Une nouvelle plaque provinciale sur un épisode de l’histoire franco-ontarienne

John Ecker, président du conseil d’administration de la Fiducie du patrimoine ontarien, Sœur Yvette Papillon, supérieure de la congrégation des Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc et Jean Yves Pelletier, expert-conseil en patrimoine et auteur procèdent au dévoilement de la plaque provinciale commémorative en honneur de Mère Marie Thomas d'Aquin (1877-1963), le 13 octobre 2022, à la basilique-cathédrale Notre-Dame d'Ottawa.
John Ecker, président du conseil d’administration de la Fiducie du patrimoine ontarien, Sœur Yvette Papillon, supérieure de la congrégation des Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc et Jean Yves Pelletier, expert-conseil en patrimoine et auteur procèdent au dévoilement de la plaque provinciale commémorative en honneur de Mère Marie Thomas d'Aquin (1877-1963), le 13 octobre 2022, à la basilique-cathédrale Notre-Dame d'Ottawa.

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

C’est dans une ambiance de fête qu’une bonne demi-centaine de personnes se sont rassemblées à la basilique-cathédrale Notre-Dame d’Ottawa jeudi dernier pour le dévoilement et l’installation d’une nouvelle plaque provinciale de la Fiducie du patrimoine de l’Ontario (un organisme du gouvernement de l’Ontario) commémorant un épisode de l’histoire franco-ontarienne.

La plaque provinciale, imposante et typiquement de couleur bleue et or, commémore Mère Marie Thomas d’Aquin (1877-1963). Le texte de la plaque est écrit dans les deux langues officielles du Canada.

Une cheffe de file avant-gardiste

Mère Marie Thomas d’Aquin (Jeanne Lydia Branda de son nom de naissance) voit le jour le 13 août 1877 à Saint-Romain-la-Virvée, près de Bordeaux, en France. Dès son jeune âge, elle s’est sentie appelée à devenir religieuse et enseignante. Elle entre chez les Sœurs de Saint-Dominique de Nancy en 1899.

Elle quitte l’Hexagone pour se rendre à Lewiston (dans l’État du Maine, aux États-Unis) en 1904. Elle prononce ses vœux religieux en 1906 et prend le nom de sœur Marie-Thomas d’Aquin.

Elle arrive en Ontario français en 1914 en s’installant à Ottawa. À ce moment-là, elle accepte de diriger l’Institut Jeanne d’Arc, une maison de famille pour jeunes femmes à la recherche d’un emploi, au travail ou aux études. L’Institut Jeanne d’Arc avait été fondé en novembre 1910 par Albina Aubry et Laura Chartrand, sous forme de succursale du Foyer Notre-Dame (ouvert à Montréal en 1903), mais en sera détaché le 1er mars 1913. C’est à ce moment où il prend le nom d’Institut Jeanne d’Arc.

Sous la gouverne de Marie Thomas d’Aquin, l’Institut connaît une période de croissance rapide et déménage dans un plus grand complexe, sur la promenade Sussex dans le Marché By à Ottawa, non loin de la colline parlementaire. Elle réussit également à transformer l’Institut en une véritable congrégation religieuse, érigée canoniquement comme tel le 7 octobre 1919 par Monseigneur Charles H. Gauthier, archevêque d’Ottawa. À son apogée, l’Institut compta cinq maisons à Ottawa, autant dans l’Outaouais québécois, desservant 500 pensionnaires et 1000 élèves.

L’Institut Jeanne d’Arc, situé au 489, promande Sussex, jusqu’en 1989. L’immeuble est aujourd’hui une propriété de la Commission de la capitale nationale (CCN). Gracieuseté.

Les Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc sont d’ailleurs la seule congrégation religieuse féminine catholique francophone fondée en Ontario. La fondatrice Mère Marie Thomas d’Aquin en sera la supérieure jusqu’en 1942. Elle décède à Ottawa le 17 mars 1963 et est inhumée au cimetière Notre-Dame d’Ottawa.

L’Institut offrait des cours, de la camaraderie et surtout un sentiment de communauté. L’ordre religieux sous l’impulsion de sa fondatrice offrait sa mission et ses services de charité à toutes les communautés sans distinction de race, de langue, de nationalité, de statut social ou de religion. Une initiative « progressiste combinant le religieux et le laïc qui a contribué à l’évolution de la condition féminine », peut-on lire sur la plaque dévoilée devant un parterre d’invités et de dignitaires le 13 octobre dernier.

Pour les Franco-Ontariennes, l’Institut leur rappelle surtout la maison de famille (ou « de pension ») pour jeunes femmes, le cours commercial dispensé de 1920 à 1957 ou encore la garderie. Mais l’œuvre de l’Institut rejoignait également des alliés de la francophonie qui désiraient apprendre ou perfectionner leur connaissance de la langue française. Ainsi, les cours de français dispensés par Mère Marie Thomas d’Aquin furent suivis par des personnalités telles qu’Adrienne Clarkson et John Turner, respectivement vingt-sixième gouverneure générale du Canada (1999-2005) et dix-septième premier ministre du Canada. De nombreux diplomates, militaires, hauts fonctionnaires et sous-ministres ont fait de même.

