus, à vouloir découvrir. »

Quelques actions prioritaires

  • Mener une campagne nationale pour promouvoir la diversité culturelle, régionale et langagière de la francophonie canadienne
  • Favoriser la recherche et le partage de la recherche sur la sécurité linguistique
  • Augmenter le nombre d’échanges permettant aux Canadiens de séjourner dans des collectivités francophones

En éducation

  • Former le milieu éducatif à la francophonie canadienne, aux variantes du français et à la sécurité linguistique
  • Intégrer des modules sur la sécurité linguistique aux programmes-cadres partout au pays
  • Assurer l’accès à l’éducation postsecondaire en français

Sur le marché du travail

  • Sensibiliser les entreprises à l’importance d’afficher leur appartenance à la francophonie
  • Offrir des incitatifs aux entreprises qui favorisent l’offre active de services en français et l’utilisation du français au travail

Dans le domaine culturel et médiatique

  • Développer une politique culturelle canadienne, avec une place importante pour la francophonie canadienne
  • Accroître et diversifier le financement pour la création de contenus de la francophonie canadienne
  • Assurer que les médias diffusent plus de contenus de la francophonie canadienne pour tous les publics
  • Augmenter les prestations d’artistes de la francophonie canadienne à travers le pays

Dans les politiques publiques

  • Moderniser et consolider la Loi sur les langues officielles
  • Mettre en œuvre une stratégie intergouvernementale de promotion et de mise en valeur des langues officielles
  • Consolider et bonifier les lois et mesures qui appuient la sécurité linguistique aux paliers provinciaux, territoriaux et municipaux