Les enfants autistes perturbés par la pandémie : « Du stress supplémentaire »
À peine l’entrevue débutée, le père de Maëlys, 11 ans et atteinte d’autisme, se lance. « On a beaucoup à dire. Oui, c’est très perturbant pour les enfants, car que ce soit à l’école ou dans les médias, tout est devenu anxiogène, c’est plus compliqué! »
Maëlys est atteinte du syndrome d’Asperger. Cette condition neurologique affecte ses interactions sociales, sa communication et sa perception cognitive.
« Ma fille a besoin d’une routine. Sous l’anxiété, elle se ferme. Souvent, les enfants avec le syndrome d’Asperger ont des sens hyperdéveloppés. Ma fille ne supporte pas le masque. Rien à faire. On a dû gérer des crises d’effondrement qu’on avait plus eues depuis longtemps. D’un seul coup pour elle, tout s’effondre. Ces enfants peuvent devenir violents. Ils craquent complètement! »
Des réactions prenant leur source dans la confusion.
« Depuis le début de la pandémie, il y a tellement de différents sons de cloche. On entend des mesures incohérentes. Or, les enfants victimes du syndrome d’Asperger ont besoin d’une ligne ferme, au risque d’amplifier le stress. »
Depuis le début de la pandémie, les nuits sont aussi plus courtes pour Renée Allard. Cette Franco-Ontarienne, mère de Philippe, 12 ans, atteint aussi du syndrome d’Asperger, se souvient de la fermeture totale des écoles de mars à juin.
« Je devais travailler à la maison à temps plein. Mon mari, qui est sur la construction, ne pouvait pas toujours être présent à la maison. Les autistes ont des problèmes de sommeil. En cela, le retour à l’école a été vraiment bénéfique pour lui donner une routine. »
Durant ce printemps de confinement, Philippe découvre l’apprentissage à distance. « Ce fut difficile pour lui, car il n’est pas très autonome. Il est heureux à la maison, mais cette pandémie l’a fait régresser socialement. On doit le pousser pourtant, à ce qu’il rencontre du monde. »
Pendant ce temps, Renée Allard fait de son mieux avec ses trois autres enfants. « Heureusement, l’aîné était autonome, mais c’était très difficile de concilier le travail et la garde des enfants. C’est du stress supplémentaire! »
À Casselman, Geneviève Ethier ne voit pas le bout du tunnel.
« C’est compliqué », lâche cette mère de deux enfants, Olivier, six ans, et Étienne, cinq ans, atteint du TDHA déficit de l’attention et/ou hyperactivité.
« Samedi dernier, on a reçu un appel du bureau de santé nous disant que nos enfants ont été en contact avec quelqu’un infecté par la COVID-19, donc ils devaient être isolés. On doit les garder à la maison, et essayer de faire du travail. Cela devient très compliqué quand les enfants ont des besoins spéciaux. »
Pour elle et son conjoint, les sorties se font dorénavant rares.
« Tout ce qu’on avait l’habitude de faire est un peu tombé à l’eau, car celui qui a le TDHA met tout à la bouche, et veut tout lécher. Ce n’est donc pas sécuritaire de sortir. »
Pour ne rien arranger, Geneviève Ethier ne peut plus compter sur la venue de thérapeutes à la maison pendant quelques heures. Psychologues, ergothérapeutes, physiothérapeutes ou encore orthophonistes, les services à domicile sont parfois très larges.
« Ce sont de bonnes choses pour les enfants, mais aussi pour les parents. Avant la pandémie, les thérapeutes venaient à la maison, travaillaient les habiletés sociales et la discipline, mais maintenant plus personne ne veut donner ces services à cause de la pandémie. »
Des solutions pour les enfants… en français
Regroupement Autisme Prescott-Russell est justement dédié à offrir des services de répit aux parents… en français. Geneviève Ethier a fait appel à l’organisme durant la pandémie. Pas question pour elle de négliger la composante linguistique.
« Notre enfant de six ans a longtemps eu de la difficulté à parler. Celui de cinq ans disait, il y a peu, seulement des phrases. L’orthophoniste disait qu’on devait seulement utiliser une langue pour l’apprentissage. Mon conjoint et moi étant francophones, nous avons absolument besoin de services en français. »
Bonne pioche puisque Regroupement Autisme Prescott-Russell dispense des services en français pour les jeunes et même les adultes.
« Avec les jeunes, on fait un travail basé sur la communication, des jeux et des activités », explique Nathalie Lévesque, la présidente de l’organisme fondé il y a maintenant plus de dix ans. « Pendant la pandémie, beaucoup de jeunes atteints d’autisme ne sont pas allés à l’école et ont donc régressé socialement. »
Des activités pour lesquelles beaucoup de jeunes sont exclus.
« Ces jeunes-là ne peuvent pas, des fois, jouer au hockey ou dans les équipes de soccer. Ils ont besoin de quelque chose de communautaire. Ça renforce leur confiance et leur sens de l’organisation », renchérit Mme Lévesque.
En dehors de ces organismes, il faut souvent lutter pour trouver des services en français pour les parents d’enfants atteints d’autisme.
Exemple de ces obstacles à Ottawa, où Geneviève Ethier et son conjoint doivent se rendre régulièrement.
« La première rencontre au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) était uniquement en anglais. Même pour nous en tant qu’adultes, c’était difficile car les termes sont très techniques. Même pour remplir des documents via le site provincial du ministère, on doit aller sur la version anglaise, car la version française ne marche pas! »
Dans le Nord de l’Ontario, où les distances sont multipliées par deux ou trois, un autre enjeu s’ajoute.
