Vaccin : « Les bénéfices se feront ressentir en automne 2021 », selon un immunologiste franco-torontois

Le chercheur Jean-Philippe Julien dans son laboratoire. Archives ONFR+

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Jean-Philippe Julien est titulaire de la chaire de recherche du Canada en immunologie structurale à l’hôpital pour enfants SickKids, à Toronto. Son équipe travaille sur plusieurs vaccins, dont celui contre la COVID-19.

LE CONTEXTE :

Les multinationales pharmaceutiques Pfizer et Moderna ont mis au point un vaccin efficace à 95 %. La province, qui bat les records de cas, a nommé un ancien général des Forces armées canadiennes pour planifier la vaccination, dont on attend les premières doses en janvier.

L’ENJEU :

Vacciner un maximum d’Ontariens sera la clé pour atteindre une immunité collective et voir la courbe de contamination s’infléchir. Mais une part de la population est réticente et la pénurie de vaccin de la grippe dans plusieurs villes a mis en lumière un manque de coordination.

« Qu’est-ce qui différencie ce vaccin des autres?

On a eu recours à des technologies révolutionnaires, plus rapides et plus sécuritaires, qu’on utilise depuis 10-15 ans : l’injection d’ARN messager. Au lieu d’inoculer le virus désactivé, on a créé une synthèse d’un bout du code génétique du virus. Le corps comprend qu’il faut fabriquer des anticorps pour attaquer juste cette partie-là du virus, sans jamais l’avoir eu.

Un vaccin développé aussi vite (un an au lieu de cinq à huit ans) peut-il réserver de mauvaises surprises?

Les essais cliniques de phases 1, 2 et 3 sont faits pour éviter les surprises. Mais un vaccin est toujours perfectible. Il est fréquent que d’autres vaccins soient meilleurs quelques années plus tard. Mais on ne peut pas attendre quinze ans : il y a une crise de santé publique; on a des outils; il faut les déployer.

Quelles sont encore les inconnues, à ce stade?

On ne sait pas encore quelle sera sa durabilité. On sait qu’il est efficace à 95 % une semaine après la deuxième dose, mais on ne sait pas encore ce qui se passe au bout d’un an. On ne sait pas non plus comment on va pouvoir le conditionner et le stocker à grande échelle. On n’a pas les usines pour faire ça en Ontario, ni les infrastructures pour gérer des millions de doses à très basse température.

L’Ontario attend les premières livraisons de doses en janvier. Est prêt-il prêt dans ces conditions?

Énormément de choses doivent être alignées. Le Canada doit d’abord approuver le vaccin, puis recevoir les doses. Ça ne sera pas des milliards de doses qui arrivent d’un coup. Il faut ensuite avoir la bonne interface au niveau de la province pour administrer, stocker, prioriser et distribuer… Tout ça est en discussion.

Pourquoi le Canada ne produit pas ses propres vaccins pour éviter la pénurie et vacciner rapidement, sans dépendre de ses voisins américains et européens?

Les capacités de production actuelles du Canada ne sont pas compatibles avec les nouvelles technologies utilisées dans ce vaccin. Les investissements faits dans les 10-15 dernières années dans la recherche de base expliquent pourquoi on ne compétitionne pas, aujourd’hui, avec l’Allemagne, les États-Unis et l’Angleterre.

25 à 40 % des Ontariens sont réticents à l’idée de se faire vacciner. Comment l’expliquer?

Il y a une responsabilité des institutions de communiquer ce qu’est la science. Il faut que les données scientifiques soient transparentes et les montrer à la population pour qu’elle se fasse son opinion, qu’elle fasse mouvement vers la vaccination et comprenne que chacun peut apporter sa contribution pour arrêter la pandémie.

Si le vaccin est boycotté par la population, quel est le risque?

Ce serait d’avoir trop gens non protégés et encore une transmission communautaire. Comme il n’y aura pas de vaccin efficace à 100 %, ça veut déjà dire qu’une part des personnes qui vont recevoir le vaccin ne seront pas protégées. Si en plus de ça, il y a des personnes qui ne reçoivent pas le vaccin, on pourrait arriver à 40 % et ne pas atteindre un niveau de protection critique.

Pourquoi ne pas le rendre obligatoire dans ce cas-là?

Même voter, ce n’est pas obligatoire! Il y a des concepts dans notre démocratie qui sont fortement suggérés, mais au final demeurent une option. Dans notre société, on se fie davantage à la responsabilité civile et morale des gens pour atteindre des objectifs, plutôt que d’avoir un régime autoritaire. Ma préférence est dans l’éducation.

Comment va évoluer la pandémie au cours des prochains mois avec une vaccination au niveau mondial?

Si tout va très bien à partir de maintenant, les bénéfices se feront ressentir à l’automne 2021. Ce n’est qu’à partir de là qu’on verra un impact sur la courbe des cas. C’est le pronostic le plus favorable. C’est une approximation réaliste.

Est-ce que cela veut dire qu’une troisième vague est inévitable d’ici là?

Je ne parlerai pas de troisième vague avant de voir passer celle-là. Elle pourrait durer neuf mois, si on n’est pas capable de rétablir la situation. Ça va prendre une détermination à la battre dans les prochaines semaines et mois.

Les gens devront-ils se faire vacciner en plusieurs fois?

Oui, c’est une vaccination en deux temps : une première, puis trois semaines après, une deuxième qui stimule notre immunité à un niveau tel qu’elle peut prévenir l’infection.

Peut-on transmettre le virus, même vacciné?

On estime que 5 % des personnes vaccinées seront quand même infectées. Ces personnes pourront le transmettre. Mais il semble que les personnes qui contractent le virus sont capables de diminuer les symptômes du virus. C’est donc un vaccin qui fonctionne de deux manières : prévenir l’infection et réduire l’intensité de l’infection. Ça veut dire possiblement moins d’hospitalisations.

Quelles leçons tirées de cette course mondiale au vaccin?

On a appris que c’est possible de travailler ensemble. On n’a jamais eu des collaborations de cette envergure où tout le monde joue ensemble. La compétition a été incroyable. Cette crise nous a aussi montré à quel point il est important de continuer à faire évoluer les technologies qui nous permettront de mieux faire face à la prochaine crise. Est-ce que c’est la dernière pandémie de ce siècle? Selon moi, non. Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire pour être capable de répondre à une pandémie sans avoir un processus d’un an et demi comme on est en train de le vivre. »