Université de Sudbury : pourquoi le budget provincial peut tout débloquer
À la veille du budget, la question brûle les lèvres : le gouvernement ira-t-il de l’avant avec l’Université de Sudbury? Le dossier est de plus en plus pesant depuis les consultations du Comité permanent des finances et des affaires économiques, et alors que l’Université Laurentienne, renflouée, s’est lancée de son côté dans plusieurs investissements, y compris dans son offre francophone, relançant la question du rapatriement des programmes à l’Université de Sudbury.
Autonomie, laïcité, unilinguisme francophone… L’Université de Sudbury (U de S) a franchi des étapes capitales au cours des deux dernières années en vue d’atteindre son objectif : devenir un établissement public de langue française. Il n’en manque qu’une : l’accréditation du ministère des Collèges et Universités.
Si le ministre des Finances, Peter Bethlenfalvy, lui faisait une place dans le budget, ce jeudi, cela ferait sauter le dernier verrou en vue de la réouverture de l’établissement dans sa nouvelle forme. Un projet largement soutenu par la communauté et les étudiants francophones du Moyen-Nord pour qui les options sont réduites à l’heure actuelle.
L’Université n’offre en effet plus de programmes depuis deux ans, tandis que La Laurentienne, après des coupes drastiques en 2021, ne propose plus que 25 programmes en français dans l’éducation, la santé, les arts, la gestion et les sciences.
Interrogé ce mardi, au sortir de la réunion du caucus francophone progressiste-conservateur, Peter Bethlenfalvy a préféré renvoyer la balle dans le camp de la ministre des Collèges et Universités : « C’est une question pour Jill Dunlop! »
Cette dernière aurait scruté ces dernières semaines « avec attention » le plan d’affaires détaillé remis par l’Université de Sudbury, affirme son bureau. Quelle que soit la décision prise, elle mettra « la priorité sur la prestation d’une éducation postsecondaire de haute qualité pour les communautés nordiques et francophones », assure sa porte-parole, Liz Tuomi.
Une recommandation toujours gardée confidentielle
Sur son bureau depuis septembre dernier, une recommandation de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire de l’Ontario (CÉQÉP) fera pencher la balance du bon ou du mauvais côté. Ou peut-être entre les deux. Un scénario pourrait être effectivement que l’U de S obtienne son financement mais pas le rapatriement des programmes en français, du moins à court terme. Une période de transition pourrait voir le jour en collaboration avec les autres universités.
Devant le Comité permanent des finances et des affaires économiques en janvier dernier, son recteur Serge Miville jugeait « primordial » de faire une place à l’Université dans le prochain budget provincial en tant qu’établissement public de langue française.
Devant ce même comité, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) recommandait que la province recoure au Fonds complémentaire en éducation postsecondaire de Patrimoine canadien et accorde un financement de base à l’U de S.
Fortes attentes à la veille des arbitrages du gouvernement Ford
Une ligne dans le budget est-elle à portée de main dans ce contexte? « C’est notre grand vœu », garde espoir Fabien Hébert. « Toutes les exigences ont été remplies par l’Université de Sudbury, que ce soit au niveau du dépôt du plan d’affaires ou des critères de qualité. »
Le président de l’AFO craint que l’institution n’aille au-devant de graves défis financiers si le budget ignore le dossier. « Le gouvernement a définitivement un pouvoir d’action. Il a renfloué ses coffres, alors c’est peut-être le moment de jouer des coudes. »
Le gouvernement fédéral a injecté 1,9 million de dollars en mai dernier pour transformer l’institution bilingue en une université « par et pour » la communauté francophone du Nord de l’Ontario. Mais l’Ontario n’a pas encore bougé ses pions.
« Il faut de l’argent, sinon ça ne va pas prendre beaucoup de temps pour monter aux barricades » – France Gélinas, députée
« Il faut qu’il y ait quelque chose dans le budget », urge la députée néo-démocrate de Nickel Belt, France Gélinas. « Ce n’est pas raisonnable de penser qu’ils puissent continuer de payer un directeur, l’électricité, le chauffage. On va finir par perdre un projet qui nous définit comme Franco-Ontariens. « Il faut de l’argent pour l’Université de Sudbury, sinon ça ne va pas prendre beaucoup de temps pour monter aux barricades. »
Réjean Grenier, militant engagé de la communauté de Sudbury, estime lui aussi qu’il est essentiel que le gouvernement prévoie une part du budget à l’Université afin « de ne pas être pris de cours quand une décision sera prise ». Dans le cas contraire, « ce serait un faux pas » et « un très mauvais signe », juge-t-il.
Probablement pas de cohorte avant 2025
Jean-Charles Cachon, un des professeurs ayant perdu son poste lors des coupes de 2021 à l’Université Laurentienne, considère que le financement devrait refléter la réalité économique des francophones dans la région.
« Dans la mesure où la valeur du produit intérieur brut est entre 11 et 12 milliards, dont les francophones représentent 3 milliards, Il devrait y avoir une portion de la contribution provinciale comme fédérale qui corresponde au moins à la présence francophone dans la région », plaide-t-il.
Selon lui, « ni le palier fédéral ni le palier provincial ne répondent aux besoins de la communauté francophone sur le secteur postsecondaire et en particulier au niveau universitaire », ce qui se manifeste dans l’exode forcé des jeunes vers d’autres régions.
Si ce financement se concrétise dans ce budget, ce ne sera toutefois pas une fin en soi. Il restera à l’U de S à élaborer ses programmes, transformer sa gouvernance et employer du personnel, un travail qui devrait s’étaler sur environ deux années.
Article écrit avec la collaboration d’Inès Rebei.