Élèves francophones : le Nord en perte de vitesse, Ottawa et Toronto en expansion
Le nombre d’élèves dans les écoles francophones du Nord n’a cessé de chuter dans la dernière décennie en Ontario tandis que celui d’Ottawa et de Toronto connait une explosion, démontre les chiffres du ministère de l’Éducation.
À partir du catalogue des données ouvertes du gouvernement de l’Ontario et des chiffres fournis par les conseils scolaires, nous avons compilé le nombre d’élèves fréquentant les écoles francophones publiques chaque année depuis 2011.
Les chiffres des écoles privées ainsi que ceux des années scolaires 2023-2024 et 2024-2025 dans le système public n’étaient pas disponibles.
Les données démontrent que les écoles du Sud de la province (de Windsor au Grand Toronto jusqu’à Peterborough) et celles d’Ottawa et de l’Est (de Hawkesbury à Ottawa jusqu’à Trenton) ont connu de fortes hausses dans la dernière décennie. Celles du Nord de la province (de Parry Sound jusqu’à Red Lake) ont connu une légère baisse, en contraste par rapport à leurs confrères du reste de la province.
À Ottawa, le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE) et le Conseil des écoles publiques de l'Est de l'Ontario (CÉPEO) sont premiers et seconds en termes d’effectif, concentrant près de 40 % des étudiants francophones de l’Ontario.
Le CECCE a même entamé sa plus récente rentrée scolaire avec près de 28 000 élèves, sans compter les deux dernières années. Cette hausse de près de 4,5 % par rapport à 2023-2024 pourrait être un record en une année, souligne le surintendant de l'éducation Jason Dupuis.
« Il y a des années où nos prévisions ont été excellentes, mais cette année ça nous surprend, c’est certain que si on s’attendait à 1 400 (élèves) de plus, on aurait prévu pour ça », a affirmé ce dernier en entrevue au premier jour de la rentrée la semaine dernière au Collège Franco-Ouest.
Comment expliquer une telle hausse dans les dernières années dans un conseil qui aurait accumulé près de 8 000 élèves en 15 ans?
« Beaucoup d’immigration qui vient contribuer à l’effectif, lance le membre de la haute direction du CECCE. Aussi, on constate depuis quelques années qu’il y a davantage de familles allophones qui choisissent notre système alors qu’ils étaient historiquement plus dirigés vers les anglophones. »
La professeure de la faculté d’Éducation de l’Université d’Ottawa Nathalie Bélanger n’hésite pas à voir un lien entre la hausse de l’immigration dans la région d’Ottawa depuis une décennie et le catholicisme du conseil scolaire.
« Nous avions déjà remarqué un tel phénomène dans le Sud-Ouest ontarien, au Conseil scolaire catholique MonAvenir, il y a une vingtaine d’années. Des familles de confession musulmane optaient pour l’école catholique de langue française pour sa discipline jugée plus stricte et plus en phase avec leurs valeurs familiales. Ce phénomène apparaît-il maintenant dans l’Est ontarien? », se demande-t-elle.
Quelques kilomètres plus loin, c’était aussi la rentrée mardi dernier pour les élèves du CÉPEO, qui estime que 18 000 élèves seront dans ses 44 écoles, ce qui en fait le plus gros conseil public francophone en Ontario.
« Si on part des dix dernières années, c’est une grande et graduelle hausse de 40 % », note la présidente du CÉPEO, Samia Ouled Ali.
« Le fait qu’on a plus d’écoles nous a permis d’aller chercher des francophones qui n’ont pas été desservis dans le passé », souligne-t-elle.
Ces familles francophones se sont retrouvées avec des « incitatifs pour aller à l’école en français », partage la présidente, ce qui a contribué à l’ajout de près 5 500 élèves en 15 ans au CÉPEO. Des secteurs de l’ouest d’Ottawa, comme à Nepean et Barrhaven, plus loin de traditionnels quartiers francophones comme Vanier, Orléans et Gloucester, comptent désormais plus d'établissements.
« Je peux témoigner de mon expérience de maman de deux enfants scolarisé en français et vivant dans l’ouest, ainsi que de plusieurs familles francophones qui ont lâché l’école francophone, que ce soit au secondaire ou au primaire, car c’était très loin. »
Le Conseil scolaire de district catholique de l'Est ontarien (CSDCEO) est le troisième conseil dans la région d’Ottawa. Il oscille chaque an depuis 15 ans avec un effectif de 10 000 à 11 000 élèves, ce qui en fait le 5e plus gros des 12 conseils scolaires francophones de l’Ontario. Le démographe Jacob Legault-Leclair se dit peu surpris de la popularité des écoles francophones depuis dix ans dans la région.
« C’est logique parce que l’immigration se concentre en ville, il y a une proximité plus grande avec le Québec et il y a un avantage à apprendre le français à Ottawa, avec le gouvernement fédéral, plutôt qu’ailleurs dans la province », commente-t-il.
Le Grand Toronto en plein essor
Même si la région d’Ottawa s’accapare une bonne partie des élèves francophones, la région du Grand Toronto et ses alentours comme Windsor et London ont connu une forte progression. La hausse en pourcentage des élèves francophones dans le sud de la province est quasiment égale à celle d’Ottawa (22,58 % contre 23,3 %).
C’est d'ailleurs de tels chiffres qui ont motivé à l’époque l’Université de l’Ontario français à choisir Toronto comme domicile, arguant que le nombre de francophones dépasserait Ottawa à long terme.
Le Conseil scolaire Viamonde (couvrant les régions de Toronto, London et Windsor), qui comptait un peu moins de 9 000 étudiants au début des années 2010, se retrouve avec un peu plus de 13 000 élèves près de 15 ans plus tard. Avec une hausse de près de 47 %, c'est le conseil francophone qui a le plus progressé.
« C’était quand même une hausse graduelle. Ça s'est fait petit à petit, au fur et à mesure qu’on a pu ouvrir des écoles, de nouvelles familles sont venues », témoigne sa présidente Geneviève Oger.
Elle qualifie cette forte progression de multifactorielle. L’immigration francophone, la construction de nouvelles écoles, mais aussi de bons résultats scolaires engendrés par les élèves qui ont permis cette croissance. Viamonde a eu le meilleur taux de réussite (78,3 %) de tous les conseils scolaires de l’Ontario en 2022 aux tests de l'Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE).
« Quand les gens arrivent de l’étranger et qu’ils voient les résultats, ça les met en confiance », relève Mme Oger.
Nord de l’Ontario
La situation est tout autre dans le Nord où le nombre d’élèves n’a cessé de chuter au cours des années bien que ça soit inférieur à 2 000 élèves. C’est pourtant dans le Nord que l’on retrouve le plus de conseils scolaires (6 sur12), ce qui s’explique par les distances dans cette région. Ce sont les écoles situées à Timmins, le long de la Route 11 et dans le Grand Sudbury qui ont vu une baisse en termes d’effectifs.
« La migration interne du Nord vers le Sud est forte, ce n’est pas un nouveau phénomène. J’ai l’impression qu’elle continue alors que les villes francophones du Nord de l’Ontario ont une population vieillissante et évidemment, plus ils sont vieillissants, moins ils font d’enfants alors ça se répercute à mon avis dans les inscriptions des conseils scolaires », observe Jacob Legault-Leclair.
« Il y a un noyau de francophones qui se maintient parce qu’il y a un réseau et des institutions en place, mais on voit qu’il y a possiblement davantage d’opportunités dans la grande région de la capitale nationale et aussi Toronto », ajoute-t-il.