Qui est Carl Bouchard, le commissaire aux services en français par intérim?
TORONTO – Journaliste de formation et de profession, Carl Bouchard est un ancien employé de Radio-Canada et TFO qui a fait le saut dans la fonction publique ministérielle en 2014, au sein du ministère des Affaires francophones (MAFO). Le départ inattendu de la commissaire Kelly Burke met dans la lumière ce fonctionnaire déjà rodé aux défis de la communauté.
Diplômé en journalisme de l’Université d’Ottawa, M. Bouchard a débuté sa carrière comme réalisateur associé dans la capitale, avant de mettre le cap sur Toronto, officiant d’abord à TFO de 2005 à 2006, au sein l’émission d’affaires publiques Panorama.
Ce natif d’Alma (dans la région québécoise de Saguenay-Lac-Saint-Jean) a poursuivi sa carrière à CBC-Radio-Canada, de 2006 à 2014, collaborant notamment à la matinale Y’a pas deux matins pareils, mais aussi à Au-delà de la 401, ou encore Les arts et les autres. Il a connu à cette époque la perte de l’antenne régionale de Windsor, réduisant l’information du Sud-Ouest à une portion congrue de 15 minutes dans le bulletin de Toronto.
« Ça a été un moment controversé », se remémore-t-il en entrevue avec ONFR+. « J’ai vécu beaucoup de changements dans ma vie. Mon mot d’ordre a toujours été d’être agile, flexible, de s’adapter aux situations et de continuer à progresser, surtout en milieu médiatique où l’instabilité est chose commune. Cela m’a bien préparé pour ce qui est maintenant devant moi. »
En 2014, l’homme de média se tourne vers la fonction publique provinciale, un virage à 180 degrés? « Non », conçoit-il. « J’ai eu envie de contribuer encore plus à façonner la francophonie de l’Ontario. Œuvrer dans les politiques publiques et les lois qui encadrent les droits linguistiques me semblait donc une avenue naturelle à suivre pour mettre en avant toute la richesse francophone de l’Ontario. J’ai adoré faire ça comme journaliste et continuer au ministère était le moyen de mettre les mains davantage dans la pâte. »
Dans les coulisses des 400 ans de l’Ontario français
Après un passage éclair comme chef de service au MAFO, il est nommé directeur en charge des politiques et services, au moment où le ministère vient de recevoir le mandat d’assurer les 400 ans de présence francophone en Ontario.
« J’ai contribué à la livraison de ce projet assez monumental qui a réuni l’ensemble des ministres canadiens responsables des affaires francophones », confie-t-il à propos d’un « moment très intéressant qui a permis d’avoir une visibilité nationale, une occasion de faire la promotion de l’histoire francophone de la province ».
Durant six ans, sa tâche est alors de développer des législations et des politiques « en travaillant à l’horizontal avec les autres ministères » afin d’améliorer les services en français en Ontario. M. Bouchard mène de concert les négociations de plusieurs ententes de financement et de collaboration fédérales, provinciales et territoriales.
« Il a joué un rôle clé dans l’élaboration de recommandations visant à améliorer l’offre de services en français » – Ombudsman de l’Ontario
« Ça consistait à faire des consultations, donner des directions, prodiguer les conseils, influencer les ministères pour s’assurer d’une mise en œuvre au bénéfice de la communauté, ce qui nécessitait de la curiosité, une capacité de comprendre les enjeux ainsi que des connaissances dans beaucoup de domaines, que ce soit la santé, les services sociaux et communautaires. »
Son arrivée au sein de l’unité des services en français remonte à février 2020. Il est alors nommé directeur des opérations, dans un contexte de bouleversement du Commissariat passé sous la coupe de l’ombudsman, une conséquence des coupes du Jeudi noir de l’Ontario français.
« Il a joué un rôle clé dans l’élaboration de recommandations visant à améliorer l’offre de services en français en Ontario, y compris dans les rapports annuels et dans notre enquête de 2022 sur les coupes à la programmation en français par l’Université Laurentienne », affirme le bureau de l’ombudsman.
Deux priorités : la planification gouvernementale et La Laurentienne
Le départ surprise de Kelly Burke le place maintenant en première ligne. « Bien qu’en poste de façon intérimaire, je m’assurerai de continuer à œuvrer avec intégrité, avec humilité et avec ouverture pour améliorer l’offre de services en français en Ontario, comme je l’ai fait depuis que je me suis joint au Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario en février 2020 », indique-t-il.
Il devra assurer une certaine stabilité mais aussi la continuité de la protection des droits linguistiques. « Je sais qu’on devra continuer d’avoir des résultats concrets pour les francophones jusqu’à ce qu’une nouvelle personne arrive », est-il conscient.
« À plus long terme on y verra plus clair mais pour l’instant j’ai tous les outils qu’il faut pour assumer mon rôle », estime celui qui assurera la double tâche de commissaire intérimaire et de directeur.
« Beaucoup de progrès a été fait. Il ne faut pas imaginer que les choses se font comme ça » – Carl Bouchard
Il devra par exemple entre autres veiller de près à l’application des précédentes recommandations formulées par la commissaire Burke. Sur 11 recommandations, seules deux ont été mises en oeuvre pour le moment.
« Beaucoup de progrès a été fait. Il ne faut pas imaginer que les choses se font comme ça. Ça suggère des changements en profondeur », relativise-t-il en prenant l’exemple de la modernisation de la Loi sur les services en français qui rend les ministres imputables de l’application de la Loi, avec des exigences de planification et de performances.
Une autre priorité, plus immédiate, concerne l’Université Laurentienne : « À la fin du mois, on produira une mise à jour de notre rapport et sur la mise en œuvre des recommandations émises l’an dernier à la suite des coupes dans la programmation de langue française. Un an après, ce deuxième rapport donnera une idée des progrès réalisés par La Laurentienne. »
Pas de retard dans la livraison malgré ce brusque changement
M. Bouchard écarte l’idée d’un quelconque retard de suivi dans les dossiers. « L’unité des services en français, c’est une équipe avec des gens qui travaillent au quotidien, répondent aux appels et s’assurent de trouver des solutions. Nos enquêtes se poursuivent aussi pour comprendre les enjeux plus complexes. »
« Si éventuellement on doit en faire plus, on en fera plus », affirme-t-il, « mais on continue de rencontrer nos obligations. Je m’attends à ce que notre rapport sur La Laurentienne soit livré à la fin du mois et à ce que, d’ici la fin de l’année, on ait produit notre rapport annuel, comme la Loi exige qu’on le fasse ».
Son agenda est déjà garni : dans les prochaines semaines, il prévoit de rencontrer une trentaine d’organismes, ainsi que des francophones pour les inciter à partager leurs défis. « J’espère que les gens vont être confiants dans le travail que j’ai accompli jusqu’ici et que je vais continuer d’accomplir », glisse-t-il.
Conscient de la surprise et de l’incertitude qu’a suscité le départ de Mme Burke, il admet que « les périodes de transitions sont toujours des périodes où les gens se sentent vulnérables et veulent être rassurés. C’est la raison pour laquelle je vous parle aujourd’hui et que je vais m’assurer de répondre aux questions des gens. Que l’ensemble de la population se sente à l’aise de communiquer avec moi ».