Un toit pour tous?
[ANALYSE]
Les municipalités de l’Ontario n’ont pas beaucoup d’outils à leur disposition pour construire du logement abordable. Mais les choses pourraient bientôt changer. La province songe à donner aux villes le pouvoir d’exiger des promoteurs immobiliers qu’ils incluent des unités de logement à prix modique dans leurs projets.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault
Ce n’est pas rien.
Sur papier, ce concept de « zonage inclusif » pourrait donner à une ville comme Ottawa le pouvoir d’ériger aux frais de l’entreprise privée quelques centaines d’unités de logement abordable par année. Il serait ainsi possible de revitaliser des quartiers au grand complet sans chasser leurs résidents moins nantis.
Aux États-Unis, où des politiques de « zonage inclusif » existent depuis le début des années 1970, il s’est construit environ 150000 unités de logement abordable au cours de la dernière décennie.
Imaginons un instant ce qu’un projet de 300 unités de logement, dont 60 unités à prix modique, pourrait apporter au chemin Montréal dans le quartier Vanier, à Ottawa. Une grande tour de verre. Un petit café au rez-de-chaussée. Un résident qui sort son Audi du garage souterrain. Un autre qui attend le bus #12 au coin de la rue. L’harmonie.
Mais dans la pratique, ça risque d’être un peu plus compliqué.
L’Ontario Home Builders’ Association, qui représente 4000 promoteurs et entrepreneurs à travers la province, a déjà mis en garde Queen’s Park contre une hausse du prix du logement si les municipalités adoptent des règlements de « zonage inclusif ». La facture de l’unité abordable et donc moins rentable, c’est l’acheteur d’un condo au prix du marché qui risque d’en écoper.
Dans certaines villes américaines comme Los Angeles, le « zonage inclusif » aurait accéléré la gentrification des vieux quartiers et gonflé le prix du logement pour l’ensemble des résidents à un tel point que les unités dites « abordables » ne le seraient plus vraiment.
Étalement urbain
Le « zonage inclusif » pourrait aussi mener à davantage d’étalement autour de grandes villes comme Ottawa et Toronto. Les promoteurs immobiliers pourraient être tentés de déserter les centres-villes où les besoins en matière de logement abordable sont plus grands, pour concentrer leurs activités dans des banlieues mieux nanties où les restrictions de zonage seraient probablement moindres.
Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a promis de mettre fin à l’itinérance chronique en Ontario d’ici dix ans. L’objectif est ambitieux. La liste d’attente pour du logement abordable dépasse les 10000 noms à Ottawa et les 90000 noms à Toronto.
Est-ce que le « zonage inclusif » est la meilleure solution? Pas sûr.
Dans les faits, une ville peut déjà exiger une compensation d’un promoteur qui veut bâtir au-delà de la hauiteur permise sur un site, en vertu de l’article 37 de la Loi sur l’aménagement du territoire de l’Ontario. Pour une tour de quinze étages où le zonage n’en permet que huit, une municipalité peut demander en échange à un promoteur d’aménager un parc ou un centre communautaire. Pourquoi pas quelques unités de logement abordable?
Mais non.
Et la raison est simple. C’est l’industrie immobilière qui dicte le développement des villes ontariennes et non pas le contraire. Les promoteurs voient les plans d’urbanisme comme des directives qu’ils peuvent interpréter à leur avantage bien plus que des lois auxquelles ils doivent obéir.
Avant de légiférer sur des politiques d’inclusion, si nobles soient-elles, il faudrait peut-être reconnaître aux règlements de zonage leur vraie valeur et les faire respecter.
Cette analyse est publiée également dans le quotidien LeDroit du 19 mars.