75 ans de partage dans une épicerie franco-ontarienne à Alexandria 

Denis et Carole Brunet sont Franco-Ontariens. Ils sont les propriétaires de l'épicerie B&B Food Market à Alexandria. Cela fait 75 ans, trois générations que le magasin général appartient à la famille Brunet. Crédit image: Lila Mouch

[VIRÉES D’ÉTÉ]

ALEXANDRIA – Après avoir arpenté les rues d’Alexandria et exploré ses nombreuses églises, nous empruntons la rue Bishop. En français : la rue de l’Évêque. Nichée entre deux maisons, l’épicerie locale B&B Food Market apparait. Typique des dépanneurs québécois, le modeste commerce semble pourtant à sa place ici, dans ce petit coin d’Ontario. C’est la famille Brunet qui tient ce marché local. Depuis 75 ans, plusieurs générations d’habitants l’ont fréquenté et y ont même travaillé. 

Le B&B, c’est bien plus qu’une épicerie, c’est une grande famille. « On se connait tous ici. Parfois, je vais devant le magasin juste pour jaser avec les clients », raconte Carole Brunet. « En fait, ce sont plus que des clients, voyez-vous, ce sont des voisins et des amis. »

Carole Brunet et son mari Denis sont les propriétaires de l’épicerie. Si pour Mme Brunet, le B&B est un point d’ancrage pour les habitants, un lieu de passage obligatoire, c’est aussi un point de repère dans une société qui ne cesse de changer. 

« On est toujours là, dans les bons moments comme dans les mauvais », dit-elle. « Si quelqu’un entre dans l’épicerie et qu’il ne va pas bien, on le sait, on le voit. Alors, on s’en occupe. »

Derrière le comptoir du magasin général, les caissières et les clients discutent chaleureusement. L’esprit de village, c’est aussi cette proximité entre les gens. Crédit image : Lila Mouch

La famille Brunet a été témoin d’histoires de vie tout aussi touchantes qu’émouvantes au travers des années. Carole Brunet nous raconte qu’ils ont vu des centaines de familles s’agrandir, des enfants devenir de grands adultes et des grands-parents dire adieu sans peine. 

« Même nos employés font partie de la famille », ajoute-t-elle. Dans l’arrière-boutique, sur les murs, des tas de photos sont accrochés. Quand on demande qui sont ces gens, Mme Brunet répond tout naturellement : « Ici, ce sont des enfants de nos clients, puis là nos anciens employés. »

On retrouve là encore des portraits de ceux qui font partie de cette grande famille, derrière le comptoir, à l’entrée. 

Une employée remplit les rayons pendant notre visite. L’épicerie est sans cesse fréquentée par les clients. Crédit image : Lila Mouch

D’ailleurs, autour du comptoir et dans les rayons, les employés s’occupent dans un joyeux vacarme. À chaque nouvelle personne qui ouvre la porte, une cloche retentit. Si on y prête attention, on se rend compte de l’achalandage progressif. 

À la caisse, les employés interpellent les clients par leur prénom, un « salut » par-ci et « à bientôt » par là. 

« On connait le nom de tout le monde », affirme chaleureusement la patronne. « On leur souhaite même leur anniversaire. »

D’ailleurs, c’est bien ce qu’il s’est passé, alors que nous étions dans l’arrière-boutique à feuilleter les albums photos. Les deux caissières en avant, l’employée dans les rayons, les deux bouchers et enfin nous-mêmes étions soudainement en train de chanter « bonne fête » à Wally, ce client venu faire ses emplettes. 

Carole Brunet en compagnie de Wally, un client accueilli par une chanson d’anniversaire au moment de pénétrer dans la boutique. Crédit image : Lila Mouch

C’est ainsi que l’histoire de la famille Brunet et de leur magasin général prend tout son sens. 

