L’entrepreneuriat à Hearst : une histoire de famille et de résilience
HEARST – Tandis que les célébrations du centenaire de Hearst se poursuivent jusqu’au 6 août, l’histoire de la ville continue de fasciner depuis ses débuts, notamment de par la force entrepreneuriale de ses habitants qui ne cessent d’œuvrer avec acharnement pour son développement. L’industrie du bois et de la construction est le secteur dans lequel se sont le plus enrichies les familles fondatrices. Cette histoire témoigne du caractère fort de la ville qui refuse encore et toujours de céder devant les difficultés.
Cette distinction s’est imposée dès le début de son histoire, au moment de sa création après la construction du chemin de fer transcontinental en 1919. La ville s’est bâtie grâce à la volonté et au dur labeur de plusieurs entrepreneurs d’origine canadienne-française qui ont su tirer profit du bois d’œuvre précieux de la région. Ailleurs dans le Nord, ce sont des compagnies américaines qui se sont enrichies dans le secteur minier ou l’industrie papetière.
Rapidement, la région de Hearst devient un gros joueur du secteur forestier à l’échelle non seulement de la province, mais aussi du pays. De premières scieries dans les années 20 à l’établissement de compagnies de bois et l’industrialisation des années 40, les familles célèbres Lecours, Fontaine, Lévesque, Sélin ou encore Gosselin se sont largement enrichies.
Une croissance qui a nettement contribué au développement de la ville et de ses habitants qui voient ainsi se construire des maisons, églises et écoles grâce au bois produit.
Vers la fin des années 40, le gouvernement ontarien décide d’interdire l’exportation de bois de papeterie brut en dehors de la province afin de générer plus d’emplois, en poussant les compagnies à elles-mêmes à transformer le bois.
Cette politique va inciter les compagnies de bois de pulpe à quitter la région et marquer un tournant décisif pour les entreprises familiales de bois de sciage qui auront un accès exclusif au territoire de coupe. Le développement de ville s’accentue jusque dans les années 70 et 80 et est tel que la ville devient celle comptant le plus de millionnaires par capital au monde.
Le secteur forestier emploie 9 % de la main-d’œuvre régionale. Encore aujourd’hui cinq des douze principaux employeurs de la ville sont reliés au bois et à la construction.
« Ça nous a fait développer de l’indépendance, un mode de survie, on est loin de tout donc il faut devenir autosuffisant » – Mario Villeneuve
Un esprit battant
Les débuts étaient difficiles et Lauryanne Joanis s’en souvient encore. Héritière de la famille Fontaine, celle qui est âgée aujourd’hui de 86 ans fut à la tête d’Arrow Timber de 1968 à 1990.
« Pour tous ceux qui sont venus dans ces années-là, c’était la misère. Le terrain n’était pas prospère comme au Québec. Les gens ont travaillé dur pour en arriver là », se rappelle-t-elle en évoquant son grand-père, Noé Fontaine, venu dans le Nord de l’Ontario dans les années 20 après avoir perdu ses trois moulins à scie dans un incendie au Québec.
Comment expliquer cet esprit de résilience si fort qui caractérise les entrepreneurs de Hearst? Selon Mario Villeneuve, vice-président de l’entreprise familiale Villeneuve Construction, créée en 1976, cela est dû principalement à l’isolement de la ville.
« Ça nous a fait développer de l’indépendance, un mode de survie. On est loin de tout donc il faut devenir autosuffisant. Ça forge une forte personnalité », confie celui qui travaille pour l’entreprise employant plusieurs centaines d’employés dans la région.
Pionnière parmi les pionniers
Dans une industrie majoritairement constituée d’hommes dans les années 70, il était difficile d’être une femme. Première femme à avoir siégé au Conseil des entrepreneurs forestiers, Lauryanne Joanis, véritable mémoire vivante de 85 ans d’histoire, peut en témoigner.
« J’étais la seule femme, aucune autre femme ne travaillait dans ce milieu d’homme », confie celle qui avait à sa charge près de 400 employés.
Devenue veuve à 35 ans, celle a dû se retrousser les manches afin de reprendre l’entreprise familiale que gérait son mari, Émile Joanis, tout en devant élever six enfants seule.
Une situation difficile qui ne l’a pas empêché de continuer à marquer l’histoire en devenant l’une des premières femmes de la région à être copropriétaires d’un magasin de détail en quincaillerie et matériaux de construction en 1988 : Hearst Lumber Co. Ltd.
Et sa générosité a pu bénéficier à la communauté, en contribuant financièrement à des bourses d’études à l’Université de Hearst ou à l’Hôpital Notre-Dame.
« Ça me brise le cœur que les gens viennent ici, font de l’argent ici et après s’en vont à Ottawa » – Lauryanne Joanis
Faire face à la concurrence
Une des rares entreprises familiales prospérant encore aujourd’hui, Villeneuve Construction doit, de son côté, faire face à une concurrence de plus en plus féroce de géants de l’industrie récemment installés à Hearst.
Loin d’être intimidé, M. Villeneuve voit la situation comme positive : « Il faut se servir de ça comme motivateur. On a l’intention de rester local, de rester des Franco-Ontariens. On est fier d’être une entreprise familiale », lance le natif de Hearst.
De son côté, Mme Joanis regrette de voir des gérants d’entreprise quitter la ville du Nord pour s’installer ailleurs dans la province : « Les enfants partent puis ne reviennent pas, et alors les parents partent aussi. C’est vraiment triste parce qu’on perd des compagnies de chez nous. »
Le pire étant encore, selon la retraitée, ceux qui viennent s’enrichir à Hearst sans y rester : « Ça me brise le cœur que les gens viennent ici, font de l’argent ici et après s’en vont à Ottawa », se désole-t-elle.
Fièrement du Nord
Un défi auquel fait face Mario Villeneuve dont l’entreprise n’a pas été épargnée par la pénurie de main-d’œuvre. L’entrepreneur reconnaît avoir du mal à attirer et garder des jeunes comme la plupart des gérants dans le Nord.
Celui-ci dit d’ailleurs avoir embauché tout récemment un responsable des ressources humaines pour tenter de séduire les employés.
Une embauche qui sera strictement francophone et pour laquelle le caractère francophone de sa compagnie constituera un atout majeur selon son vice-président : « On est reconnu pour ça. C’est notre charme. Nos fournisseurs aiment ça ‘’oh les frenchmen’’ de Hearst. Ça nous différencie et nous donne un côté cool et je suis bien fier de ça. »
L’image des métiers de l’industrie a elle aussi bien évolué selon M. Villeneuve avec l’éveil de l’intérêt pour la traçabilité des produits notamment : « Ça vient de chez nous. C’est notre ressource première, notre bijou. On est moins vu comme des lumberjacks mais il faut respecter ceux qui sont passés avant nous et ont bâti un train comme le dit mon père. »