Une Franco-Ontarienne raconte son calvaire dans un pensionnat : « Je demandais juste à mourir »

Le nom traditionnel de Micheline Boisvert, Nashe Tag Nebwa, signifie "maman de beaucoup". Gracieuseté

CHAPLEAU – « Je suis triste car ça aurait pu arriver à moi, à mes petits frères ou à ma petite sœur, mais on a survécu ». À 75 ans, Micheline Boisvert, une survivante de pensionnat, métisse d’ascendance algonquine, a difficilement enduré la découverte de Kamloops. Ce charnier d’enfants mis à jour sur les terrains d’un pensionnat en Colombie-Britannique l’a ramenée à ses propres souffrances dans une école résidentielle en Abitibi et à sa propre découverte, des années plus tard, d’un lieu de sépulture abandonné dans le Nord ontarien. Récit d’une expérience déchirante et d’une guérison puisée dans l’amour portée aux enfants en difficulté.

Ballotée de foyer en foyer, dans les années 50, Mme Boisvert a connu 13 familles d’accueil jusqu’à l’âge de ses 12 ans. Son destin a alors basculé dans un véritable cauchemar qui aurait pu lui coûter la vie.

« À ma dernière journée d’école, les religieuses sont arrivées où je demeurais, avec des sacs poubelles. Il n’y avait pas besoin de m’expliquer ce qui se passait. Je savais que j’allais partir. Mais cette fois, ce n’était pas dans une nouvelle famille. C’était dans une école résidentielle. »

Répandus à travers tout le Canada, 139 pensionnats, sous l’autorité de l’Église, ont accueilli près de 150 000 enfants autochtones, inuits et métis de 1820 aux années 1990, dans le but de les assimiler. Le dernier a fermé en 1996. Celui d’Amos, dans lequel Mme Boisvert a passé près de quatre ans, a fonctionné de 1955 à 1973.

« La première fois que j’ai vu cette grande bâtisse, j’ai trouvé ça tellement beau et tellement propre mais, quand j’ai levé les yeux, je me suis aperçu qu’il y avait des barreaux aux fenêtres », se souvient-elle. « On m’a tout de suite fait comprendre qu’il fallait oublier qui on était, faire comme si on venait de venir au monde. On me disait que j’étais une moitié-moitié. On m’appelait la sauvage et on me coupait les cheveux courts. Si un enfant dérangeait, on le cassait. (…) J’en ai mangé des coups de règle sur les doigts. »

Séquestrée pendant trois semaines dans une cave

Après une première année d’école coupée de sa famille, son calvaire débute au deuxième automne. « Un jour, j’ai laissé tomber mon dictionnaire par terre en classe. La religieuse a viré de bord et m’a dit « On en a fini avec vous ». On m’a assise dans le corridor pendant quatre heures, devant le bureau de la directrice. Puis deux religieuses m’ont pris par le bras en me disant qu’elles allaient me « montrer comment vivre ». Elles m’ont descendue dans le sous-bassement et ont ouvert une porte sans poignée, me poussant dans une petite pièce qui n’avait pas de fenêtre. »

Avec pour seule commodité un pichet d’eau, un pot de chambre et un sandwich déposé la veille, la jeune enfant va alors rester prostrée dans la pénombre pendant près de trois semaines. « T’es bien mieux d’économiser ton eau et ton manger, car ça se peut que demain on ne soit pas capable de venir te chercher » lui auraient alors lancé les religieuses.

« J’avais perdu la notion du temps. Je vomissais. J’avais des étourdissements et de la misère à marcher. Je perdais mes cheveux » – Micheline Boisvert

Ces bourreaux reviendront à intervalles irréguliers, durant deux semaines, pour lui apporter de l’eau et un sandwich, la laissant parfois trois jours sans nourriture. La troisième semaine, la situation se détériore. « On m’a oubliée. On ne venait plus me visiter. J’avais perdu la notion du temps. Je vomissais. J’avais des étourdissements et de la misère à marcher. Je perdais mes cheveux. J’avais apprivoisé la noirceur. Je demandais juste à mourir. (…) J’avalais le liquide sucré de la fournaise en arrière (de l’antigel) et je cherchais à la dévisser avec une lime trouvée dans une valise pour qu’ils aient froid en haut et qu’ils descendent. »

La kokom (grand-mère en anichinabé) Micheline Boisvert. Gracieuseté

Le stratagème fonctionne. Après trois semaines de séquestration, une religieuse découvre l’enfant dans un état critique et la prend sous son aile durant plusieurs jours avant son retour en classe. Elle doit alors dire à ses camarades que son absence était due à des vacances dans sa famille.

Plus tard, la religieuse qui l’a sauvée refusera de prendre ses vœux et trouvera une famille à Mme Boisvert qui, à ses 16 ans, est débarrassée de son statut de pupille du gouvernement. Ses nouveaux tuteurs finissent par l’abandonner, lui laissant une lettre d’inscription à l’hôpital pour devenir infirmière.

« À l’hôpital, j’ai découvert que d’autres étaient dans le malheur. J’ai embarqué là-dedans et j’ai trouvé que ma vie n’était pas si pire malgré tout car je m’en étais tirée. J’ai passé une partie de ma vie à élever des enfants de l’assistance sociale (plus d’une cinquantaine), dont la majorité était des Premières Nations qu’il fallait sortir de la violence et de la drogue. Je les ai éduqués comme si c’était mes enfants car, quand je leur ouvre la porte, c’est à moi-même que j’ouvre la porte. »

Découverte d’un lieu de sépulture pour enfants

Des années plus tard, Micheline Boisvert a découvert, à Chapleau, où elle réside, un cimetière d’enfants abandonné. La commune en compte trois. Ils étaient utilisés par l’école résidentielle St John, un des 15 pensionnats que comptait l’Ontario. « Je me suis mise à nettoyer les pierres tombales et à faire des attrape-rêves avec les enfants pour les accrocher autour. J’y emmenais les enfants pour leur dire que la vie n’est pas toujours aussi facile qu’on le pense. »

Depuis, les trois réserves de Chapleau ont reconnu le cimetière et le protègent. Une plaque commémore « ceux qui ne sont jamais rentrés à la maison ». Un documentaire de l’animateur culturel Félix Saint-Denis raconte cette histoire et s’efforce de la transmettre aux générations futures.

À 75 ans, Micheline pratique la chasse et la pêche. Elle vit selon les coutumes de sa grand-mère algonquine. Elle confie n’avoir jamais révélé qu’elle était métisse au cours de sa vie active car, selon elle, elle n’aurait jamais eu son travail de responsable dans un cabinet dentaire. « Ma grand-mère m’a toujours dit de ne jamais dire que j’étais métis et de ne jamais parler de la famille et des indiens. Mais, à un moment donné, j’ai éclaté car ce cimetière avait besoin d’être reconnu. »

Dans la foulée de la découverte de Kamloops, le gouvernement ontarien a fait un pas en avant en évoquant des fouilles pour identifier les lieux de sépultures disséminés à travers l’Ontario. Le premier ministre Doug Ford doit faire une annonce ce mardi sur cette question.

Mme Boisvert juge cette reconnaissance tardive et souhaite que ces lieux soient dédiés à la mémoire. « Qu’on ne coupe pas les arbres. Qu’on ne brasse pas la terre. Qu’on laisse ces places tranquilles. Qu’on en fasse des places de recueillement mais qu’on n’aille pas violer ces terres, car les enfants enterrés là sont habitués d’être autour. »