« Souvent quand les familles se promènent, les enfants vont ramasser les pissenlits ou une petite fleur et m’en amènent. Ils rentrent et me cherchent. Là, je sors, puis je m’agenouille, parce que je me garde à hauteur des enfants. C’est toujours une surprise, c’est inexplicable », savoure-t-elle. 

Cette relation avec la population d’Alexandria est importante pour la famille Brunet qui apprécie l’esprit d’entraide qui règne dans le petit village. Pour rendre la pareille, elle fait des dons à la banque alimentaire St-Vincent de Paul. 

Les étagères de l’épicerie sont d’origine, elles supportent encore les kilos de pâtes et de sauces rangées minutieusement. Crédit image : Lila Mouch

« À la fin de la journée, on rentre chez nous et on est heureux de partager de belles choses avec nos clients et nos employés. »

En entrant dans cette épicerie, les odeurs rassurantes des gâteaux à l’érable nous invitent à sillonner les étalages. Les étagères d’origines tiennent encore et, sur les murs, de vieilles enseignes nous rappellent que la boutique n’a pas toujours été ainsi. 

Une lignée franco-ontarienne

Si on nous accueille en français, c’est parce que le famille Brunet est issue d’une lignée franco-ontarienne. À l’origine du B&B, sorti de terre en 1948, on retrouve le grand-père Brunet et l’oncle Boisvenue, d’où l’acronyme B&B. Le père de Denis Brunet, Maurice, en a fait l’acquisition en 1968.

Denis Brunet a grandi dans cette épicerie. D’ailleurs sa maison d’enfance dans laquelle il vit aujourd’hui jouxte le magasin. Alors comme une évidence, en 1995, il a repris le flambeau. M. Brunet a même gardé le billet de 5 dollars de sa première vente, du jour où il est devenu propriétaire. 

La passation. En 1995, Denis Brunet (à droite) a reçu les clés du B&B des mains de son père, Maurice, (à gauche). Une petite cérémonie pour lui sauter « bonne chance » comme il l’avait écrit sur le gâteau au centre de l’image. Crédit image : Lila Mouch

Au travers des albums photos, on constate que le B&B a fait peau neuve à plusieurs reprises, mais certaines choses n’ont pas changé. En 1958, la boutique fit une première mise en beauté, puis en 1973 la famille Brunet y a ajouté un étage, suivi d’une opération séduction en 1976 et en 2004 avec plusieurs ravalements de façade, changements de tapisserie et réorganisation de l’espace.

Pour autant, plusieurs vieilles enseignes de boissons, elles, n’ont pas bougé. Tout comme le français, qui lui aussi est toujours parlé dans le magasin général.

L’épicerie a bien changé depuis sa première ouverture en 1948. Crédit image : Lila Mouch

Denis et Carole Brunet sont conscients que la langue se perd dans la région mais, dans leur épicerie, vient une majorité de francophones : « On est bilingue, donc on parle les deux langues », explique Mme Brunet. 

Denis Brunet se rend compte que les clients sont ravis quand on parle dans leur langue. « Quand des gens du Québec traversent Alexandria, ils pensent parfois que, passé la frontière, il n’y a plus de français, alors ils sont contents quand on leur répond dans cette langue. »

Denis Brunet est devenu propriétaire du B&B en 1995 à l’âge de 25 ans, mais il y travaillait depuis ses 14 ans. Crédit image : Lila Mouch

Aussi longtemps qu’ils le pourront 

Comme toute entreprise, le moment de raccrocher le tablier se pose à un certain moment mais les Brunet le clame haut et fort : « On n’y est pas encore! » La relève sera assurée, il n’y a pas de doute, mais sera-t-elle toujours dans la famille? « L’avenir nous le dira », répond le couple. 

Denis Brunet se souvient encore des conseils de ses ancêtres. « Mon grand-père et mon père se sont retirés autour de leurs 55 ans. Aujourd’hui, j’en ai 53, mais je ne suis pas près de m’arrêter », admet-il. 

Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.