Une stratégie nationale pour répondre à la pénurie d’enseignants francophones?
OTTAWA – La Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) et le Regroupement national des directions générales de l’éducation (RNDGE) demandent à Ottawa de mettre en place une stratégie nationale pour répondre à la pénurie d’enseignants de langue française.
Souvent évoquée ces dernières années, la pénurie d’enseignants de langue française pourrait entraîner « d’ici les cinq prochaines années » une énorme crise, particulièrement dans les écoles de langue française, prévient le président de la FNCSF, Mario Pelletier.
« C’est un problème à travers le Canada! Les conseils scolaires francophones font preuve de créativité, mais cela ne suffira pas à moyen et long terme pour contrer la pénurie d’enseignants. Si on ne fait rien, les parents risquent de se tourner vers les écoles anglophones. On veut sonner l’alarme! »
« Même dans la seule province bilingue du Canada, il y a une crise! » – Mario Pelletier, président FNCSF
Preuve à l’appui, Monique Boudreau, présidente du RNDGE et directrice générale de l’éducation du District scolaire francophone Sud au Nouveau-Brunswick, cite le cas de sa province qui a récemment permis à des enseignants retraités de revenir sur le marché du travail jusqu’à concurrence de deux ans sans être pénalisés financièrement.
« La situation s’est aggravée cette année, on n’a plus d’enseignants brevetés sur nos listes de suppléance. Donc, si nous devons remplacer un congé à long terme, on est mal pris. »
En Ontario, le Conseil des écoles catholiques du Centre Est (CECCE) avait près de 200 postes à combler avant la rentrée scolaire de 2018, illustre également la FNCSF.
Plusieurs facteurs
La hausse des demandes d’inscriptions dans les écoles de langue française, en augmentation de 16 % à travers le pays depuis 2012, selon la FNCSF, combinée au manque d’attrait pour la profession, s’ajoutent à la concurrence des programmes d’immersion qui ont eux aussi gagné en popularité à travers le pays. En 2015-2016, on y comptait 430 000 élèves, contre 360 000 élèves quatre ans auparavant.
« Au Nouveau-Brunswick, en 2016, on a introduit de nouveau l’immersion précoce à partir de la 1ère année. Les quatre districts anglophones de cette province se sont donc retrouvés en compétition directe avec nous pour des enseignants francophones », explique Mme Boudreau.
Récemment, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, publiait une étude sur les difficultés liées à l’offre et à la demande d’enseignants en français langue seconde au Canada. Mais la FNCSF et le RNDGE rappellent que l’enseignement du français, langue première, vit lui aussi une telle pénurie.
« Nous devons développer une stratégie nationale distincte et adaptée aux réalités du réseau d’éducation en français langue première pour répondre à la croissance de notre réseau d’écoles élémentaires et secondaires », dit M. Pelletier.
Rétention et promotion
Parmi les mesures proposées, les deux organismes proposent notamment au gouvernement fédéral de créer un consortium regroupant les joueurs clés afin de trouver des solutions, mais aussi de répondre aux problèmes de reconnaissance des compétences professionnelles entre les provinces et territoires pour assurer une meilleure mobilité des enseignants au pays ou encore, de développer des critères nationaux de reconnaissance des compétences professionnelles afin de faciliter le recrutement à l’étranger.
La FNCSF a d’ailleurs participé activement, tout comme sept conseils scolaires francophones, à l’édition 2018 de Destination Canada, une foire d’emplois organisée en Belgique et en France où elle a rencontré plus de 250 enseignants. L’organisme prévoit réitérer l’expérience en novembre prochain.
« Il y a du travail à faire et on veut être proactif pour recruter davantage à l’étranger », prévient M. Pelletier.
En matière de valorisation de la profession, la FNCSF et le RNDGE proposent également des solutions comme du mentorat subventionné, des stages rémunérés et de l’appui pour faciliter l’intégration des nouveaux enseignants.
Les enseignants veulent participer
En Ontario, le président de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), Rémi Sabourin, voit l’idée d’un bon œil.
« C’est une bonne idée et on veut être impliqué, car c’est un problème qui concerne aussi bien les enseignants que leurs employeurs. Pour nous, ce qui est important, ce n’est pas seulement le recrutement, c’est aussi de trouver des moyens d’élargir le bassin d’enseignants et de valoriser la profession. Ça doit être alléchant de devenir enseignant. Il faut de bonnes conditions de travail, aller dans les écoles pour en faire la promotion… »
Mais favoriser les transferts interprovinciaux ne représente pas une réelle solution, selon lui.
« Ça ne réglera pas le problème si on se vole les candidats entre chaque province! »
De l’argent disponible
Dans un échange de courriels avec ONFR+, le bureau de la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, se garde de toute promesse, mais se dit conscient du problème.
« Nous remercions la FNCSF et l’ensemble des organismes pour le travail accompli. (…) Pendant nos consultations sur le Plan d’action pour les langues officielles, nous avons entendu le cri du cœur des communautés en ce qui concerne la pénurie d’enseignants francophones partout au pays. »
Le bureau de la ministre rappelle que le plan d’action prévoit de nouvelles ressources pour résoudre ce problème. Une somme de 31,3 millions de dollars sur quatre ans est prévue pour « élaborer et soutenir des stratégies de recrutement des enseignants dans les écoles de la minorité francophone ».
« On attend de voir exactement dans les prochains mois ce que le gouvernement veut dire avec cet investissement », explique toutefois M. Pelletier.