Le premier ministre du Canada de l'époque, Lester B. Pearson, prend un bain de foule entouré d'enfants qui brandissent le nouveau drapeau du Canada, l'unifolié, le 7 octobre 1965 dans le village de Saint-Jean-Baptiste, au Manitoba. Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada.

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

C’est sans doute devenu au fil du temps le symbole le plus emblématique du Canada : le drapeau rouge et blanc avec à son centre une feuille d’érable rouge. Pourtant, la création du drapeau du Canada il y a 60 ans aujourd’hui ne s’est pas faite sans heurts. Retour dans cette chronique sur l’histoire de la création de l’unifolié.

Un drapeau distinct pour le Canada

Jusqu’aux années 1960, le Canada continuait à être dépourvu d’un drapeau national distinct, affranchi de symboles coloniaux.

De 1868 à 1965, le Red Ensign faisait office de drapeau du Canada. Dérivé du pavillon des navires marchands britanniques (dont l’origine remonte à 1707), le Red Ensign canadien aborde l’Union Jack au coin supérieur à gauche et les armoiries du Canada. Les armoiries du drapeau sont légèrement modifiées en 1921 et 1957.

Bien que jamais officiellement adopté comme drapeau national, c’est sous ce drapeau que le Canada combat entre autres lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les Red Ensign canadiens, drapeau officieux du Canada de 1868-1965. Ci-dessus, les versions légèrement modifiées de 1921 et 1957. Crédit photo : Patrimoine canadien.

L’idée de doter le Canada d’un drapeau distinct avait souvent été promise par le passé (dès 1919) mais le projet n’avait jamais abouti. Cependant, le chef du Parti libéral du Canada Lester B. Pearson en fait une promesse électorale majeure lors de l’élection de 1963.

La proposition est cependant loin de faire l’unanimité, particulièrement au Canada anglais. Dans une archive révélatrice captée à l’époque par la télévision de CBC, on voit Lester B. Pearson se fait copieusement hué par des anciens combattants lorsqu’il annonce sa promesse de doter le Canada d’un drapeau distinct.

Une promesse de Lester B. Pearson

Lauréat du prix Nobel de la paix en 1957 pour son rôle de résolution pacifique lors de la crise du canal de Suez, Pearson est un ardent défenseur du multilatéralisme et de l’indépendance canadienne. Ce diplomate hors pair considérait que le pays avait besoin d’un symbole reflétant son identité unique et son indépendance croissante. Selon lui, l’Union Jack n’était plus adéquat pour un pays moderne, indépendant, uni et multiculturel.

En 1956, alors qu’Israël, la France et le Royaume-Uni occupent l’Égypte pendant la crise du canal de Suez, le Canada envoie des troupes qui agiront comme gardiens de la paix des Nations Unies, sur idée de Lester B. Pearson. Cependant, les troupes canadiennes font flotter le Red Ensign canadien, sur lequel se trouve également l’Union Jack. Pour les observateurs égyptiens, le Canada semble arborer le drapeau d’une nation ennemie. Ce malentendu contribue à accroître la nécessité d’un nouveau drapeau national canadien, distinct et unique.

Le comité parlementaire formé pour trouver un consensus sur le nouveau drapeau du Canada. Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada.

Un drapeau du Canada à temps pour le centenaire

Un vaste appel à tous est lancé et le comité est submergé par des propositions de drapeaux provenant de Canadiens des quatre coins du pays : environ 2000 propositions seront reçues et étudiées et 12 experts-conseils seront entendus par le comité qui siégera (en huis clos) 45 fois en trois mois.

Parmi toutes les propositions reçues, trois finalistes émergeront : un insigne rouge avec une feuille d’érable rouge au centre et dans les coins supérieurs l’Union Jack à gauche et trois fleurs de lys à droite, un drapeau avec une feuille d’érable au centre et deux lisières rouges sur les côtés ainsi qu’un drapeau avec trois feuilles d’érable et deux bandes bleues sur les côtés.

Les bandes bleues devaient représenter les océans Atlantique et Pacifique (la devise du Canada étant « D’un océan à l’autre ») et les trois feuilles d’érable, les peuples fondateurs du pays : les Premières Nations, les francophones et les anglophones. C’est ce drapeau qui était le préféré du premier ministre Lester B. Pearson et sera surnommé « le fanion de Pearson ».

Le premier ministre du Canada serre la main d’un jeune étudiant de 19 ans de University of Toronto, Jim Soni le 19 mai 1964 sur le Colline du Parlement à Ottawa. Sur la photo, l’étudiant tient le modèle de drapeau favorisé par le premier ministre pour devenir le nouveau drapeau du Canada. Ce design sera surnommé « le fanion de Pearson ». Crédit photo : Archives de la Presse canadienne.

