
Fauquier-Strickland en crise : le canton va suspendre ses activités et licencier tout son personnel

FAUQUIER-STRICKLAND – Confrontée à une impasse financière, la petite municipalité de Fauquier-Strickland du Nord de l’Ontario, majoritairement francophone, suspendra l’ensemble de ses opérations municipales et mettra à pied tous ses employés d’ici le 1er août. Une mesure radicale, mais jugée nécessaire par les élus pour éviter un effondrement complet de l’administration locale.
« On est la première petite municipalité à être dans cette situation-là », reconnaît Madeleine Tremblay, mairesse de Fauquier-Strickland. Depuis une dizaine d’années, le canton a accumulé un déficit budgétaire de 2,5 millions de dollars, épuisant ses fonds de réserve.
« Depuis 2011, on repousse l’inévitable », résume-t-elle ajoutant que le conseil municipal avait volontairement évité de hausser les taxes pendant des années pour ne pas pénaliser les citoyens à revenu fixe. Résultat : l’écart entre les dépenses et les recettes s’est creusé.
En 2024, le conseil municipal a choisi de limiter l’augmentation des taxes foncières à 26 %, plutôt que d’imposer une hausse de 300 % qui aurait été politiquement et socialement insoutenable. Ce compromis a été rendu possible grâce à des compressions budgétaires additionnelles et à un prêt bancaire de 2 millions de dollars.
Mais malgré ces efforts, les finances de Fauquier-Strickland demeurent précaires dans cette petite ville d’à peine 467 habitants, qui craint de ne plus pouvoir garantir les services de base à court terme, particulièrement à l’approche de l’hiver.

La municipalité a formulé sa demande officielle d’intervention provinciale début juillet 2025, suite à un vote du conseil le 30 juin, et à l’envoi d’une lettre formelle au ministre Rob Flack le 2 juillet 2025, dans laquelle elle invoque la Loi sur les affaires municipales pour demander une surveillance ministérielle et un soutien d’urgence.
La mairesse Madeleine Tremblay essaie pourtant d’obtenir de l’aide depuis 2021 comme on peut le lire dans sa lettre : « Malgré une communication claire et répétée sur la détérioration de la situation de notre communauté au cours de cette période prolongée, aucune aide concrète n’a été apportée, hormis des propositions de formation financière pour le conseil ».
C’est aussi durant la même rencontre que le conseil municipal a décidé de suspendre toutes les activités de la municipalité et de procéder à la mise à pied des cinq employés municipaux d’ici le 1er août, lesquels ne perçoivent plus de salaire depuis deux mois.
La collecte des déchets et l’entretien des routes, entre autres services essentiels, pourraient devoir être confiés à des contractuels si aucune aide n’est accordée.
Réponse floue du gouvernement
Interrogé sur la situation, le ministère des Affaires municipales et du Logement n’a offert qu’une réponse évasive. Une porte-parole a indiqué à ONFR, par courriel, que la ministre de l’Infrastructure, Kinga Surma, a rencontré récemment plusieurs municipalités du Nord-Est, incluant Fauquier-Strickland, afin de discuter des priorités locales.
Le gouvernement affirme également « explorer les meilleures façons d’appuyer le canton », notamment en s’appuyant sur un investissement de 315 000 $ versé au cours des trois dernières années par l’entremise du Fonds ontarien pour l’infrastructure communautaire.
Plus tard mercredi après-midi, une porte-parole du ministère des Affaires municipales et du Logement a fait parvenir une déclaration révisée, indiquant que « le ministère est activement engagé auprès du canton de Fauquier-Strickland concernant les défis locaux ».
Pourtant mercredi en fin d’après-midi la mairesse soutient qu’elle n’a pas reçu de communication depuis l’envoi de la lettre : « Je n’ai rien reçu, je sauterais si j’avais une nouvelle du ministre. Ils attendent qu’on collapse, puis qu’eux autres vont venir à notre intervention et je n’ai pas peur de le dire. »
En toile de fond, un rapport provincial portant sur les pratiques financières du canton, mené entre 2022 et 2023, avait été remis au conseil municipal en février dernier. Aucune recommandation majeure n’avait alors été rendue publique.
La municipalité affirme avoir suivi les recommandations du rapport transmis en février 2024, bien que certaines mesures soient toujours en cours de mise en œuvre. « Ils demandent ce qu’ils peuvent faire pour les gens du Nord, mais quand on répond qu’on ne veut pas un chèque direct mais une vraie solution, il n’y a pas de suite. »
D’autres villes menacées
Pour la mairesse de Fauquier-Strickland, la situation actuelle est le fruit d’une accumulation de difficultés structurelles, budgétaires et démographiques. Selon elle, les municipalités rurales comme la sienne sont prises dans une spirale descendante : peu de revenus autonomes, des coûts en hausse constante, une population vieillissante et des infrastructures à entretenir.
Par exemple, les dépenses imprévues liées à la remise aux normes du système de filtration d’eau, à la moisissure dans le centre communautaire et à la construction d’un centre de santé, nécessaire pour ne pas perdre les services de santé dans la localité, ont aggravé la situation. « Ce sont des choix qu’on a faits pour préserver ce qui nous restait comme services de base », défend-elle.
Des coupes ont été faites partout, dit-elle : salaires réduits, terrains mis en vente, entretien limité. Mais ces efforts n’ont pas permis d’éviter la crise actuelle. « On n’a plus rien à couper », soutient la mairesse.
Selon la mairesse, d’autres petites municipalités du Nord pourraient connaître un sort similaire si rien ne change. Elle dit s’inquiéter pour l’ensemble des localités situées le long de la route 11 : « Si on continue dans cette situation-là sans plus d’aide, il y a plein d’autres municipalités comme nous qui vont suivre . »
À ce jour, aucune municipalité ontarienne, et encore moins du Nord, n’a officiellement fait faillite mais si Fauquier‑Strickland s’enfonce dans l’insolvabilité, le canton serait le premier cas moderne dans la province.