Université Saint-Paul : « Si rien ne change, on va être contraint à la fermeture »
OTTAWA – L’Université Saint-Paul est-elle sous respirateur artificiel? C’est ce que croit la rectrice de l’établissement qui pourrait bien devoir fermer ses portes dans quelques années si sa situation financière ne s’améliore pas. Avec un déficit cinq fois plus grand qu’avant la pandémie, l’établissement d’Ottawa lance un cri d’alarme au gouvernement de l’Ontario.
Prise avec une dette stable entre 200 000 $ et 400 000 $ entre 2017 et 2019, l’institution a vu son déficit bondir cette année à près de 2,3 millions de dollars. Pour Saint-Paul, c’est près de 10 % de son budget annuel qui se retrouve dans le rouge. Selon Mme Beauvais, la situation à court terme de l’établissement est stable, mais c’est le long terme qui est inquiétant.
« On est capable de prendre quelques années comme ça, mais c’est clair qu’on ne pourra pas faire ça pendant dix ans. On n’est pas au bord de la fermeture, mais en même temps, s’il n’y a rien qui ce passe, on sait ça va être quoi l’enjeu dans dix ans. On essaie de voir ce qu’on peut faire pour éviter de se rendre là. Si rien ne change, on va être contraint à la fermeture. »
L’institution fédérée rattachée à l’Université d’Ottawa dénonce le financement qu’elle reçoit de la province de l’Ontario en raison de son statut particulier.
« Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec 8 000 $ en pandémie? » – Chantal Beauvais, rectrice de l’Université Saint-Paul
La subvention de 2020 de 7 117 677 dollars de la province est la plus basse qu’a reçu l’institution depuis 2013, un chiffre qui devrait continuer à descendre au cours des prochaines années.
« Le gouvernement va dire : diversifier vos revenus. OK, comment est-ce qu’on peut diversifier nos revenus? Il (le gouvernement) a gelé et coupé les droits de scolarité, alors on ne peut plus compter sur ça. Ensuite, ils ont coupé toutes les enveloppes qui récompensaient la croissance, alors on n’a plus ça. Avec la COVID-19, on avait zéro profit avec les résidences, les services alimentaires », énumère Mme Beauvais.
Selon la rectrice, l’institution a reçu 8 000 $ d’aide de la part du gouvernement depuis le début de la pandémie.
« Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec 8 000 $ en pandémie? La première année nous a coûté un million de dollars. 8 000 $ c’est vraiment ridicule, insultant même », déplore-t-elle.
Normes gouvernementales changées
Elle dénonce notamment les changements apportés au modèle de financement du postsecondaire qui ne serait pas avantageux pour les établissements fédérés. Le gouvernement avait renégocié en 2019 les Ententes de mandat stratégiques (EMS) qui décrivent en détail les priorités sur lesquelles chaque université doit se concentrer au cours des cinq prochaines années.
« On doit répondre aux mêmes normes de qualité des programmes que toutes les autres universités, nos programmes sont évalués de façon périodique comme toutes les autres universités, alors on est obligé d’offrir la même qualité. Mais on n’est pas financé de la même façon et ça, c’est bizarre et ça crée des problèmes chez les petites universités. »
En parallèle, l’Université d’Ottawa est passée d’un surplus de 91 à 35 millions de dollars cette année.
« Si l’Université d’Ottawa se met à ne pas aller bien, ça ne va pas aller bien pour nous », résume Chantal Beauvais.
« Il faut trouver un moyen de garder Saint-Paul » – Monique Lanoix, présidente de l’Association des professeures et professeurs de l’Université Saint-Paul
L’an dernier, Saint-Paul avait suspendu 22 programmes dont 13, en français. Une mesure qui pourrait se répéter à chaque début d’année scolaire dans les circonstances.
« À ce moment-ci, on regarde ça. Si on n’a pas une masse critique d’étudiants, on suspend le programme. On n’admet pas de nouveaux étudiants, car ça coûterait trop cher. Cette année, il y aura probablement des programmes dont on voudra suspendre les admissions. »
Pas de confiance envers le gouvernement, dit le syndicat
Au sein de l’Association des professeures et professeurs de l’Université Saint-Paul, le déficit actuel de deux millions fait réfléchir et le moment n’est pas à l’inaction.
« C’est beau de dire qu’on a de l’argent et un coussin, mais on ne veut pas épuiser ce coussin. Le bureau des gouverneurs s’est penché sur la question, à savoir quel serait le plan pour aller de l’avant et c’est une grande question. Le syndicat espère être impliqué dans cette réflexion. C’est des grosses questions et c’est le temps d’y réfléchir tout de suite, mais l’administration y pense aussi. Ce n’est pas comme si l’administration dit que tout va bien et qu’elle ne s’inquiète pas. Il faut trouver un moyen de garder Saint-Paul », affirme en entrevue la présidente du syndicat Monique Lanoix.
Les professeurs redoutent de ne pas pouvoir développer leurs programmes en raison du manque de liquidité dans le futur si les choses ne changent pas. On affirme toutefois avoir confiance envers l’administration pour qu’elle trouve une solution. Ce qui est un peu moins le cas avec certains décideurs à Queen’s Park.
« C’est sûr qu’on craint plus le gouvernement. On a moins confiance envers le gouvernement (…). Il a diminué les frais de scolarité de 10 %, ce qui n’est pas négligeable pour nous : les étudiants économisent un peu. Ce que le gouvernement a fait aussi est de réduire l’argent des bourses pour les étudiants. Ça a l’air bien fin de dire qu’on réduit de 10 % les frais de scolarité, mais quand t’as moins de bourses et plus de prêts, tu n’es pas vraiment plus avancé », critique Monique Lanoix.
Cette dernière admet que la situation à l’Université Laurentienne a ouvert les yeux à plusieurs.
« On regarde ce qui s’est passé à La Laurentienne et on regarde le processus qui a été mis de l’avant avec la LACC qui n’était vraiment pas un processus approprié pour une institution publique comme une université. »
La suite de notre grand dossier Les universités à la croisée des chemins, vendredi 16 juillet : Université et santé mentale