Fin du Mois de la Fierté : la communauté LGBTQ+ franco-ontarienne témoigne

Le Mois de la Fierté est l’occasion de souligner la diversité des expériences LGBTQ+ franco-ontariennes. Dans les dernières semaines, ONFR+ s’est entretenu avec des personnes aux profils variés pour discuter d’identité, d’enjeux et de l’évolution de la situation en Ontario francophone. Parce que le mois se termine, mais que la discussion continue, la parole est à Ariane, Sophie, Dolvan, Michel et Zakary.

Ariane

Ariane s’identifie comme panpoly, c’est-à-dire pansexuelle et polyamoureuse. Elle habite avec ses deux partenaires principaux, Shaun et Chris, qui n’entretiennent pas de relation romantique l’un envers l’autre. « Ils sont de très bons amis. Ils font beaucoup de choses ensemble. Si je ne suis pas à la maison, ça ne va pas les empêcher de faire une activité ensemble. » Tous les trois sont libres de développer d’autres relations, peu importe leur niveau d’intimité et d’attachement.

« Je m’identifie comme quelqu’un qui défie les normes de différentes façons et qui soutient les gens qui défient les normes »
— Ariane

Comme nous l’explique Ariane, il n’y a pas de consensus à savoir si les personnes polyamoureuses font partie de la communauté LGBTQ+. « Le LGBTQ+ comprend l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Et le polyamour, c’est plus un style de vie ou un arrangement de relations. Pour moi, le polyamour fait partie de mon identité LGBTQ+. Étant aussi pansexuelle, je sais qu’on fait face aux mêmes défis. »

Crédit image : Stéphane Bédard

Pour elle, le coming out polyamoureux a même été un peu plus difficile que le coming out pansexuel, parce que le sujet est moins discuté dans l’espace public. Même si son entourage s’est montré très ouvert, Ariane hésite encore à se dévoiler complètement sur son lieu de travail.

Mais dans les lieux publics, elle ne se gêne pas trop pour démontrer de l’affection à plus d’un ou d’une partenaire à la fois. « On ne se donne pas en spectacle, mais de faire des choses que les gens en relation plus traditionnelles feraient, comme se tenir la main ou se donner un bec… Je me donne le droit de faire ça parce que les autres le font. Mais ça dépend de l’endroit. »

Crédit image : Stéphane Bédard

Dans une société où la monogamie est la norme, certains préjugés sont tenaces. « Il y a des gens qui pensent que les personnes se font manipuler ou ne consentent pas d’une façon informée, alors que c’est vraiment important. On appelle ça aussi la non-monogamie éthique. La partie éthique est aussi importante que l’arrangement lui-même. »

Une autre idée reçue est celle que les personnes polyamoureuses accumulent les conquêtes sexuelles. « C’est possible d’être poly et asexuel. C’est vraiment plus à propos de nos connexions, des fois sexuelles, mais aussi romantiques, émotionnelles et intellectuelles. »

Crédit image : Stéphane Bédard

Ariane souligne qu’elle ne souhaite pas convertir les gens monogames, mais seulement qu’ils reconnaissent la validité de ses choix. « Non seulement on ne fait de mal à personne, mais on s’entraide, on se soutient, c’est pas mal toujours positif. »

Sophie

Sophie Stiquée est une drag queen et DJ polyglotte originaire de l’île Maurice. Elle coanime la seule soirée de drag francophone de Toronto.