« Les thérapeutes ne voulaient pas venir durant le confinement. On a donc dû payer plus cher pour les faire venir, incluant leur voyage », explique Chantal Chartrand, mère d’une enfant de cinq ans atteinte d’un trouble sévère du spectre de l’autisme.
Un répit obligatoire ou presque s’imposait pour cette résidente de Capreol dans la banlieue du Grand Sudbury.
« Ma fille Valérie avait besoin de mon attention, même quand je faisais le souper. Elle a besoin de 25 à 40 heures de thérapie par semaine, à raison de plus de 50 $ l’heure pour la thérapie. C’était très difficile. »
Impossible pour elle de choisir une autre langue que le français pour sa fille. « C’est très important moi. Mon grand-père était du Québec. Je veux qu’elle soit francophone. »
Mais le virtuel peut aussi être un avantage, si l’on se place de l’autre côté du miroir. Angèle Paquette est « prestataire de services de navigation » pour l’organisme Autisme Ontario. Sa mission : donner diverses activités récréatives aux enfants. Depuis mars, tout se fait de manière virtuelle.
« La région est tellement grande. Je reste près de Sturgeon Falls. Pour moi, c’est avantageux, car dorénavant, je veux rejoindre tous les parents. Avant la pandémie, j’essayais de me rendre une couple de mois dans ces régions pour faire les activités en personne. Pour une région comme Hearst, cela pouvait être jusqu’à huit heures de trajet. »
Mais cette prestataire l’admet, des limites sont bel et bien présentes.
« Virtuellement, ils ont de la difficulté à rester en place, et suivre les programmes. Il y a un problème de concentration. Certains font des cours en ligne avec les écoles. »
La pandémie, un obstacle qui s’ajoute à un autre
Reste que la pandémie n’est pas le premier obstacle rencontré par les parents d’enfants autistes en Ontario.
Beaucoup dénoncent le nouveau système mis en place par le gouvernement Ford, en février 2019, sous l’impulsion de la ministre des Services à l’enfance de l’époque, Lisa MacLeod.
L’argent est dorénavant directement donné aux parents pour qu’ils puissent décider des soins nécessaires et se tourner éventuellement vers le privé.
Problème : cette décision avait indigné de nombreux parents. Le gouvernement avait fait volte-face, mais sans fournir d’échéance précise pour un nouveau plan.
« On a bien reçu de l’argent pour un an, mais on ne pouvait pas le dépenser car les centres étaient fermés durant la pandémie », déplore Mme Allard. « Le gouvernement a quand même prolongé le délai de six mois. »
« Prenons, par exemple, les interventions thérapeutiques en français. Ce n’est pas un domaine réglementé. Depuis que Doug Ford a mis la hache, les services sont encore plus retreints. Il faut vraiment faire ses devoirs pour s’assurer qu’on ait un fournisseur de services compétent. Sans compter qu’on n’a pas toujours des fournisseurs avec des atomes crochus pour l’enfant. »
Et la facture augmente. D’autant que les classes spécialisées dans les écoles ne parviennent pas à offrir tous les services nécessaires pour les enfants.
« Pour les enfants de plus de cinq ans, on reçoit une somme d’argent beaucoup plus faible. Depuis la réforme, nous avons seulement 5 000 $ pour prendre en charge tous les soins de Philippe. C’est peu. Nous avons fait récemment une thérapie qui nous a coûté 11 000 $. »
Le plafond annuel atteint 20 000 $ par an jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de six ans, et de 5 000 $ annuellement pour les enfants âgés de six à 18 ans.
« C’est qu’on a eu 20 000 $ par an », illustre Geneviève Ethier, mère des jeunes Étienne et Olivier.
Une affirmation aussitôt suivie par un bémol.
« Mais ça ne prend pas de temps que ça se vide, surtout, par exemple, avec les rendez-vous chez l’orthophoniste. Juste inscrire nos enfants dans des camps spécialisés durant l’été, c’est cher. »
QUELQUES CHIFFRES :
1 enfant ou adolescent sur 66 (de 5 à 17 ans) a un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA).
De 1 à 2 % de la population canadienne est autiste, ce qui signifie qu’il y a environ 135 000 personnes autistes en Ontario.
Chantal Chartrand ne cache pas son exaspération face au gouvernement Ford. La réforme de l’an passé aurait amené son lot de problèmes dans le Nord de l’Ontario.
« Avant, nous pouvions avoir accès à beaucoup de thérapeutes en français à domicile. Maintenant, ils ont été engagés par beaucoup d’écoles des conseils scolaires, car cela devenait plus difficile pour eux de gagner leur vie. Pour les besoins spécifiques à la maison, nous avons besoin de personnes extérieures aux écoles. »
Aux dernières nouvelles, le gouvernement Ford n’a pas rendu sa copie quant au nouveau programme pour les enfants atteints d’autisme.
Depuis plusieurs mois, la présidente de l’Ontario Autism Coalition (OAC), Laura Kirby-McIntosh, s’impatiente. En témoigne le dernier communiqué de l’association : « Trop c’est trop. Le moment est venu pour un programme qui répond aux besoins de tous les enfants atteints d’autisme dans notre province. Il n’y a aucune excuse. Ce gouvernement a eu suffisamment de temps et de fonds pour mettre en place le programme ontarien de l’autisme. La seule chose qui manque est la volonté du gouvernement de le faire. »
La suite de notre grand dossier sur les personnes en situation de handicap pendant la pandémie, demain, sur ONFR.org. Vendredi, lisez Le quotidien de Marie-Josée Martin paraplégique : « La vie est belle »