TORONTO – Parmi les nouveautés en Ontario annoncées par le gouvernement via la Loi 98 sur l’amélioration des écoles et du rendement des élèves, de nouvelles responsabilités incombent aux conseils scolaires. Si ceux-ci sont favorables aux changements apportés, notamment au nouveau curriculum, ils déplorent le manque de consultation à leur égard et le délai serré de l’annonce avec l’obligation de mise en application quelques semaines avant la rentrée.

Outre le recentrage sur les matières fondamentales, la Loi 98 comporte également un volet transparence et responsabilité des conseils scolaires envers le gouvernement qui apporte son lot de changements.

Le ministre de l’Éducation exige entre autres que les conseils scolaires tiennent les parents informés des progrès réalisés, qu’ils fassent participer les parents davantage à l’éducation des enfants et publient un plan pluriannuel d’amélioration. Les conseils peuvent également avoir à accueillir du personnel ministériel pour « assurer une meilleure surveillance » de la gestion des financements.

La loi oblige ces derniers à adopter un code de conduite pour les conseillers scolaires, à créer un processus de règlement des différends, ou encore à rendre obligatoires des formations pour les dirigeants. Plusieurs mesures visent plus d’encadrement et de surveillance des enseignants, y compris « des processus disciplinaires plus cohérents ».

« À l’heure actuelle, les conseils scolaires établissent leurs propres priorités, ce qui entraîne des différences au sein du système d’éducation. Par exemple, certaines écoles obtiennent régulièrement des résultats inférieurs aux normes de l’OQRE (Office de la qualité et de la responsabilité en éducation) », explique le ministère de l’Éducation dans un communiqué.

Il s’agirait des « priorités exprimées par les parents », selon Justin Saunders, un porte-parole du ministère : « Nous nous efforçons de faire entendre la voix des parents (…). Les résultats de l’OQRE réitèrent la nécessité de veiller à ce que les conseils scolaires se recentrent sur la réussite scolaire. »

De gauche à droite, Julie Béchard et Paul Baril, respectivement directrice générale et président de Parents partenaires en éducation (PPE). Gracieuseté

Julie Béchard, directrice générale de Parents partenaires en éducation (PPE), le réseau des parents de langue française, explique que « s’il est difficile de s’accorder à dire qu’il y ait eu un consensus chez les parents francophones, il y a une volonté commune de réussite de leurs enfants ».

Celle-ci nous confirme que les parents francophones n’ont a priori pas été sondés directement, mais que « notre organisme a été invité à discuter avec le ministre Stephen Lecce et nous avons pu faire des recommandations. »

Le président du PPE Paul Baril constate « une vraie ouverture du ministère dans notre message, sur le fait que les parents doivent être consultés », ce à quoi Mme Béchard ajoute que « le ministère veut encourager les conseils scolaires à engager les parents dans des conversations ouvertes avec un partage d’informations fluide ».

Beaucoup de changements et peu de temps

En entrevue avec ONFR+, Yves Lévesque, directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) déclare : « Nous n’avons pas de problème avec la réforme. Je pense que les conseils scolaires sont toujours d’accord pour améliorer l’éducation et les résultats des élèves. Dans l’approche du ministre, il y a de bonnes choses, comme le fait d’amener plus de transparence pour certains conseils qui en manquaient. »

« Le problème que l’on a est le temps imparti : intégrer ces nouveautés en quelques semaines. La Loi 98 apporte un lot de changements et aussi des tâches nécessaires au sein de conseils et on n’a pas du tout de ressources supplémentaires pour supporter ça, en plus des changements au curriculum », déplore celui-ci.

« La Loi 98 touche à de multiples niveaux les conseils solaires mais, malgré ça, il y a pratiquement eu zéro consultation avec les conseils » – Yves Lévesque

C’est pour lui la dimension humaine qui n’est pas prise en compte, avec un manque de plan pour délivrer les nouveaux programmes de façon efficace : « Cette mise en place ne peut pas se faire du jour au lendemain. C’est encore pire dans l’éducation francophone, car les ressources n’existent pas nécessairement et demandent à être créées. » Il se dit déçu « de ne pas avoir plus de temps pour préparer les personnes à livrer le programme ».

