L’outil de traduction devient un outil de compréhension

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OTTAWA – Le gouvernement fédéral a décidé de répondre aux craintes exprimées devant le comité permanent des langues officielles en fixant, mardi 17 mai, des critères d’utilisation plus stricts concernant l’outil de traduction Portage, a appris #ONfr.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Annoncée le 31 mars, puis repoussée pour « procéder à des ajustements techniques », selon le ministère des Services publics et Approvisionnement, la mise en place de l’outil de traduction Portage dans la fonction publique fédérale du Canada se fera finalement selon des directives « plus strictes ».

Le député libéral de Hull-Aylmer, Greg Fergus, a indiqué, mardi 17 mai à #ONfr, que l’outil sera désormais « un outil de compréhension et non un outil de traduction ».

« L’outil Portage sera là pour aider les fonctionnaires à comprendre un courriel ou un document », assure-t-il.

Les tests effectués sur Portage par Radio-Canada démontraient un grand nombre d’incohérences et faisaient craindre qu’un usage trop répandu de cet outil se fasse au détriment des traducteurs dans la fonction publique fédérale.

La présidente-directrice générale du Bureau de la traduction, Donna Achimov, avait tenté, début mars, devant les élus du comité permanent des langues officielles, de se montrer rassurante en expliquant que cet outil aiderait « les fonctionnaires fédéraux à mieux comprendre certains documents » et les encouragerait « à utiliser leur seconde langue au travail avec leurs collègues », notamment à l’interne dans les échanges de courriels.

Sa vision avait été partiellement remise en cause par un ancien employé du Bureau de la traduction et un des instigateurs de l’outil Portage, le président du conseil d’administration du Centre de recherche en technologie langagières (CRTL), Donald Barabé, qui avait plaidé pour un cadre d’utilisation très strict.

Au cours des audiences menées par le comité permanent des langues officielles sur le Bureau de la traduction et l’utilisation de l’outil de traduction Portage, plusieurs intervenants du monde de la traduction, mais aussi du milieu de la recherche universitaire, avaient exprimé leurs craintes, notamment quant à la place du bilinguisme dans la fonction publique fédérale.

Conditions d’utilisation

Les conditions d’utilisation demandées par le ministère des Services publics et Approvisionnement aux utilisateurs restent toutefois très proches de l’usage qu’en proposait Mme Achimov, selon les informations envoyées à #ONfr.

Ainsi, il est indiqué que l’outil doit servir « à des fins d’amélioration de la compréhension et de traduction de courtes communications simples et non officielles ».

Toutefois, il est pris soin de préciser que « le présent outil ne peut être utilisé que pour les textes de niveau non classifié ou Protégé A » et que « la traduction automatique permet d’avoir une idée générale du contenu et ne remplace pas un traducteur professionnel ». Le ministère rappelle également que chaque ministère est chargé de respecter la Loi sur les langues officielles et que l’outil de traduction automatique « ne modifie pas ces responsabilités ».

« Je suis très heureux que ma suggestion ait été entendue. À travers les différents témoignages que nous avons entendus devant le comité (permanent des langues officielles – ndlr), il devenait clair que cet outil pouvait poser problème pour garantir le droit des fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix. Il fallait préciser les conditions d’utilisation en accord avec la Loi sur les langues officielles et bien insister que c’est un outil de compréhension et non de traduction. »

Toujours trop flou

Mais l’opposition ne se montre pas vraiment convaincue par ces nouvelles directives qui restent, selon le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, encore trop floues.

« Je suis très préoccupé car il y a une différence entre ce que dit M. Fergus et ce qui est indiqué dans les conditions d’utilisation. On parle encore d’un outil de traduction et on indique aussi qu’il peut servir à rédiger de courts messages. On ne devrait plus utiliser le mot « traduction » pour qu’il n’y ait aucune confusion possible. Actuellement, on reste dans le flou et c’est inacceptable car cela menace encore la possibilité des fonctionnaires à travailler dans la langue officielle de leur choix! »

M. Choquette se dit également surpris par la manière de procéder du gouvernement dans ce dossier.

« Le comité permanent des langues officielles finalise actuellement son étude sur le Bureau de la traduction. Tout le monde autour de la table a fait un excellent travail et je ne comprends pas pourquoi ces directives sortent avant la remise de notre rapport qui donnera des conditions d’utilisation très claires. Nous avons travaillé très fort, avons pris cette question très au sérieux et j’espère que la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, et le gouvernement libéral, tiendront compte de nos conclusions, notamment en ce qui a trait aux manières d’encadrer l’outil Portage. »

L’étude sur le Bureau de la traduction devrait être rendue publique début juin.

Lancement le 18 mai

En attendant, l’outil de traduction a bel et bien été lancé le mercredi 18 mai. Et si les conditions d’utilisation restent, en effet, proches des conditions de départ, le courriel envoyé aux employés du Bureau de la traduction, dont #ONfr a obtenu copie, est beaucoup plus clair quant à l’objectif recherché.

Désormais appelé « Outil de compréhension linguistique », il est indiqué qu’il « ne remplace pas les services de langagiers professionnels ».

« Comme vous l’aurez remarqué, notre outil a changé de nom. Il s’agit maintenant de l’Outil de compréhension linguistique. Ce nouveau nom reflète mieux l’intention première de l’outil, et ce changement vient à la suite de commentaires formulés par les utilisateurs dans le cadre du pré-lancement », peut-on lire sur le courriel.

La présidente nationale de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), Emmanuelle Tremblay, se montre satisfaire et parle d’un léger changement de ton au Bureau de la traduction.

« On voit des signaux intéressants avec ce changement de nom, mais aussi la publication récente de 9 offres d’emplois de traducteurs. Cela démontre que la pression politique et publique a fonctionné même s’il reste encore du travail à faire pour redonner les ressources nécessaires au Bureau de la traduction pour qu’il puisse remplir sa mission. »

Mme Tremblay plaide pour un nouveau modèle de financement du Bureau de la traduction et dit attendre les conclusions de l’étude du comité avec impatience.