Cette mère de famille francophone doit pour l'instant se charger de l'enseignement en français de son fils de cinq ans, scolarisé en école anglophone, faute d'une école de langue française laïque de proximité. Crédit image : ONFR

AJAX – D’un côté, un enfant d’ayants droit se voit refuser l’accès à l’école francophone catholique de proximité, faute d’être baptisé, et doit être scolarisé dans une école anglophone. De l’autre, un système d’éducation catholique qui suit son mandat religieux. En toile de fond, une pénurie d’écoles francophones laïques qui résulte en une perte des enfants francophones dans le système d’éducation anglophone.

Immigrée au Canada en 2023 et résidant à Ajax depuis, Marina Dupré*, une mère de famille francophone, espérait que son fils de cinq ans poursuive sa scolarité dans sa langue maternelle. Or, il se trouve que la seule école élémentaire de quartier, l’École Notre-Dame-de-la-Jeunesse, est catholique.

« J’ai démarché plusieurs écoles catholiques proches et on m’a demandé d’envoyer le certificat de baptême. À ma grande surprise, être francophone ne suffit pas, il faut être baptisé et catholique pour l’inscription et nous ne le sommes pas », raconte celle-ci.

Une déconvenue pour cette maman déçue de ne pouvoir inscrire son enfant dans un établissement à distance raisonnable pour l’emmener à l’école à pied, ne possédant pas de voiture.

L’alternative logique aurait pu être l’école publique francophone la plus proche, en l’occurrence l’École élémentaire Ronald-Marion, se trouvant dans la ville voisine de Pickering. Mais c’était sans compter des contraintes quotidiennes incompressibles pour Marina.

Marina Dupré et son fils résident à Ajax depuis l’année dernière. Crédit image : ONFR

Cette maman n’a pas eu d’autre choix que de se tourner vers le système éducatif anglophone. Crédit image : ONFR

Cette situation est vécue par de nombreuses familles francophones en Ontario, faute d’investissements provinciaux plus conséquents. Crédit image : ONFR

« La distance serait faisable en voiture, mais nous ne sommes pas véhiculés. Le transport scolaire, pour lequel non seulement il faut compter une heure de trajet dans la journée, implique des heures fixes qui ne correspondent pas du tout à mes horaires de travail. Sans compter qu’un très jeune enfant ne peut pas rentrer du bus par lui-même et rester seul », déplore Mme Dupré.

De poursuivre : « La garderie avant et après l’école est coûteuse. Dès l’âge de six ans, il faut par exemple compter 650 $ le mois, et il n’y a pas de transport scolaire assuré après. Il me faudrait alors 50 minutes aller et 50 minutes retour en transports en commun. Comment font les parents dont les horaires de travail ne coïncident pas? »

Découragée, elle s’est résolue à l’inscrire dans une école anglophone accessible à pied depuis leur lieu d’habitation. « L’immersion française des écoles anglophones est loin d’être au niveau. Je dois donc me charger moi-même de son éducation en français », conclut-elle.

Prérequis religieux et exception kilométrique

Selon Yves Levesque, le directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC), les prérequis d’accès aux écoles catholiques sont clairs.

« En école élémentaire, chaque enfant qui se présente chez nous doit certes être un ayant droit francophone mais doit aussi être baptisé. C’est la réalité de notre système d’éducation, de notre vocation et de notre mandat. »

Il explique en revanche que des dérogations sont possibles dans les cas où l’école publique la plus proche se trouverait dans un rayon de 75 à 100 km (variant d’un conseil scolaire à l’autre) de distance du domicile. Auquel cas, cela justifierait une inscription sans devoir être de confession catholique.

« Si on se trouve par exemple dans une ville rurale qui n’a qu’une seule école à des kilomètres à la ronde, le côté francophone prime. C’est beaucoup plus rare dans les zones urbaines », illustre-t-il.

Si on avait la chance d’avoir des écoles de quartier de langue française un peu partout, ce serait beaucoup plus simple.
— Yves Levesque, directeur général de l’AFOCSC

M. Levesque nuance toutefois en ajoutant qu’au secondaire, les admissions sont beaucoup plus flexibles du fait qu’il existe beaucoup moins d’établissements pour les francophones.

Près de 70 % des élèves francophones sont inscrits dans des écoles catholiques et autour de 30 % dans des écoles laïques. Une proportion qui s’explique selon le directeur de l’AFOCSC. Les premières écoles étant historiquement catholiques, il y en a donc plus.

Celui-ci ajoute également qu’il y a un trop grand écart entre le nombre de conseils scolaires catholiques, huit contre quatre publics, et que cela pose des défis, alors que dans le nombre de conseils scolaires anglophones entre les deux systèmes est plus homogène.

« Si on avait la chance d’avoir des écoles de quartier de langue française un peu partout, ce serait beaucoup plus simple, mais le fait est qu’il n’y en a pas dans toutes les zones », commente-t-il.

Un très faible maillage d’écoles laïques francophones

Selon Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), les grandes régions de l’Ontario sont très mal ou pas du tout desservies par les écoles publiques de langue française.

Elle considère que le nord-ouest, le centre-nord, le nord-est et le sud-ouest (hors Windsor, Sarnia et London) sont concernés et que, côté Centre-Sud et Centre-Est, dans la région du Grand Toronto et du Grand Ottawa, les écoles débordent avec des longues distances entre elles, laissant des zones entières désertes.

Entre 80 et 120 écoles publiques de langue française supplémentaires sont nécessaires partout en Ontario afin de desservir la population franco-ontarienne.
— Isabelle Girard, directrice générale de l’ACÉPO

« Une grande partie de la population se voit donc obligée de faire de longs trajets pour se rendre dans une école publique de langue française », argumente Isabelle Girard, directrice générale de l’ACÉPO.

« Il n’y a certainement pas assez d’écoles publiques de langue française en Ontario. Compte tenu de notre taux de croissance de plus de 110 % depuis notre création en 1998, et des vastes régions non desservies, l’ACÉPO estime qu’entre 80 et 120 écoles publiques de langue française supplémentaires sont nécessaires partout en Ontario afin de desservir la population franco-ontarienne. »

Carte illustrant la dispersion des écoles publiques de langue française sur le territoire ontarien avec un focus sur la région d’Ajax et les écoles francophones laïques les plus proches. Source : ACÉPO

L’AFOCSC estime d’ailleurs que sur les 300 écoles catholiques actuelles, il en manquerait également une centaine.

Le conseil scolaire laïc Viamonde a informé ONFR que le projet d’une école élémentaire Whitby-Ajax a fait son apparition sur la liste des priorités en immobilisation depuis 2017, et qu’un terrain a été acheté en 2022. L’école devrait ouvrir d’ici quelques années, à l’angle du chemin Ainley et de l’avenue Turnerbury à Ajax. L’année exacte d’ouverture n’a pour l’heure pas été indiquée.

Interrogé sur la question, le ministère de l’Éducation défend pour sa part les investissements réalisés depuis 2018 : « Notre gouvernement a investi plus de 240 millions de dollars pour soutenir 18 nouvelles écoles francophones et 17 agrandissements ou rénovations, ce qui a permis de créer plus de 7700 places. Nous continuerons à aider la communauté francophone en investissant dans de nouvelles écoles. »

*Un nom fictif a été utilisé pour préserver l’anonymat du témoignage.