M. Lévesque ajoute qu’ils avaient demandé à ce que ces changements d’envergure soient mis en place en septembre 2024 minimum, en vain.

« Une chose que je trouve déplorable, c’est que la Loi 98 touche à de multiples niveaux les conseils solaires mais, malgré ça, il y a pratiquement eu zéro consultation avec les conseils. Nos recommandations n’ont pas été écoutées. »

Yves Lévesque, directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC). Gracieuseté

« On est au courant de nouveaux programmes un jour avant. Les médias le savent souvent avant nous », constate le directeur général de l’AFOCSC.

Isabelle Girard, directrice générale l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), a aussi de son côté exprimé au ministre Lecce que « les ajustements finaux doivent demeurer la responsabilité des conseils scolaires pour tenir compte des particularités de leur territoire, tant au niveau des approches pédagogiques que pour l’utilisation optimale des ressources fournies par la province. »

Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants francophones de l’Ontario (AEFO), a déclaré trouver « inacceptable que les travailleurs de l’éducation n’aient pas été consultés dans la mise en œuvre de la Loi. D’ailleurs, nous regrettons que la sortie du nouveau curriculum se soit faite à la toute fin de l’année scolaire, et non de manière progressive, comme nous le suggérerions ».

Celle-ci ajoute que « l’enseignement de l’écriture cursive est un exemple de l’ampleur des changements annoncés avec cette loi qui auront un impact majeur sur le personnel enseignant déjà surchargé de travail (… ). Il faut s’assurer de donner le temps et l’appui au personnel enseignant pour s’approprier ces nouvelles méthodes d’apprentissage et s’adapter à des conditions changeantes ». 

Des besoins spécifiques aux écoles francophones

Concernant les résultats en baisse des élèves, l’un des arguments principaux du gouvernement, Yves Lévesque rappelle qu’« on a eu trois ans de pandémie » qui ont laissé des traces.

Selon lui, cette loi qui vise à l’uniformisation de l’éducation ne tient pas compte des spécificités de l’éducation francophone, à laquelle « on ne donne pas les mêmes moyens que les anglophones pour atteindre l’excellence et pourtant a de bons résultats. Alors, imaginez si on avait plus de moyens », plaisante-t-il.

« Ce gouvernement a une approche « one size fits all », la même chose pour tout le monde, alors que l’éducation francophone a un besoin fondamentalement différent des écoles anglophones. »

Une opinion que partage l’ACÉPO, tenant à « souligner qu’une trop grande uniformisation par règlement des exigences du ministère pourrait avoir comme conséquence de nuire aux besoins des conseils scolaires francophones qui ont des territoires immenses qui rendent uniques leurs besoins et les différences entre régions ».

Le mémoire d’Isabelle Girard envoyé à Stephen Lecce évoque notamment l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité.

« Ne pas accorder ces ressources supplémentaires placerait les conseils publics dans une situation inéquitable face aux conseils de langue anglaise » – Isabelle Girard

« Aucune loi ni aucun règlement qui découle de l’article 23 de la Charte ne peut mettre en péril les droits qu’il confère. De plus, toute modification à la législation actuelle qui apporte des tâches supplémentaires aux conseils scolaires publics de langue française doit obligatoirement être accompagnée de ressources supplémentaires. »

Elle explique qu’en raison de la taille moyenne des conseils de l’ACÉPO qui est dix fois supérieure à celle des conseils anglophones, et en raison du fait que chacun de ces conseils couvre de 75 à 200 municipalités, la mise en œuvre des modifications proposées par le gouvernement ne peut se faire sans ressources supplémentaires.

« Ne pas accorder ces ressources supplémentaires placerait les conseils publics dans une situation inéquitable face aux conseils de langue anglaise », conclut l’ACÉPO.

Le ministère de l’Éducation a affirmé soutenir l’embauche de près de 2 000 éducateurs supplémentaires et augmenter les investissements de 691 millions de dollars cette année, incluant les écoles anglophones et francophones, sans toutefois en préciser le ratio.