Crédit image : Jackson Ho

Elle aussi fait face à des stéréotypes en lien avec la sexualité. Et comme l’intersectionnalité fait partie intégrante de son identité, certains clichés s’accumulent. « Beaucoup de gens pensent que les personnes queer abusent de drogues et de sexe. Il y a aussi beaucoup de stéréotypes envers les personnes queer et asiatiques, comme penser qu’elles sont hypersexuelles ou, à l’opposé, asexuelles. »

Crédit image : Jackson Ho

Les défis étaient lourds pour Mathieu Adrien, l’alter ego de Sophie Stiquée, puisqu’iel a grandi dans un pays où l’homosexualité est criminalisée. Heureusement, la communauté torontoise lui permet de vivre librement ses différentes facettes identitaires. « Non seulement il y a un village où les personnes comme moi sont célébrées, accueillies et protégées, mais il y a aussi des sous-cultures, des espaces à l’intérieur d’autres espaces. »

« Être un représentant de la communauté francophone mauricienne et queer à Toronto, c’est vraiment un honneur »
— Mathieu, alias Sophie Stiquée

Tout n’est pourtant pas rose pour la communauté LGBTQ+ de la Ville Reine. Si iel n’a pas encore été témoin d’une montée anti-drag comme on en voit ailleurs, Mathieu s’inquiète de voir des bars gais mettre la clé sous la porte. « Je pense que c’est le plus gros enjeu au Canada. On a l’impression qu’on perd de plus en plus d’espaces consacrés à la sécurité des personnes LGBTQ+. »

Dolvan

Fraichement débarqué à Toronto en décembre 2022, Dolvan arrive aussi d’un pays où l’homosexualité est criminalisée. Son parcours de vie au Cameroun est particulièrement truffé d’embûches. Son père étant chef de village, Dolvan n’avait pas le droit à l’erreur. On attendait même de lui qu’il se trouve non seulement une femme, mais plusieurs.

« Depuis mon enfance, j’ai ressenti que je suis différent, que j’ai de l’attirance pour les hommes. Mais je ne pouvais pas m’exprimer. J’ai grandi dans une communauté très religieuse. »

Crédit image : Andréanne Baribeau

Après la séparation de ses parents, Dolvan a dû s’occuper de ses frères et sœurs alors qu’il n’était pas lui-même sorti de l’enfance. En plus de ne pas pouvoir s’épanouir, il ne pouvait pas non plus dénoncer les agressions sexuelles qu’il subissait de la part d’un membre de la famille.

« Le seul réconfort était à l’église. Mais comme j’étais choriste et enfant de chœur, je changeais généralement d’église pour aller me confesser chez un prêtre ailleurs. »

Crédit image : Andréanne Baribeau

À l’âge adulte, il sort parfois à la Connexion, le bar gai secret de la ville de Douala. Mais il faut se cacher, en sortir masqué et déguerpir rapidement. Dolvan se rend aussi quelques fois à des rendez-vous avec des hommes rencontrés sur Internet. Mais lorsque l’un d’eux l’arnaque et le dépouille, il ne peut pas le dénoncer sous peine d’être lui-même découvert.

Heureusement, la mère de Dolvan a accepté son homosexualité, qu’il a fini par lui révéler. « C’est la force de ma mère qui m’a fait ne pas craquer. Je sais maintenant que l’amour que j’avais pour elle était un bouclier pour moi. »

Son déménagement en Ontario a complètement changé la vie de Dolvan, qui prend les moyens de passer par-dessus toutes ces embûches.

« Quand je suis arrivé à l’Université de l’Ontario français, la première personne que je voulais voir, c’était la psychothérapeute »
— Dolvan

La découverte de FrancoQueer a été déterminante pour celui qui participe aujourd’hui à toutes les activités de l’organisme : « Je ne veux plus me faire violence. Je veux m’exprimer dans mon groupe, où je suis libre. Quand je suis là-bas, je suis heureux de m’exprimer. Je fais des rencontres, personne ne me regarde, personne ne me juge, je n’ai pas honte. »

Crédit image : Andréanne Baribeau

Celui qui déménagera bientôt à Sudbury pour étudier à l’Université Laurentienne affiche une détermination sans égal. « Dans mon pays, on nous prend comme des méchants, des sorciers, des maudits… Je veux montrer que moi, je ne suis pas maudit. »

