Louis Riel, chef du peuple métis dans les Prairies canadiennes et fondateur de la province du Manitoba. Crédit image : Louis Riel, carte de visite de 1884, I. Bennetto & Co., Domaine Public

[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

Je suis l’héritière d’arrière-arrière-grands-oncles canadiens-français du Québec qui auraient peut-être prêté main-forte à Louis Riel et la Nation métisse lors de leur résistance dans l’Ouest canadien au 19e siècle. Qu’ils aient réellement osé prendre les armes pour Louis Riel ou qu’ils aient simplement rêvé de le faire, cette légende d’ancêtres revendicateurs m’inspire.  

Mes ancêtres se seraient « battus pour Louis Riel », racontait autrefois mon grand-père, Eugène Bourgeault. Canadien français et Franco-Ontarien, il allait partager cette légende avec sa fille et ma mère. 

Louis Riel, père du Manitoba et grand leader politique des Métis. L’homme qui recevra bientôt le titre honorifique de premier ministre du Manitoba, un geste qui fera de lui le premier dirigeant de l’histoire de la province. 

Un leader politique qui, au Canada anglais, avait été reconnu coupable de trahison après avoir mené la résistance de la rivière Rouge au Manitoba (1869-1870) et du Nord-Ouest en Saskatchewan et en Alberta (1885). Et que l’on reconnaissait, au Canada français, comme un « frère » franco, un patriote et combattant pour les droits des minorités, plus particulièrement des Métis. Un homme qui allait nourrir la lutte de toutes communautés en quête d’équité. 

Un homme à la source d’une humble légende familiale canadienne-française.

« Notre frère Louis Riel est mort »

Louis Riel sera « pendu même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur », aurait possiblement dit le premier ministre canadien John A. Macdonald. 

Louis Riel allait synthétiser « la tragédie politique des Métis », comme l’explique Jean-François Nadeau dans le journal Le Devoir. « Les conséquences de leur défaite militaire et de l’exécution de leur principal chef au 19e siècle se sont fait sentir durement jusqu’à ce jour. » 

Les Métis seraient profondément stigmatisés par les événements de 1885 – que ce soit par l’exil, la dépossession de la terre, la violence des pensionnats autochtones, ou par la marginalisation culturelle, politique, économique et sociale.

En la personne de Louis Riel, le Canada français se reconnaît. À Montréal, par exemple, 50 000 manifestants descendent dans les rues quelques jours après son exécution, bouleversés par le tragique sort du leader métis.

Lorsque la nouvelle est confirmée, « colère et amertume gagnent le Québec. Il est évident aux yeux de la population que Riel a été pendu parce qu’il est Canadien français », écrit l’historien et l’archiviste Pierre Rousseau.

« Riel, notre frère, est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était le chef, victime du fanatisme et de la trahison, du fanatisme de Sir John et de quelques-uns de ses amis », lance le politicien Honoré Mercier qui, deux ans plus tard, devenait premier ministre du Québec. 

« En tuant Riel », poursuit-il, « Sir John n’a pas seulement frappé notre race au cœur, mais il a surtout frappé la cause de la justice et de l’humanité qui, représentée dans toutes les langues et sanctifiée par toutes le croyances religieuses, demandait grâce pour le prisonnier de Regina, notre pauvre frère du Nord-Ouest ».

Les « chiens du Québec » avaient aboyé.

Vérité et réconciliation 

Et ces arrière-grands-oncles, s’étaient-ils véritablement impliqués dans la lutte de Louis Riel et de la nation métisse? Pourquoi, comme Canadiens français du Québec, se seraient-ils impliqués? Où auraient-ils pris les armes? Au Manitoba? En Saskatchewan? En Alberta? 

Cette extraordinaire épopée historique n’a laissé aucune trace matérielle. Effacées par le temps, peut-être, ou, plus vraisemblablement, le fruit de ces Bourgeault fabulistes, des raconteux peut-être épris de solidarité franco pour les Métis et qui, s’il avaient pu, aurait peut-être effectivement pris les armes pour les soutenir. Si le récit a persisté chez les Bourgeault depuis 1885, c’est qu’il comptait peut-être beaucoup pour eux.

« Les principes et les droits pour lesquels l’extraordinaire Louis Riel s’est battu et est mort sont plus importants que jamais », soulignait l’an dernier Salma Lakhani, la lieutenante-gouverneure et la représentante de la Couronne en Alberta.

Oui.

En cette ère de vérité et de réconciliation, il m’importe de faire revivre mes arrière-grands-oncles, des hommes qui inspirent en moi la promesse d’un engagement générationnel envers les legs de Louis Riel, des Métis, des Premières Nations et des Inuits partout sur cette terre d’accueil. Ces hommes nourrissent prise de conscience et prise de parole. Afin que je devienne moi aussi « un chien aboyeur ».

Qu’ils aient réellement osé prendre les armes pour Louis Riel, ou qu’ils aient simplement rêvé de le faire, cette légende d’arrière-grands-oncles revendicateurs m’inspire. Elle assure l’immortalité de Louis Riel au Canada franco comme ailleurs au pays. Et surtout, elle confronte les legs coloniaux de ce vaste pays de neige. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.