Vente directe d’alcool aux consommateurs : une avancée attendue, mais des obstacles à surmonter

L’annonce, le 5 mars dernier, des premiers ministres du Canada concernant l’autorisation de la vente directe d’alcool aux consommateurs a été bien accueillie par les acteurs du secteur. Cependant, des incertitudes demeurent quant à sa mise en œuvre.
« C’est une bonne nouvelle. L’industrie du vin réclamait ce type de relation entre les provinces depuis longtemps », réagit Daniel Lafleur, directeur des ventes au vignoble Tawse à Vineland, en Ontario.
Face à l’augmentation des tarifs américains et à la fermeture progressive de ce marché, cette mesure est perçue comme une opportunité pour renforcer le commerce intérieur et favoriser l’achat local.
« Cette annonce marque une avancée importante pour ouvrir le marché canadien et inciter les Canadiens à consommer local », explique Daniel Lafleur, dont le vignoble produit environ 22 000 caisses de vin par an.

Un marché sous le contrôle des monopoles provinciaux
Depuis plusieurs décennies, la vente d’alcool au Canada est fortement régulée par des monopoles provinciaux, tels que la SAQ au Québec et la LCBO en Ontario.
« Un Québécois a du mal à acheter un vin ontarien et vice-versa. Cette situation n’a aucun sens et revient presque à instaurer des barrières douanières entre provinces », critique Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Il pointe du doigt le contrôle exclusif exercé par ces monopoles, qui limitent les options disponibles : « Actuellement, si un producteur ontarien ou du Nouveau-Brunswick n’est pas distribué par la SAQ, il est presque impossible d’y accéder autrement qu’en passant par l’importation privée, ce qui est complexe pour un particulier. »
Du côté des producteurs de vin, cette réforme constitue une occasion d’augmenter leurs marges de profit et d’accéder plus facilement aux consommateurs.
« Actuellement, nous passons par des agences dans chaque province, ce qui réduit notre marge de profit. Si nous pouvons vendre directement, nos bénéfices par bouteille augmenteront », explique M. Lafleur.
L’enjeu ne concerne pas uniquement la rentabilité, mais aussi la mise en marché. « Cette réforme nous permettrait d’investir davantage dans la promotion et le marketing, pour cibler directement notre clientèle, sans dépendre des décisions des monopoles provinciaux. »
Les premiers ministres présentent également cette mesure comme un levier pour stimuler l’économie locale en créant de nouveaux marchés pour les producteurs.
« Aujourd’hui, notre site Internet ne permet pas aux consommateurs situés hors de l’Ontario de commander en ligne. Nous devrons modifier cela pour nous adapter aux nouvelles possibilités de vente », ajoute Daniel Lafleur.
Des obstacles et des résistances
Si l’intention des premiers ministres est claire, sa mise en application pourrait s’avérer plus complexe.
Selon Frédéric Laurin, les monopoles provinciaux pourraient chercher à ralentir ou à contourner cette réforme pour préserver leur modèle économique.
« Soit la vente directe passe par les monopoles, qui n’aiment pas être bousculés pour des raisons de rentabilité, soit elle ouvre une brèche dans le monopole, ce qui pourrait être contesté en justice. »
Au-delà des obstacles internes, des tensions juridiques pourraient émerger sur la scène internationale.
« Si l’on autorise les producteurs canadiens à vendre en dehors des monopoles, les producteurs étrangers (australiens, européens) pourraient exiger le même droit et porter plainte », prévient M. Laurin.

L’Australie, par exemple, a déjà intenté une action en justice contre le Québec devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dénonçant une mesure favorisant les vins québécois dans les supermarchés sans passer par la SAQ.
Une réforme encore à concrétiser
Bien que la vente directe d’alcool représente un espoir pour les producteurs et les consommateurs, sa concrétisation reste incertaine.
Dans ce sens, Frédéric Laurin rappelle que des annonces similaires ont été faites par le passé, particulièrement en temps de crise, notamment pendant la pandémie, sans jamais être appliquées. « Il y a eu beaucoup d’annonces dans le domaine du vin et des alcools, mais souvent, elles restent sans suite ou aboutissent à de petits changements insignifiants. »
De son côté, Daniel Lafleur attend des précisions sur les mesures concrètes avant de se réjouir : « Avoir la possibilité de vendre directement aux autres provinces nous donne une meilleure flexibilité, mais il faut s’assurer que cette mesure bénéficie réellement aux producteurs. »
L’annonce des premiers ministres est un premier pas vers un assouplissement du commerce interprovincial de l’alcool, mais elle devra passer plusieurs tests pour devenir une réalité.
Par ailleurs, le 28 février 2025, le comité fédéral-provincial-territorial sur le commerce intérieur s’est réuni et a convenu, entre autres mesures, de lancer un système pancanadien de vente directe de produits alcoolisés canadiens aux consommateurs.
À l’heure actuelle, la Colombie-Britannique autorise la vente directe de vin aux consommateurs. Le Manitoba est déjà ouvert aux ventes directes de toutes les boissons alcoolisées aux consommateurs. Le Yukon explore des avenues pour la vente directe d’alcool aux consommateurs sur son territoire.