Une initiative franco-manitobaine rayonne à l’international
WINNIPEG – La COVID-19 a apporté son lot de difficultés pour les journaux francophones en situation minoritaire, confrontés notamment à une baisse de la publicité. Mais certains sont parvenus à faire de la pandémie des occasions d’innovation, comme le journal La Liberté, dont l’initiative rayonne hors des frontières du Canada.
« C’est de mon rôle de maman qu’est née cette initiative. Nous étions en Guadeloupe, où mon mari travaillait pour l’hôpital, quand la COVID-19 est arrivée. Mes enfants me posaient beaucoup de questions. Je voulais trouver des ressources pour leur expliquer, mais je me suis aperçue qu’il y en avait très peu. La journaliste ne sort jamais de la maman et je me suis dit que si je cherchais ce genre d’informations, je ne devais pas être la seule. »
Cinq semaines plus tard, la directrice et rédactrice en chef du journal La Liberté, Sophie Gaulin, produisait avec son équipe Sciences Mag junior, un magazine éducatif et informatif de 64 pages illustrées expliquant la COVID-19 et le système immunitaire aux enfants, sous la direction scientifique du professeur à l’Université du Manitoba, Jean-Éric Ghia.
« On avait neuf personnes à temps plein qui ont travaillé soir et week-end pour y arriver. On savait qu’on répondait à un besoin et cela a permis de garder tout le personnel en poste durant la COVID-19 », explique Mme Gaulin.
Publiée en mai, grâce à la collaboration d’une quinzaine d’experts scientifiques de l’Hôpital Saint-Boniface et de son Centre de recherche Albrechtsen, mais aussi de l’Université du Manitoba ou encore du Children’s Hospital Research Institute of Manitoba (CHRIM), l’initiative a été saluée par de nombreux professionnels. Dans une lettre, l’experte en littératie dans le domaine de la santé de la Mount Sinaï School of Medicine à New York, Christina Zarcadoolas estime qu’il s’agit de « la meilleure publication destinée à la jeunesse que j’ai pu lire ».
En pirogue à travers la Guyane
Disponible en français, puis traduit en anglais, le magazine a été distribué dans le Winnipeg Free Press et dans La Liberté, mais aussi en kiosque et dans les écoles, avant de s’évader au Nouveau-Brunswick et hors des frontières du Canada.
« Au Canada, la version anglaise a été plus téléchargée. Mais c’est la version française qui nous a permis de l’exporter », précise Mme Gaulin pas peu fière qu’une initiative de la francophonie canadienne en milieu minoritaire puisse ainsi rayonner.
« Nous faisions souvent appel à l’épidémiologiste Claude Flamand, de l’Institut Pasteur de la Guyane, pour nos articles sur la COVID-19 dans le journal. Un jour, je lui ai parlé de ce projet et il a été intéressé. Nous avons donc adapté le magazine à la Guyane et 4 000 copies ont notamment ainsi été distribuées, en pirogue, dans les villages reculés à la frontière du Brésil et du Suriname! »
Au total, 113 090 exemplaires papiers et numériques ont été répandus au Canada et en dehors. Des demandes pour des adaptations pour le Sénégal et la Sierra Leone sont également en cours.
« Tous les journaux peuvent le télécharger et l’imprimer gratuitement, car nous avons obtenu le financement en amont et souhaitons que tout le monde puisse y avoir accès », souligne Mme Gaulin.
Le magazine, qui a coûté quelque 176 000 $ à produire, peut également être téléchargé, sans frais, par les particuliers.
Un deuxième volume et des capsules
Face aux résultats de cette initiative, La Liberté s’affaire déjà sur un deuxième volume qui expliquera de manière scientifique aux enfants les mesures sanitaires, comme de se laver les mains ou de porter le masque.
« Je l’ai notamment testé avec mon fils. Maintenant, quand il se lave les mains, il comprend ce qui se passe, et comment il attaque le virus », illustre Mme Gaulin.
La directrice du journal franco-manitobain ambitionne aussi de créer des capsules vidéo avec des youtubeurs en se servant des illustrations et des informations du magazine.
La fin du papier pour plusieurs journaux?
Le journal La Liberté n’est pas le seul à avoir décidé de se diversifier pendant la pandémie.
« Nous avons plusieurs de nos membres qui ont développé des partenariats avec des organismes communautaires ou avec leur gouvernement, comme La Voix Acadienne ou l’Eau vive, en Saskatchewan, qui a stabilisé sa situation en établissant des liens avec le conseil scolaire francophone. Ça permet de créer un engagement communautaire à long terme », explique le président de l’Association de la presse francophone (APF), Francis Sonier.
Malgré ces initiatives, la situation demeure difficile pour plusieurs des 23 journaux du réseau.
« Nous avons 20 % de nos membres qui réfléchissent à l’avenir du papier ou à leur fréquence de diffusion », indique celui qui est également éditeur-directeur général de L’Acadie Nouvelle.
La pandémie a augmenté le lectorat sur leurs plateformes numériques, mais paradoxalement, la situation des journaux demeure précaire.
« Nos journaux ont passé la crise à chercher de nouvelles façons de faire et d’augmenter la présence numérique, mais la deuxième vague augmente l’insécurité », remarque M. Sonier.
Même si la subvention salariale fédérale a aidé certains journaux, le président de l’APF attend donc avec impatience les annonces promises par le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault.
« Pour l’instant, il n’y a rien de vraiment concret. »