Université de l’Ontario français : les raisons obscures d’un refus
[ANALYSE]
TORONTO – Rarement les Franco-Ontariens n’auront fait autant parler aux quatre coins du pays. Les nouvelles de la crise linguistique qui secoue la province se sont même propagées jusqu’à la presse européenne.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Malgré la fronde, le gouvernement provincial n’a pas modifié d’un iota sa position sur l’Université de l’Ontario français. Le léger recul du premier ministre matérialisé par un communiqué surprise parlait très peu du projet d’université. Une petite mention quand même puisque Caroline Mulroney « attend avec impatience » le jour où les finances publiques permettront de la construire.
C’est là où le bât blesse. L’argument économique pour justifier l’annulation est le seul ressassé depuis le début de la crise par la ministre déléguée aux Affaires francophones. La « cassette » de Mme Mulroney est bien connue : 15 milliards de dollars de déficit budgétaire, et 347 milliards de dette publique. Peut-être.
Programmes universitaires et pressions en coulisses
Sauf que la petite phrase de la ministre dans sa lettre dans Le Droit il y a dix jours est aussi lourde de sens. « Le modèle proposé était insoutenable et ne répondait pas à la demande pour une main-d’œuvre qualifiée dans les domaines qui en avaient besoin, soit des infirmières, des enseignants, des juristes francophones et autres. » Traduction : le projet n’emballait pas le gouvernement.
Dans les coulisses, les quatre programmes ciblés divisaient. Culture numérique, pluralité humaine, environnements urbains et économie mondialisée, autant de noms vus comme avant-gardistes et modernes pour certains, mais trop généralistes et peu concrets, pour d’autres.
Le gouvernement a-t-il cédé devant des voix discordantes au projet? Après tout, c’est un secret de polichinelle que l’idée d’une université francophone à Toronto ne plaisait pas à tout le monde.
Entre ceux privilégiant une synergie des programmes francophones existants dans la province, et de l’autre, les institutions bilingues comme l’Université d’Ottawa, la Laurentienne, et Glendon, très réfractaires à l’arrivée d’un nouveau joueur, l’Université de l’Ontario français avait ses ennemis. Des ennemis volubiles jusqu’au bureau des ministres? Très possible.
Les ratés de la communication
Depuis le 29 juin date de sa prise de fonction, le gouvernement progressiste-conservateur avait tout de même eu plus de quatre mois pour émettre ses craintes sur la viabilité du projet. En continuant à le valider, à s’y engager, pour in fine ne pas tenir sa promesse, l’équipe de Doug Ford a creusé son trou. Ce qui aurait pu être une vive tension en cas de « report » s’est transformé en une crise nationale à l’impact encore inconnu.
Mme Mulroney a sa part de responsabilité. Soucieuse de ne pas décevoir les Franco-Ontariens, un groupe aux enjeux assez inconnus pour elle, l’ancienne avocate a certes beaucoup pris de notes lors de ses rencontres avec la communauté, mais n’a pas été en mesure de donner une vision forte et personnelle pour la francophonie.
Quant au bureau de Doug Ford, en faisant cavalier seul sur les questions franco-ontariennes, il s’est exposé lui-même au backlash. C’est pourquoi la volonté récente affichée par le premier ministre de se doter d’un conseiller principal en politiques responsable des Affaires francophones apparaît un pas dans la bonne direction.
Une autre avancée serait que la ministre déléguée mette de côté l’argument du 15 milliards de dollars, et fasse part aux Franco-Ontariens, les yeux dans les yeux, de son université franco-ontarienne idéale. En parlant avec son cœur et ses tripes, Caroline Mulroney aurait des chances de reconnecter avec les francophones.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 26 novembre.