Culture

Cinéfranco 2025 : les multiples « facettes de l’humanité » à l’écran

Marcelle Lean en compagnie de l'équipe des bénévoles de Cinéfranco lors du dévoilement de la programmation du festival. Photo : Abigail Alves Murta

TORONTO – Jeudi soir, la communauté francophone de Toronto s’est donnée rendez-vous au cinéma Carlton pour célébrer le dévoilement du programme de la 28ᵉ édition de Cinéfranco (du 7 au 16 novembre), l’un des plus anciens festivals de cinéma francophone en Amérique du Nord. Au-delà de la présentation des films, cette soirée marquait aussi la diffusion gratuite du long métrage À bicyclette!, touchant hommage à la résilience humaine, parfait prélude au thème de cette année : « Les facettes de l’humanité ».

Pour la fondatrice et directrice artistique du festival, Marcelle Lean, cette thématique s’est imposée naturellement après près de trois décennies à célébrer la diversité du cinéma francophone.

« Il y a plusieurs branches à ce thème, explique-t-elle. On retrouve des cinéastes de la vie, comme Costa-Gavras, Robert Guédiguian, les frères Dardenne ou Cédric Klapisch, qui parlent du droit à mourir dignement, du vieillissement, de l’amour et de la résilience. »

Cinéfranco 2025 se veut donc une exploration du quotidien humain, de ses forces et de ses fragilités. Chaque film, choisi avec soin par le comité artistique, illustre à sa manière la dignité, le courage et la capacité de survie qui relient les êtres humains au-delà des frontières.

La résilience au cœur des récits

Parmi les œuvres marquantes de cette édition, Marcelle Lean cite Le Dernier souffle de Costa-Gavras, une méditation poétique sur la fin de vie.

« Ce qui est remarquable dans le film, c’est la philosophie, la poésie et le calme de ces personnages qui vont dire adieu à leur vie », confie-t-elle avec émotion.

Les frères Dardenne, avec leur film Jeune mère, offrent quant à eux un regard tout en délicatesse sur les dilemmes d’une jeune femme partagée entre l’adoption et la maternité, entre amour et indépendance.
La programmation s’attarde aussi sur le courage de survivre, comme dans Et maintenant de Jocelyn Forgues, inspiré du combat du réalisateur contre le cancer.

« C’est un film poignant, captivant, mais voilà une autre facette de l’humanité : trouver la force de vivre et de survivre », souligne Marcelle Lean.

Familles, héritages et liens du sang

Le thème de la famille traverse plusieurs films présentés cette année. Cédric Klapisch, avec La venue de l’avenir, aborde la question de l’héritage et de la transmission à travers une famille rassemblée autour d’une maison convoitée par les promoteurs.

Dans Jouer avec le feu, Vincent Lindon campe un père veuf dont l’un des fils se laisse séduire par l’extrême droite, une exploration fine des fractures idéologiques au sein du foyer. Et avec Partir un jour, le public découvrira une comédie musicale tendre et mélancolique sur la relation entre une fille et ses parents, encore une variation sur ces filiations complexes qui façonnent l’humain.

Cinéfranco n’oublie pas non plus les plus jeunes, avec la projection du film Dans la peau de Cyrano, présenté en partenariat avec Canadian Parents for French et Parents pour l’éducation, autour de la question de la différence et de la confiance en soi.

Histoire, mémoire et regard sur le monde

Cette 28ᵉ édition fait dialoguer le présent et le passé à travers des films puissants sur la mémoire, le colonialisme et la dignité humaine.

On retrouve notamment Fanon de Jean-Claude Barny, consacré au psychiatre martiniquais Frantz Fanon et à sa lutte contre le colonialisme en Algérie; Ni chaîne ni maître, qui revient sur l’esclavage dans l’île Maurice du XVIIIᵉ siècle; et La vie devant moi, réalisé par Niels Tavernier, une œuvre intime et inspirée librement du destin d’Anne Frank.

« Ce qui est extraordinaire dans Ni chaîne ni maître, explique Marcelle Lean, c’est le parallèle entre la spiritualité des esclaves et la façon dont les colons justifient leur violence au nom de Dieu. C’est d’un paroxysme extraordinaire. »

Dans La vie devant moi, Tavernier s’intéresse à la survie d’une famille juive réfugiée dans le débarras d’un immeuble parisien en 1943. Trois personnages, un père, une mère et leur fille adolescente tentent d’y préserver une forme de normalité malgré la peur constante d’être découverts. La caméra choisit la retenue et la pudeur : « la guerre se devine à travers les bruits de bottes, les cris étouffés, les silences prolongés. »

« Ce qui intéresse Niels Tavernier, c’est ce qui se passe hors champ, précise Marcelle Lean. Cette tension diffuse, cette humanité qui persiste dans les gestes les plus simples, même quand tout semble perdu. »

Entre mémoire collective et introspection, ces films rappellent que l’humanité peut se révéler dans les moments les plus sombres, et que le cinéma demeure un outil essentiel pour raconter, comprendre et guérir.

Une programmation inclusive et vibrante

Cinéfranco 2025 met aussi à l’honneur le cinéma québécois et franco-canadien, avec la présence de Martin Villeneuve (Imelda IX, Gabrielle), de Léa Poul (On sera heureux) et du documentaire Joanne tout simplement de Nadine Valsin, portrait d’une pionnière noire du Canada.

« Ce film parle de courage, de résilience, de traumatisme et de liberté, des valeurs au cœur de Cinéfranco », rappelle Marcelle Lean.

À travers cette mosaïque d’œuvres venues du monde entier, le festival confirme son objectif : « faire du cinéma un miroir de l’humanité, où rires, larmes et réflexions se répondent dans une même émotion collective. »

À bicyclette! : la route de la mémoire et de la vie

Pour le dévoilement du programme, Cinéfranco avait choisi de présenter À bicyclette!, film lauréat du Prix du Public aux Rencontres Cinématographiques de Cannes. L’œuvre raconte le périple d’un père qui refait à vélo le trajet de son fils disparu, de La Rochelle à Istanbul.

« C’est un film touchant, très humain, qui nous ramène à l’essentiel : le deuil, la mémoire, l’amour et la force de continuer », résume Marcelle Lean.

Mais au-delà du film lui-même, le choix de cette projection gratuite s’inscrivait dans une volonté d’échange et de reconnaissance envers le public invité à devenir ambassadeur du festival.

« Dans le passé, j’avais tout essayé pour attirer l’attention sur le dévoilement de la programmation, mais rien n’avait réussi. Cette année, j’ai eu cette idée que je voulais surtout passer du temps avec les fidèles spectateurs et spectatrices qui apprécient tant Cinéfranco et leur demander de m’aider à faire du bouche à oreille pour le programme de films de novembre. Comme cadeau pour leur présence, leur encouragement, leurs conseils à travers les ans, je voulais leur offrir ce film À Bicyclette! », explique-t-elle.

Ce film, jamais diffusé ailleurs qu’au Québec, est ainsi devenu un cadeau exclusif offert à ceux qui font vivre Cinéfranco année après année : son public passionné. Un geste symbolique qui résume parfaitement l’esprit du festival : faire du cinéma non seulement un art à contempler, mais une expérience à partager.