Nu Grocery a été la première épicerie zéro déchet à ouvrir ses portes en Ontario, en 2017. Photo: Gracieuseté de Valérie Leloup

Valérie Leloup est membre du comité directeur de l’organisme Écologie Ottawa et co-fondatrice de la première épicerie zéro déchet de l’Ontario.

En cette Journée mondiale de l’environnement, nous nous sommes demandé où en était le mouvement zéro déchet, qui était très en vogue avant que la pandémie ne vienne perturber des habitudes en pleine émergence.

Le contexte socioéconomique, le manque d’éducation face aux enjeux climatiques, l’impression de complexité et les relents de mesures sanitaires sont autant d’obstacles au mouvement zéro déchet. Ses principaux porte-paroles semblent avoir disparu et ceux qui restent peinent à s’imposer dans l’imaginaire populaire. Pourtant, il est d’autant plus pertinent en 2024 d’adopter un mode de vie plus respectueux de l’environnement, croit Valérie Leloup.

« Pour nous mettre en contexte, racontez-nous l’histoire de Nu Grocery. Pourquoi vouliez-vous ouvrir une épicerie zéro déchet à Ottawa?

En 2015, j’ai lu le livre Zéro déchet, de Béa Johnson, qui m’a donné envie d’adopter ce mode de simplicité volontaire où l’on se concentre sur la prévention des déchets. Dans nos sociétés modernes, on s’occupe du déchet une fois qu’il a été créé, en essayant de trouver des solutions pour s’en débarrasser. Le mouvement zéro déchet prend le problème à la source et essaie de faire en sorte que le déchet ne soit pas créé.

Ce mode de vie m’a beaucoup parlé en tant qu’activiste environnementale. J’ai trouvé que certaines choses étaient faciles. Consommer moins, c’est vraiment juste une décision. Par contre, il y a d’autres aspects, comme l’épicerie, que j’ai trouvé très difficiles à mettre en œuvre. Béa Johnson préconisait d’acheter dans des magasins en vrac, en apportant ses propres contenants. Or, en 2016, il y avait très peu d’épiceries en vrac à Ottawa qui acceptaient les contenants.

Paru en version originale en 2013, le livre de Béa Johnson a été traduit et adapté dans plus de 25 langues. La version québécoise a été publiée aux Éditions Transcontinental en 2014. Photo : TFO / Rachel Crustin

En 2017, avec ma partenaire d’affaires Sia Veeramani, on a ouvert la première épicerie zéro déchet de l’Ontario. Ça a très bien fonctionné. En 2019, nous avons ouvert une deuxième succursale. Et six mois après, la pandémie est arrivée, et les choses ont été bouleversées.

Quel a été l’impact de la pandémie sur le mouvement?

2019 a été l’apogée du mouvement zéro déchet. Il y avait une effervescence, un intérêt. Avec la pandémie, les priorités ont complètement changé, ce qui se comprend. La priorité n’était pas forcément la réduction des déchets, mais plutôt la santé et la sécurité. Béa Johnson a complètement disparu de la circulation. On a perdu cet engouement, et des voix qui étaient des leaders du mouvement.

Ça s’est répercuté sur toutes les entreprises qui avaient été créées dans cette mouvance. Nous avons fermé l’une de nos succursales. Quatre ans plus tard, on ne s’en est pas encore remis. C’est représentatif de ce qui se passe à l’échelle sociale. Des fermetures d’entreprises, des ventes qui sont encore loin de ce qu’elles étaient prépandémie. Et le zéro déchet n’est toujours pas revenu sur le devant de la scène.

On sent que ça repart un peu, différemment, parce que c’est quand même l’avenir. On ne peut plus continuer à créer des montagnes de déchets comme on le fait. On parle de plus en plus d’économie circulaire et de choses qui vont se passer au niveau du système, et pas seulement de l’individu.

Sentez-vous un essoufflement des mouvements écologiques en général?

Définitivement. À Écologie Ottawa, on le ressent aussi. Les ONG environnementales ont beaucoup plus de mal à récolter des dons. Après la pandémie, il y a eu l’inflation, le coût de la vie, le logement… plusieurs autres problèmes ont détrôné l’environnement.

Malgré des événements choquants, comme les feux de forêt de l’an dernier, on tarde à revoir cette mobilisation pour la cause climatique.

Il y a une vraie fatigue. Je constate aussi beaucoup de dissonance cognitive. Je vois énormément de gens qui prônent plein de choses pour l’environnement, mais qui vont quand même acheter chez Loblaws et commander sur Amazon.

Comment peut-on se remotiver à adopter des habitudes plus vertes?

Si j’avais la solution, je l’aurais déjà appliquée. C’est un énorme travail d’éducation qui doit être refait. Je fais des interventions dans des écoles, des associations et des événements environnementaux. Mais souvent, vous prêchez à des convertis. Comment toucher les gens qui ne vont pas se rendre à ces événements?

Valérie Leloup est co-fondatrice de Nu Grocery et membre du comité directeur d’Écologie Ottawa. Photo : Gracieuseté de Valérie Leloup

Je crois que ça prend une impulsion gouvernementale. Il faut que tous nos paliers de gouvernements soient beaucoup plus dynamiques. Il y a énormément de politiques municipales qui touchent à l’environnement, comme la gestion des déchets, par exemple.

Il y a récemment eu un mouvement de boycottage de Loblaws pour dénoncer les coûts de l’épicerie. En étant une épicerie marginale, comment arrivez-vous à faire votre place?

C’est très difficile. Nous représentons ce fossé entre l’acte et la parole. Nous sommes une entreprise extrêmement aimée, parce que nous avons une mission, des valeurs, que nous payons nos employés avec un salaire décent. Mais ça ne se traduit pas forcément en acte d’achats.

Le problème, je pense, c’est la perception que c’est compliqué. C’est tellement plus simple d’acheter en ligne et de tout faire livrer par une grande chaîne que de penser à apporter ses contenants. L’aspect pratique a raison des convictions.

Je pense que tout le monde est encore un peu traumatisé, mais que les gens vont finir par retrouver le charme de l’épicerie de quartier.

Il y a aussi la perception que c’est plus cher. Est-ce vrai et, si oui, pourquoi?

Nous ne sommes pas plus chers que les grandes chaînes sur des produits à qualité égale. Le problème, c’est qu’on vend quand même des produits souvent bio, naturels, locaux. Ces produits sont un peu plus chers que la version la moins chère que vous allez trouver en épicerie, qui a été faite en masse dans une usine. Mais là, on ne compare pas les mêmes choses. »