Bien connue dans la haute société politique canadienne d’Ottawa, elle sera amie avec le premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King, la princesse Alice, le gouverneur général Vincent Massey ou encore Francis Lacoste, l’ambassadeur de France au Canada (1955-1962).

Une artiste insoupçonnée

Mère Marie Thomas d’Aquin était aussi une artiste dans l’âme. Sous le pseudonyme de Marie Sylvia et de Jeanne-Louise Branda, elle publie quatre recueils de poésie, dont Vers le bien (1916), Vers le beau (1924), Vers le vrai (1928) et Reflets d’opales (1945). Elle sera membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des poètes canadiens-français et recevra même un prix et une médaille de l’Académie Française comme couronnement de son œuvre littéraire, en 1932 ainsi que l’Ordre de la Légion d’honneur en 1956.

Fait tout aussi remarquable, Mère Marie Thomas d’Aquin fut aussi dessinatrice en architecture! En effet, elle dresse les plans architecturaux d’une des maisons de sa congrégation, qui sera construite de 1933 à 1934 dans le secteur Westboro de la ville d’Ottawa. S’inspirant de l’architecture de sa Bretagne natale, le bâtiment qu’elle dessine est caractérisé par ses ouvertures voûtées arrondies ou carrées, des lucarnes ainsi que la brique et la pierre décoratives. Au fil des ans, la maison située au 360, avenue Kenwood a servi à la fois de foyer, d’école de secrétariat et d’école de français. Il est estimé que ce bâtiment fut probablement l’un des premiers à être construit selon les plans dessinés par une femme francophone en Ontario!

Mère Marie-Thomas d’Aquin (1877-1963) Crédit : George Nakash, collection Senateur Raymond Setlakwe, Bibliothèque et Archives du Canada, Numéro de Référence R12521-3, PA-215107.

La congrégation s’est départie de la maison en 2006, mais fort heureusement, une mobilisation citoyenne empêcha sa démolition. Depuis 2008, la maison dessinée par Mère Marie Thomas d’Aquin jouit d’une protection en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario.

Un centenaire célébré en grand

Le centième anniversaire de la congrégation religieuse des Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc est célébré en grand depuis 2019.

Une plaque privée rédigée par l’expert-conseil en patrimoine et auteur franco-ontarien Jean Yves Pelletier a été installée devant l’entrée principale du bâtiment phare de la communauté religieuse de leurs débuts jusqu’en 1989, située au 489, promenade Sussex à Ottawa. Une messe spéciale a été célébrée en honneur de la congrégation à la basilique-cathédrale Notre-Dame d’Ottawa la même année et une aire d’exposition permanente dédiée aux Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc a été inaugurée au Muséoparc Vanier.

Le musée de l’Est d’Ottawa s’est vu confier la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine religieux de cette unique communauté religieuse franco-ontarienne. Cet important legs permettra aussi au musée de présenter dès l’an prochain une exposition temporaire spéciale sur les Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc.

Le jour du dévoilement de la plaque provinciale, le ministre des Affaires civiques et du Multiculturalisme de l’Ontario, Michael Ford a déclaré par voie de communiqué que « l’Ontario possède une longue histoire de personnes exemplaires. Nous sommes honorés de voir l’histoire de Mère Marie Thomas d’Aquin commémorée par cette plaque provinciale. Grâce à sa vision avant-gardiste, à sa passion et à son engagement pour servir la communauté, notre province est un meilleur endroit. »

Les quatre dernières membres de la congrégation religieuse catholique des Sœurs de l’Institut Jeanne d’Arc posent devant la nouvellement plaque installée en honneur de leur fondatrice, le 13 octobre 2022. Derrières elle, le bâtiment en pierre calcaire a servi de maison-mère à leur congrégation de leurs débuts jusqu’en 1989. Gracieuseté

La plaque provinciale est bien installée depuis jeudi en permanence dans la cour Jeanne d’Arc au 18, rue Clarence, à Ottawa. Un bel ajout même si Mère Marie Thomas d’Aquin demeure curieusement absente de la toponymie scolaire franco-ontarienne.

Néanmoins, depuis quelques années, la Fiducie du patrimoine ontarien multiplie le dévoilement de plaques commémorant l’histoire franco-ontarienne. En voici quelques exemples : Almanda Walker-Marchand et la Fédération des femmes canadiennes-françaises (à Ottawa en 2018), le journal Le Droit (également à Ottawa en 2018), le drapeau franco-ontarien (à Sudbury en 2017) et les Flying Frenchman (trois plaques, à Cornwall, Belleville et Renfrew en 2016 et 2017).

Depuis 1956, ce sont 1 286 plaques provinciales emblématiques de la Fiducie qui ont été dévoilées partout en province, commémorant des personnes, des lieux et des événements importants de l’histoire de l’Ontario.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.