Une pénurie de docteurs à Hearst menace les urgences à l’Hôpital Notre-Dame
HEARST – La ville du Nord est frappée, depuis le printemps dernier, par une pénurie de docteurs alors que la région se retrouve à court d’au moins trois médecins. Deux départs à la retraite combinés à la difficulté d’attirer du personnel créent des problèmes notamment à l’Hôpital Notre-Dame qui maintient tout juste la tête hors de l’eau, selon sa directrice générale.
Depuis deux ans, trois docteurs sont partis, tandis qu’un seul nouveau est venu renforcer les effectifs. Le pire est survenu au printemps dernier alors qu’un couple de docteurs – Patricia Smith et René Laflèche – est parti à la retraite en même temps, sans qu’aucun remplaçant n’ait été trouvé.
« Je ne mâcherai pas mes mots : on est vraiment dans une situation de crise », lâche la docteure Marjolaine Talbot-Lemaire.
Selon l’organisme Qualité des services de santé Ontario (QSSO), en 2019, 92,3 % des Ontariens de 16 ans et plus auraient « déclaré avoir un médecin de famille ou un autre fournisseur de soins primaires ». Pour la communauté la plus francophone de l’Ontario, depuis le départ des deux docteurs, ce sont près de 1 500 habitants qui se retrouvent dépourvus d’un médecin, selon la Dre Talbot-Lemaire, soit 29 % de la population.
Elle explique que le manque de professionnels de la santé dans la région rejaillit sur elle et ses collègues qui doivent mettre les bouchées doubles.
« Dans les communautés rurales comme à Hearst, on est tenu de donner des soins à l’hôpital, au foyer de personnes âgées, à l’urgence, en salle d’opération et on fait beaucoup d’enseignement aussi. Ça, c’est juste les tâches cliniques. Je ne mentionne pas toutes les tâches administratives. Ça fait énormément de tâches et les journées de travail s’étirent. C’est parfois très difficile de tout faire. »
Cette dernière a accepté 300 nouveaux patients après un départ à la retraite il y a quelques années. Accumuler plus de patients par docteur est souvent la solution mécanique trouvée à la réduction du nombre de professionnels partout en province mais, dans le Nord, ce n’est pas aussi simple.
« Pour un médecin qui ne fait que du bureau et qui n’a pas d’autres responsabilités, on peut facilement avoir une pratique de 1 000 à 1 200 patients. ça se gère très bien. Avec le genre de pratique qu’on (les médecins) a ici à Hearst, c’est impensable d’avoir ce nombre de patients, car on aurait des attentes de trois à six mois pour avoir un rendez-vous. J’ai 900 patients actuellement et c’est lourd avec tout ce que j’ai d’autre à faire. L’attente pour un rendez-vous avec moi varie de quatre à six semaines. »
« On cherche partout dans les programmes gouvernementaux pour savoir qui pourrait venir nous aider pour ne pas fermer notre urgence » – Liza Fortier
À 12 heures de fermer les urgences
À l’Hôpital Notre-Dame, la pénurie de médecins a failli perturber le fonctionnement de l’hôpital cet été.
« Je ne le cacherai pas : une fois, cet été, on était à 12 heures de préavis du ministère de la Santé de fermer notre services des urgences, car si on n’avait pas été capable de trouver un médecin pour l’urgence, il aurait fallu la fermer. À la dernière minute, on a trouvé quelqu’un. C’était une crise », affirme en entrevue la directrice générale de l’établissement, Liza Fortier.
Cette situation pourrait bien survenir dans un mois si le tout ne se règle pas, précise-t-elle.
« On a plusieurs trous pour le mois de décembre aux urgences. Là, on s’essaye d’avance et on cherche partout dans les programmes gouvernementaux pour savoir qui pourrait venir nous aider pour ne pas avoir à fermer notre urgence. C’est comme ça tous les autres mois. C’est ça qu’on fait depuis la fin du printemps. »
Selon cette dernière, il manque au minimum trois médecins pour assurer un fonctionnement stable. Le maire de la ville francophone, Roger Sigouin, évalue de son côté le manque de médecins à cinq.
Pour le moment, Hearst doit faire appel à des docteurs locum, c’est-à-dire des médecins en provenance d’agences privées qui viennent pour une courte période dans la région avant de repartir. Souvent utiles pour remplir des quarts de travail dans les cliniques de la région ou à Notre-Dame, ils coûtent aussi beaucoup plus cher. Une situation qui frappe les autres établissements du Nord de l’Ontario, rappelle Mme Fortier.
Dans une récente rencontre avec les autres dirigeants des hôpitaux de l’Ontario et Doug Ford, la directrice générale a demandé au premier ministre de mettre un cap sur les salaires de ces agences privées, ce qui permettrait une meilleure maniabilité dans le budget.
« Ils ont le droit de charger ces agences. Il faut regarder de l’autre côté de la médaille aussi (…). À un moment donné, on est plus capable de payer ça, on n’y arrive plus. »
Le maire se dit conscient du problème
Roger Sigouin se dit conscient du problème et admet que la situation ne peut pas rester ainsi. Parmi les solutions avancées, il y a celle d’offrir des maisons ou des lots de terrains gratuits ou à des prix avantageux pour attirer des docteurs de façon permanente et ce dernier se dit ouvert à une telle avenue.
« Si on arrive à ce point-là, on va s’asseoir à la table et essayer de trouver de l’argent pour aider à avancer dans le recrutement. »
Selon le député provincial de la région, Guy Bourgouin, le problème vient du sous-financement des hôpitaux de la part de la province.
« Il vient un temps où la province doit être à la table. Quand ça vient au financement, il manque un partenaire. Ils (les hôpitaux) sont limités dans leur budget. La province a tout coupé. Vu qu’ils viennent dans le Nord, il faut fournir une maison, le voyagement et le déménagement, la liste est longue. Ce n’est pas juste une question de payer leur salaire comme dans le Sud. »
Pour la Dre Marjolaine Talbot-Lemaire, toutes les solutions avancées sont bonnes à prendre, mais elles doivent donner un résultat : du changement.
« On ne peut pas maintenir le même train de vie qu’on a en ce moment longtemps. Dans d’autres communautés, un ou deux médecins sont partis à la retraite et après ça tous les autres médecins restants ont abandonné la pratique ou tout simplement déserté la communauté. On ne veut pas que ça l’arrive mais, si j’ai à choisir entre ma santé et mon emploi, je vais choisir la santé. »