Gouvernement minoritaire oblige, la partisanerie ralentit considérablement les travaux du comité. L’Opposition officielle, formée par les progressistes-conservateurs, tient mordicus à préserver le Red Ensign et ne veut surtout pas appuyer le « fanion de Pearson ».

Le NPD et les libéraux (majoritaires au sein du comité) mettent de l’avant le concept de drapeau proposé par l’historien George F. G. Stanley, doyen de la Faculté des Arts du Collège militaire royal à Kingston. Le drapeau du collège militaire est formé de deux lisières rouges verticales sur les côtés et d’un fond blanc au milieu où s’y trouve le sigle du collège. L’historien Stanley propose qu’une feuille d’érable rouge à 13 pointes soit posée au centre pour devenir le nouveau drapeau du Canada.

La feuille d’érable pour un drapeau canadien n’était pas une idée nouvelle et était un symbole récurrent dans les propositions reçues par le comité. Les francophones au Canada le comptent parmi l’un de leurs symboles nationaux depuis au moins 1834. De plus, le major général Eugène Fiset l’avait proposé dès 1919, la Légion canadienne en 1945 aussi ainsi que l’artiste en art graphique de Toronto George Bist.

Le comité parlementaire va de l’avant avec la proposition de Stanley.

Le 15 décembre 1964 à deux heures du matin, le Parlement adopte en troisième lecture le projet de loi sur le nouveau drapeau du Canada au vote majoritaire de 163 votes pour et 78 contres. Le Sénat entérine le vote deux jours plus tard.

Conférence de presse où le premier ministre Lester B. Pearson présente le design final du nouveau drapeau du Canada. Par souci de clarté, son cabinet ministériel a adopté une version redessinée de la feuille d’érable par l’artiste graphique Jacques St-Cyr, la faisant passer de 13 pointes à 11. C’est cette version de la feuille d’érable que l’on connaît aujourd’hui. Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada.

Le design avait été préparé par l’artiste québécois Jacques St-Cyr. C’est sa version finale du drapeau du Canada qui devient officielle, celle qu’on connaît aujourd’hui. Enfin, en déplacement pour assister aux obsèques de Sir Winston Churchill à Londres, Lester B. Pearson en profite pour obtenir la proclamation royale du nouveau drapeau auprès de Sa Majesté la reine Elizabeth II le 28 janvier 1965.

Le 15 février 1965 sur la Colline du Parlement à Ottawa, le drapeau du Canada, l’unifolié, est hissé pour la première fois sur le coup de midi en présence de plusieurs dignitaires dont le premier ministre et le gouverneur général, Georges P. Vanier.

L’unifolié sera vite adopté par les Canadiens au grand dam de certains milieux conservateurs. En réaction, l’Ontario et le Manitoba adoptent quelques mois plus tard des drapeaux calqués sur le modèle du Red Ensign. La Colombie-Britannique abordera l’Union Jack sur son drapeau en 1970 de même que Terre-Neuve, dans une forme stylisée, en 1980.

Quelques instants après le vote en troisième lecture à la Chambre des communes, des députés en liesse brandissent un exemplaire du nouveau drapeau du Canada. Crédit photo : L’Encyclopédie canadienne.

Néanmoins à cette époque de décolonisation et de baby-boom, l’unifolié devient vite populaire. Par exemple, il sera omniprésent aux célébrations du centenaire du Canada et lors d’Expo 67.

Un anniversaire sur fond de fierté canadienne renouvelée

Le 60e anniversaire du drapeau du Canada arrive cette année à un moment où rejaillit une certaine fierté nationale canadienne à la suite du retour à la Maison-Blanche de Donald Trump et de ses menaces répétées de tarifs douaniers et d’annexion du Canada pour en faire le 51e État américain.

Devant ce climat d’instabilité existentielle palpable, tous les anciens premiers ministres du Canada encore vivants ont fait paraître cette semaine dans des journaux une lettre ouverte commune. Une rare prise de position commune pour d’anciens adversaires politiques.

À l’unisson, Joe Clark, Kim Campbell, Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper saluent « cet esprit national et nous demandons à nos concitoyens canadiens d’afficher le drapeau comme jamais auparavant ».

Les cinq anciens chefs de gouvernement canadien insistent pour que malgré les différends politiques, l’heure soit à l’unité nationale : « Issus tous les cinq de partis politiques différents, nous avons eu notre part de batailles dans le passé. Mais nous sommes tous d’accord sur un point : le Canada est le meilleur pays au monde; il mérite d’être célébré et qu’on se batte pour lui. Cette année, faisons de ce 60e anniversaire de notre drapeau national un moment inoubliable! »

Depuis 1996, le 15 février est officiellement le Jour du drapeau national du Canada. Le moment n’aurait pas pu être mieux choisi pour hisser l’unifolié sous le signe de l’unité.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.