Rencontres

Yasmina Boubezari : renforcer la place du livre franco-ontarien

OTTAWA – Entre passion du livre et sens de la gestion, Yasmina Boubezari amorce un mandat à l’Association des auteures et des auteurs de l’Ontario français (AAOF) avec l’objectif de renforcer la place de la littérature franco-ontarienne et de relever les défis liés à la diversité des voix et aux habitudes de lecture en mutation.

«  Vous venez d’entrer en fonction. Comment vivez-vous ce nouveau rôle?

Écoutez, j’ai pris mes fonctions le 2 septembre à l’AAOF. Je pense que ce n’est pas un nouveau milieu pour moi. Le monde du livre, je le connais bien, j’ai déjà de nombreux contacts avec des auteurs. J’aborde donc ce chapitre avec beaucoup d’enthousiasme et de confiance.

Votre parcours est étroitement lié à la francophonie. Quel en est le fil conducteur?

On parle souvent de langue maternelle ou de première langue parlée, mais il y a une troisième catégorie, c’est la langue du cœur. Pour moi, le français, c’est ma langue de cœur. Je réfléchis en français, mes émotions, je les exprime en français. Mais concernant mon parcours, le fil conducteur au départ, n’était pas nécessairement en lien avec la francophonie :  Avant de m’installer au Canada, je travaillais dans l’humanitaire et le développement. Mon parcours a toujours été guidé par une vocation d’appui et de renforcement des capacités.

En arrivant ici (au Canada), j’ai ressenti le besoin de m’engager dans une cause essentielle : la francophonie. Elle s’est imposée d’elle-même, surtout dans un contexte minoritaire où l’équité entre l’anglais et le français reste un enjeu majeur.  

Yasmina Boubezari, à la tête de l’AAOF, souhaite consolider les acquis de l’organisme et renforcer les partenariats pour soutenir la littérature franco-ontarienne. Photo : gracieuseté de Yasmina Boubezari

Vous êtes arrivée au Canada en 2012. Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts?

Nous étions en famille, mon conjoint et mon fils qui avait alors six ans, nous avons vécu pendant trois ans au Manitoba, à Winnipeg. Je garde un souvenir très fort de la communauté franco-manitobaine. Une communauté très accueillante.

Mais on a beau être moderne, être ouvert, la culture canadienne et notamment franco-canadienne, est particulière et riche. Donc, c’était important pour moi à ce moment-là d’observer, de tisser des liens, de m’impliquer, de me rapprocher de la société d’accueil, notamment à travers le bénévolat.

Bien sûr, il y a eu des défis : accéder à l’emploi, faire reconnaître mon expérience – même celle acquise à l’ONU. Mais avec confiance et persévérance, on finit par se faire sa place.

Quel rôle joue le livre dans votre vie personnelle et professionnelle?

Il est central. Depuis mon enfance, je ne peux me passer d’un livre. J’ai commencé à écrire très tôt, à 15 ans je participais déjà à des festivals de poésie en Algérie. Plus tard, j’ai surtout été lectrice, mais la littérature est toujours restée une source de réconfort et de compréhension. Quand j’ai besoin de réponses, je les cherche dans les livres… Les mots écrits sont essentiels pour moi.

Certains pourraient voir une différence entre un auteur et une gestionnaire de livres. Qu’en pensez-vous?

Je crois que la littérature, comme toute expertise, nécessite une diversité de compétences. Un auteur a besoin d’un gestionnaire, d’un agent de communication, d’un éditeur. Je me considère comme une bonne gestionnaire, faite pour diriger une OBNL, mais avec une véritable passion pour le livre. Cette passion est indispensable.

« Le français est ma langue de cœur » : Yasmina Boubezari place la francophonie au centre de sa mission à l’AAOF. Photo : gracieuseté de Yasmina Boubezari

Quelle est votre vision pour l’association?

Je prends la direction d’un organisme solide, crédible auprès des bailleurs de fonds et des institutions, qui a la confiance des auteurs et du public. Pour la première année, ma priorité est de consolider les acquis. Ensuite, j’aimerais développer davantage les partenariats, car je crois profondément à la force de la collaboration surtout en contexte linguistique minoritaire.

Quels sont les plus grands défis pour les auteurs franco-ontariens?

Le premier, c’est la place du livre dans un monde en mutation. Les jeunes lisent-ils encore autant? Sont-ils davantage attirés par d’autres formes artistiques? Le deuxième défi est lié au contexte minoritaire. Positionner la littérature franco-ontarienne et soutenir ses auteurs est essentiel. Elle est indéniablement un indicateur de la vitalité francophone.

À vos yeux, que révèle la littérature franco-ontarienne de la société?

Elle est synonyme d’inclusion et de diversité. On y trouve une richesse de styles et de catégories – jeunesse, poésie, roman, fiction – qui reflète l’évolution de la société. Aujourd’hui, un Canadien sur cinq est né à l’étranger, et cette diversité se manifeste magnifiquement dans la littérature. De nombreux auteurs et autrices issus de l’immigration apportent une fraîcheur et une pluralité de voix qui enrichissent notre paysage littéraire.

Votre propre parcours, marqué par l’immigration et la diversité, a-t-il pesé dans votre nomination?

Je suis une francophone engagée. Je crois qu’on peut être une minorité forte en s’impliquant. Mon expérience dans la gestion d’OBNL et mon engagement pour la francophonie canadienne ont certainement été reconnus. Quant à la diversité, je pense que toutes les diversités sont des atouts. Peut-être qu’à l’avenir, nous irons plus loin en offrant des services personnalisés aux auteurs selon leurs parcours et leurs profils.

En résumé, comment souhaitez-vous transformer l’Association?

Je vois l’Association comme un organisme intègre, ancré dans les besoins de ses membres, mais aussi ouvert sur le monde. Elle doit rester solide, adaptable et collaborative. Je veux continuer à enrichir les partenariats dans le milieu du livre, mais aussi avec d’autres secteurs. Ce qui caractérise la francophonie, c’est cette capacité à travailler ensemble. C’est cela qui nous rend plus forts. »


2015 : Directrice du secteur Immigration- Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

2021 : Directrice générale du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC).

2022 : Directrice des programmes du Centre de services communautaires de la Basse-Ville (CRCBV).

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.