Une Franco-Algonquine chante l’hymne national en français, algonquin et anglais au match des Blue Jays
TORONTO – Ce samedi, Journée nationale de la vérité et réconciliation, pour la première fois, l’hymne national canadien sera chanté en algonquin, français et anglais à un match des Blue Jays de Toronto. La voix de la policière franco-algonquine Chantal Larocque, de la région de Nipissing dans le Nord ontarien, résonnera devant près de 49 000 spectateurs.
Ce fut tout un cocktail d’émotions pour la sergente Chantal Larocque, du service de police Anishinabek de la Première Nation Nipissing, au moment où elle a reçu l’appel, un mois plus tôt, lui indiquant la nouvelle.
« La première fois quand j’ai reçu le message, je n’y ai pas cru », confie-t-elle. C’est grâce à une vidéo propulsée sur les réseaux sociaux et dans laquelle la policière chantait, dans les trois langues, l’hymne du pays que la proposition est arrivée sur la table.
Diffusée en 2021 et réalisée par le réalisateur de North Bay, Ed Regan, la vidéo a fait le tour des écoles et des équipes sportives et a rencontré un certain succès sur la toile.
« Quelqu’un des Blue Jays a vu la vidéo et a pensé que ce serait une bonne idée pour la journée de vérité et réconciliation de retrouver cette policière-là », raconte-t-elle.
Et de la difficulté, il y en a eu, car celle-ci explique qu’il y a eu un petit moment avant qu’ils puissent la rejoindre. Pour donner une réponse à la proposition, en revanche, ça n’a pas été long : « J’ai dit oui, tout de suite », indique-t-elle.
Depuis, la réponse de la communauté est unanime et les messages de félicitations ne cessent de lui être adressés.
Une première
Il s’agit de la première fois que l’hymne est entonné à la fois en langue algonquine et celle de Molière avant un match de l’équipe mythique de baseball de Toronto. L’an dernier, à la même journée, l’hymne avait été chanté en Pied-noir (ou Blackfoot en anglais, un langage d’une Première Nation d’Alberta), français et anglais par la chanteuse albertaine Tsuaki Marule.
En 1978, la chanteuse Ruth Ann Wallace avait entonné l’hymne partiellement en français, sous les huées du public de l’époque. Un scénario qui aurait du mal à se reproduire aujourd’hui alors que plusieurs autres cérémonies d’ouverture ont employé la langue de Molière. Loin d’être inquiète, la policière se dit excitée de chanter devant une aussi grande foule.
« Ça me surprend, mais ça me rend encore plus fière. C’est la Journée de la réconciliation, mais je suis aussi Franco-Ontarienne donc pour moi c’est un honneur de le chanter dans les trois langues qui me représentent », déclare-t-elle.
Et de continuer : « J’ai conscience que les temps ont changé plus rapidement que ceux des affaires autochtones. J’espère marquer le début d’une ouverture d’esprit à ce sujet. »
Pour l’occasion, l’hymne sera divisé en trois parties : la première en français, la seconde en anglais et la troisième en algonquin. « Le meilleur pour la fin », plaisante-t-elle.
Une belle énergie dans le stade
Pour accompagner ce moment historique, la sergente portera une tenue traditionnelle qui comprend une plume d’aigle. « C’est celle qui représente notre détachement à Nipissing. Je vais la porter avec fierté demain, non seulement pour nous, le service policier, mais pour tout le peuple autochtone de toutes les différentes Nations », explique-t-elle.
Elle souhaite ainsi voir une certaine reconnaissance envers la communauté : « Souvent, on n’est pas connu, pas reconnu et encore plus souvent quand on fait les manchettes c’est pour les mauvaises raisons. »
« C’est tellement le fun d’avoir une histoire positive, et une représentation positive aussi », continue-t-elle.
La sergente est-elle une admiratrice de l’équipe des Blue Jays? « Je ne regarde pas beaucoup le baseball, faute de temps, mais si je devais en supporter une ce serait définitivement celle-ci. » Ce match sera aussi décisif pour l’équipe qui pourrait se qualifier pour les séries en cas de victoire.
« Ils sont dans une très bonne position en ce moment. Je pense qu’il va y avoir une belle énergie dans le stade », dit-elle en espérant que son chant puisse porter chance à l’équipe. « Je ne veux pas me faire blâmer s’ils perdent après ma version d’Ô Canada! » prévient-elle avec humour.
Une délégation de 200 personnes, incluant des membres de sa division de police et de son entourage, viendra assister à l’événement, dont une vingtaine de francophones de sa région.
Et une chose est sûre, il sera difficile de les manquer, car ils porteront un t-shirt orange fait sur mesure pour l’événement avec le nom de la police algonquine : « La majorité, 130, va être dans la même section donc on devrait avoir un impact visuel, disons. »
Ne pas s’arrêter là
Impossible, pour le moment, de savoir si une telle initiative pourrait se pérenniser, mais, selon la Franco-Algonquine, il faudrait penser au-delà de cette journée : « La Journée de la réconciliation, c’est beau, mais ce qui compte c’est ce qu’on fait les autres 364 jours de l’année. »
Elle ajoute qu’elle aimerait voir d’autres grands événements sportifs de l’année incorporer une portion de langue autochtone dans l’hymne précédant les joutes.
« Si ça amène à d’autres choses, ça n’a pas besoin d’être la mienne, mais ce serait tellement le fun de voir d’autres gens avoir l’opportunité de donner leur version avec un segment ou la totalité en langue autochtone. »
Le match aura lieu samedi à 15h07 au stade Rogers, au centre-ville de la Ville Reine, et opposera l’équipe de Toronto à celle des Tampa Bay Rays. Le match affiche presque complet à l’heure où nous écrivons ces lignes. D’importantes délégations autochtones, comprenant des enfants et des survivants, seront célébrées lors du match.