Michel

À 67 ans, Michel se souvient pourtant que l’homosexualité était aussi criminalisée au Canada jusqu’en 1969. Il rappelle que beaucoup de gens de sa génération sont toujours dans le placard. « Je pense que c’est important de réaliser que la honte, le fait de ne pas avoir le droit de se marier, de ne pas pouvoir vivre ouvertement dans nos milieux de travail et dans notre société… ce n’est pas fini. Il y a une accumulation de traumatismes au cours d’une vie. »

Crédit image : Andréanne Baribeau

Dans sa vingtaine, Michel a lui-même été marié à une femme. « À 26 ans, je lui ai avoué que j’étais gai, parce que j’avais demandé une séparation et elle ne comprenait pas pourquoi. C’est à 37 ans que j’ai fait un véritable coming out. »

Crédit image : Andréanne Baribeau

Celui qui dirige une association pour aînés franco-ontariens contribue à y créer un climat d’ouverture envers les communautés LGBTQ+ qu’il aurait aimé retrouver dans son adolescence.

« J’envie les jeunes d’aujourd’hui. On en parle dans les écoles, il y a des groupes d’alliances qui leur permettent de s’afficher, de s’affirmer, de se questionner. Personnellement, à 18 ans, j’aurais aimé que quelqu’un m’aide à voir clair. »

Zakary

À 19 ans, Zakary peut témoigner de cette évolution sociale. Celui qui a grandi à Hearst affirme que la situation s’améliore dans le Nord de l’Ontario.

« Au début, j’avais des regards dans la rue, des commentaires lancés. Je marchais dans la rue et je tenais la main de mon copain et on se faisait lancer des insultes. Mais là, ça progresse. »

Crédit image : Inès Rebei

Même si le fait de vivre dans une communauté où tout le monde se connaît apporte son lot de regards, Zakary n’a pas l’impression d’être observé plus que les autres. Le jeune homme a même participé aux deux premières éditions du Cabaret Queer de Hearst, organisé par le Conseil des arts. Cette expérience lui donne envie d’explorer plus sérieusement la discipline de la drag, qui est presque inexistante dans sa région. En attendant, il continue simplement d’être lui-même.

« Je porte des talons hauts et une manucure. Les gens font beaucoup moins de remarques qu’avant. Au final, tant que moi je suis heureux, ça ne me dérange pas, ce que les gens pensent. »

Être queer et francophone

Nous avons demandé à ces cinq Franco-Ontariens si la situation linguistique leur avait apporté des enjeux distincts de la communauté anglophone. Michel, Zakary et Ariane ont expliqué que c’est surtout au niveau de l’accès aux activités en français qu’il y a des lacunes. On tient souvent pour acquis que les francophones sont bilingues, mais pour des questions d’une aussi grande importance identitaire, il est parfois plus difficile d’être complètement soi-même dans notre langue seconde.

Pour Mathieu, c’est plutôt la structure très genrée du français qui pose problème. « Je ne m’attends pas à ce que ma mère m’appelle iel. Je sais que ça lui demanderait beaucoup d’effort, non seulement de respecter mon identité de genre, mais de changer son usage de la langue française. »

L’importance du Mois de la Fierté

Alors que le Mois de la Fierté se termine, tous les participants à ce photoreportage s’entendent sur son importance. Dolvan, Michel et Mathieu ont vécu le fait d’être citoyens de pays qui criminalisent les communautés LGBTQ+. Mathieu affirme apprécier « l’opportunité de me mettre en avant et d’être un représentant pour ma communauté. De dire qu’on peut être exactement comme les autres et s’épanouir sans difficulté ».

Ariane se montre très reconnaissante des générations précédentes, qui se sont battues pour les droits de la communauté. Elle conclut : « On ne fait de mal à personne. Ce qu’on fait, c’est qu’on aime librement. Et pour moi, c’est vraiment difficile de voir le mal là-dedans. »

*Avec la collaboration d’Andréanne Baribeau, Yana Pigot, Inès Rebei, Abigail Alves Murta, Jacques-Normand Sauvé, Stéphane Bédard et Jackson Ho.