Notre époque, un classique, selon le Théâtre français du CNA
OTTAWA – Le Centre national des arts (CNA) a dévoilé sa programmation 2024-2025 ce jeudi. Le théâtre français exploite le thème Sortir du cadre en proposant un regard nouveau sur des œuvres de répertoire et, à l’inverse, en traitant notre époque comme un grand classique.
Le théâtre français a reçu des artistes de la prochaine programmation et des spectateurs assidus lors d’un événement de prédévoilement mercredi soir. C’est dans une Quatrième salle bondée que le directeur artistique, Mani Soleymanlou, et la directrice artistique associée au volet enfance et jeunesse, Mélanie Dumont, ont présenté l’année à venir.
En entrevue avec ONFR, Mani Soleymanlou explique son désir de revenir vers les classiques, alors que le théâtre documentaire et l’autofiction ont été particulièrement populaires dans les dernières années. « J’en suis moi-même responsable, s’amuse le créateur de Un. Deux. Trois. Je pense aussi qu’il y avait une envie de la part du public d’avoir accès à ces pièces de répertoire. Alors on a été à l’écoute, et les propositions étaient là pour qu’on puisse attaquer cette envie de front. »
Et les propositions sont ambitieuses. Après avoir fait fureur à Montréal, La traversée du siècle, spectacle de 12 h 30 basée sur l’œuvre de Michel Tremblay, sort du Québec pour la première fois. « Dans cette aventure d’une journée, l’esprit divague, part et revient. (…) C’est une expérience collective assez phénoménale. » La traversée du siècle a été imaginée par Alice Ronfard, appuyée par le regretté complice de Michel Tremblay, André Brassard.
Une autre œuvre particulièrement éclatée gardera le public en haleine pendant 4 h. The Rise of the BlingBling, de Philippe Boutin, mélange histoire religieuse, culture pop, théâtre, danse et même kung-fu avec une vingtaine d’interprètes. À l’événement de mercredi, l’auteur a raconté s’être inspiré de son propre superhéros d’enfance, Jésus, et de l’amour inconditionnel qu’il a reçu de ses parents.
Mani Soleymalou propose de traiter notre époque à la manière d’un classique théâtral. « Il y a quand même des pandémies, des écarts de richesse, la montée du fascisme, des guerres de religion… on peut écrire notre époque d’aujourd’hui comme un classique (…) pour espérer que le public se responsabilise davantage, et qu’on réalise qu’on est collectivement en train d’écrire quelque chose qu’on lègue à d’autres. »
C’est l’idée derrière Classique(s), un collage pour lequel il a recruté de grosses pointures comme Louise Cardinal, Martin Drainville et Julie Le Breton, entre autres. Dans le même état d’esprit, Peau d’âne devient une fable féministe dans les yeux de Félix-Antoine Boutin et Sophie Cadieux. Au cœur de la rose (généalogie d’une tristesse) fera découvrir au public l’œuvre théâtrale du cinéaste Pierre Perreault.
Cispersonnages en quête d’auteurice emprunte le concept de Luigi Pirandello (Six personnages en quête d’auteur), mais en mettant en vedette une troupe issue de la neurodiversité. « C’est assez bluffant, jouissif et troublant de voir une troupe d’acteurs neurodivergents se demander ce qu’ils ont le droit de jouer. » L’autrice et metteuse en scène Catherine Bourgeois « fait un travail phénoménal d’intégration et de sensibilisation avec un niveau artistique très élevé ».
D’autres propositions audacieuses
Dans Maurice, Anne-Marie Olivier campe le rôle d’un homme qu’elle a rencontré dans la vraie vie, qui vivait avec de graves conséquences d’un accident cérébral. Téméraire, elle invite un spectateur à monter sur scène pour lui raconter l’histoire directement, ce qui crée des rencontres toujours différentes.
Dans Surveillée et punie, le metteur en scène Philippe Cyr tente de sublimer la haine reçue par la chanteuse Safia Nolin. Le livret signé par la principale intéressée et par l’auteur Jean-Philippe Baril-Guérard utilise les vrais mots reçus pour en faire un spectacle « beau et troublant » selon Mani Soleymanlou, qui a vu les répétitions. Une vingtaine de choristes (dont plusieurs recrutés localement), Safia Nolin et Debbie Lynch-White seront réunis sur scène.
Le directeur artistique du Théâtre français espère que la proposition fera œuvre utile, même si elle risque de prêcher à des convertis. « Si on peut s’adresser à des centaines de personnes tous les soirs, même si on est d’accord, bien on fait juste renforcir le fait qu’on est d’accord, que c’est inacceptable, et on est plus de soldats sur le terrain. »
Mani Soleymanlou fait aussi place à la relève avec la deuxième édition du Collectif, un projet qu’il a imaginé pour donner une première expérience professionnelle à des finissants en théâtre.
Dernière saison de Mélanie Dumont
Celle qui s’occupe du volet jeunesse et enfance du théâtre français depuis 2011 en est à son dernier tour de piste comme directrice artistique associée. En plus du retour confirmé du Festival Big Bang, la programmation promet de ravir les familles toute l’année.
Les musiciens de l’orage feront croire aux spectateurs qu’ils contrôlent la météo. Dans le théâtre acrobatique de Batailles, une querelle pour les places assises cache le thème de la cohabitation en société.
Avec Racines, Élie Marchand imagine le monologue intérieur d’un bébé. À la Quatrième salle mercredi, l’auteur a expliqué qu’il « comprend maintenant pourquoi les parents pleurent » lors des représentations, depuis qu’il est lui-même parent.
Dans Joséphine et les grandes personnes, un personnage enfant sans être enfantin (Émilie Dionne) rencontrera une aînée (Mireille Metellus), avec qui elle a beaucoup en commun. Le ton est d’abord celui d’une conférence de coach de vie pour enfant.
Maputo-Mozambique est un spectacle de jonglerie, de chant et de percussion que Mélanie Dumont avait particulièrement hâte d’intégrer à la programmation.
Le Potager, qui a déjà été présenté au Festival Big Bang par le passé, sera de retour avec sa musique rock jouée à l’intérieur d’une serre, au centre des spectateurs.
Anniversaires
Pour ses cinq ans, le Théâtre autochtone du CNA présente une première pièce en français avec Marguerite, le feu d’Émilie Monnet, lauréate du prix littéraire Jacques-Poirier-Outaouais.
Alexander Shelley célèbre dix ans comme directeur musical de l’Orchestre du CNA. La saison débutera avec le festival Sphère, qui implique aussi les autres volets artistiques de l’institution de la rue Elgin. La comédienne Christine Beaulieu viendra y présenter l’adaptation scénique de son livre Les saumons de la Mitis, accompagnée de l’orchestre. Dans le reste de la saison, les grands classiques, la musique de film et les présentations familiales seront de retour.
La directrice artistique de Danse CNA, Caroline Orth, présente sa toute première programmation. Les chorégraphes francophones Catherine Gaudet et Virginie Brunelle seront de la partie. Une première pour le CNA, un spectacle sur glace sera présenté à l’Aréna Stade-Pierre-Lafontaine de Gatineau, du côté québécois de la rivière.
Si d’autres spectacles seront annoncés en juin, la saison de Musique populaire et variétés a déjà dévoilé certaines propositions en français : Chloé Sainte-Marie, Mado Lamotte, les Hay Babies, Raffi et le spectacle vocal et orchestral Héritières.