
Découvrabilité des contenus : les pays francophones en quête de solutions

En tant que pays hôte de la cinquième Conférence des ministres de la Culture de la Francophonie jusqu’à la fin de la semaine, le Canada martèle sa position de défenseur de la visibilité des contenus francophones en ligne. Les quotas de visibilité imposés par le Québec mercredi aux grandes plateformes de diffusion alimentent une guerre numérique dans laquelle souveraineté numérique et culturelle des États se mélange et où un cessez-le-feu tente de naître d’un ensemble de solutions.
Le seul instrument juridique international voué à protéger la diversité linguistique des contenus culturels – que le Canada a ratifié le premier – célèbre ses 20 ans. Toutefois, le vingtième anniversaire de la Convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles semble aujourd’hui nécessiter une remise à niveau à l’ère de l’intelligence artificielle (IA), notamment celle de l’IA générative.
« Ces géants du numérique sont complètement rangés derrière l’administration Trump et ce dernier leur laisse carte blanche et essai de leur enlever toutes les entraves réglementaires afin de leur permettre d’être encore plus dominants. Ça a véritablement de quoi nous préoccuper », s’inquiète Destiny Tchéhouali, titulaire de la Chaire de recherche du Québec sur l’Intelligence artificielle et le numérique francophones.

Dans la mesure où les innovations ne prennent pas en compte les identités culturelles propres aux contenus, l’idée d’une menace impérialiste numérique grandit dans la conscience des chercheurs et de la société civile, qui s’érige pour trouver des solutions.
Unir la force francophone
C’est la cinquième fois que les ministres de la Culture des pays francophones se rassemblent pour démêler les enjeux liés à la souveraineté culturelle.
« On doit se mobiliser, se mettre ensemble, tout le monde ensemble, francophones, anglophones, syndicats, entrepreneurs, sociétés de gestion, dans les communautés en situation minoritaire aussi. Tout le milieu culturel doit se rassembler au Canada et dans chaque pays, pour demander la mise sur pied d’un instrument international qui protégerait la culture », affirme la directrice générale de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC), Marie-Julie Desrochers.
Une déclaration finale à l’issue de la rencontre des ministres est prévue en fin de semaine, et les chercheurs espèrent aboutir à un agenda francophone commun.

Dans un échange de courriel avec ONFR, le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault soutient qu’« avec le projet de loi C-11, nous avons modernisé la Loi sur la radiodiffusion afin que les plateformes contribuent à la création, à la promotion et à la diffusion de notre culture. »
Néanmoins, Destiny Tchéhouali observe une tendance globale à la dérégulation, dans le sens où la réticence des pays n’échappe pas aux enjeux qui s’imposent : « Les États sont de plus en plus frileux à prendre des décisions qui iraient par exemple dans le sens de contraindre les acteurs du numérique », suggère le chercheur.
Réguler les plateformes
L’ex-conseiller principal pour le CRTC, Denis Bouchard, assure que l’institution s’attèle à échanger avec les acteurs culturels mais tend à collecter des informations à une échelle macro-économique qui ne permettent pas de réellement discuter de solutions. « Le CRTC travaille là-dessus depuis déjà quatre ans, et ils n’ont pas démontré de résultats très clairs jusqu’à maintenant. »
En effet, le paysage juridique œuvre toujours sur les stratégies en matière de régulation afin de mettre en avant les contenus francophones canadiens. Par exemple, avec la loi C-11 les consultations sur la définition du contenu canadien actuellement au CRTC sont encore en cours.
Marie-Julie Desrochers ajoute que l’une des clés à la portée du secteur culture serait de s’assurer que la culture soit toujours exclusive dans les accords de commerces afin de montrer que la culture est à part et que soit conservé le droit d’adopter des mesures pour protéger les industries culturelles. « On peut penser à des quotas, par exemple, dans l’Université des quotas de musique francophone à la radio, des mesures pour favoriser la présentation d’émissions en français à la télévision, ou on peut penser à des subventions », lance-t-elle.
Améliorer la littéracie numérique des créateurs de contenus
À Ottawa, l’Association canadienne des organismes artistiques (CAPACOA) abrite Artsdata, une banque de données ouverte liée sur les arts et la culture au Canada dont Frédéric Julien dirige dans l’objectif d’améliorer la découvrabilité des artistes franco-ontariens. « Avant quand on recherchait des spectacles près de nous dans le périmètre de recherche, les résultats étaient lamentables », explique le directeur.
Selon lui, l’acquisition de compétences de littératie numérique auprès des artistes francophones est une étape décisive pour les nouveaux du secteur culturel.
Dans le Nord, le dramaturge Alex Tétreault, un ancien agent de développement numérique et de découvrabilité territoriale à la Place des Arts du Grand Sudbury, a été sensibilisé très tôt aux enjeux des acteurs culturels en milieu minoritaire. « On doit en faire davantage pour que notre culture rayonne un peu plus loin que chez nous », assure le dramaturge.

Afin de faire valoir leur rayonnement, ces artistes peuvent compter en particulier sur les alliances et regroupements d’artistes à travers la province. « C’est pour ça qu’on a des organismes, des associations plus provinciales et pas nationales comme par exemple Théâtre Action, l’Association des théâtres francophones du Canada, l’APCM, Réseau Ontario. »
La littératie numérique et l’accompagnement des artistes deviennent ainsi centraux à l’ère de toutes ces transformations technologiques numériques. « C’est aussi toute la question de la prise en compte des enjeux de juste rémunération, d’équité au niveau justement des créateurs de contenu dont aujourd’hui les pratiques sont totalement bouleversées par évidemment le développement accéléré de l’intelligence artificielle. »
Les ministres de la Culture en ligne de front
À Québec, les ministres vont tenter de trouver des solutions à l’uniformisation culturelle et linguistique au cœur des algorithmes de recommandation. À cet égard, la question se pose également de faire en sorte que ces systèmes d’IA et ces algorithmes puissent davantage servir les objectifs de expressions culturelle et linguistique.
« Quand on parle de l’avenir, on ne peut pas s’empêcher justement de penser à notre patrimoine culturel, nos savoirs et sur la manière dont ils sont créés, transmis, partagés et diffusés. Si on ne fait rien, en termes de lois, de mesure ou de stratégies c’est le rouleau compresseur des géants de la Silicon Valley, qui nous fera perdre notre souveraineté tant numérique que culturelle », conclut Destiny Tchéhouali.