À Ottawa, un an avant la fin du Plan directeur sur les changements climatique, « la crise ne nous attend pas »
[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
William Van Geest est coordinateur de programme chez Écologie Ottawa. Il s’intéresse à l’engagement et à la mobilisation des gens pour promouvoir la biodiversité, la durabilité et la communauté, ainsi qu’aux questions liées au transport et à l’intégration de la nature sauvage dans les zones urbaines.
LE CONTEXTE :
Au début du mois, la Ville a publié une vérification du Plan directeur sur les changements climatiques, à l’approche de l’échéance de 2025, dans lequel elle assume être encore loin de son objectif initial. Il s’agit d’un cadre global de la Ville visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et à s’adapter aux effets des changements climatiques.
L’ENJEU :
Ce plan ambitionne de prendre des mesures pour transformer Ottawa en une ville propre, écologique et résiliente d’ici à 2050. Et d’ici à 2025, le Conseil municipal a fixé comme objectifs une réduction des GES de 43 % d’ici pour les émissions de la collectivité et de 30 % pour les émissions des activités municipales.
« Il ne reste plus qu’un an pour attendre les cibles ambitieuses de 2025. Allons-nous réussir ce pari d’après vous?
Le plan lui-même dit très ouvertement que c’est ambitieux. En même temps, on est confronté à cette crise climatique qui demande une approche ambitieuse. Là, je fais confiance à la Ville, aux gens qui ont créé ce plan pour dire : « oui, on devrait faire ça ». Est-ce qu’on va atteindre ce but? Je crois que le rapport nous dit que malheureusement non. C’est décevant. Maintenant, est-ce qu’on va atteindre les prochaines cibles? C’est une autre question.
Je crois que ce rapport est super important et offre un regard très sobre sur la situation. Par exemple, il admet ce qui n’est pas encore réalisé et qu’il faut faire ce bilan plus fréquemment. On n’a pas encore les inventaires promis de ce plan et on en est presque rendu à la fin. On est conscient que ça prend du temps pour avoir une infrastructure qui soit prête, et la routine nécessaire pour réaliser ces plans. Mais en même temps, la crise ne nous attend pas.
La municipalité indique que certains projets sont « hors voie » mais, sur la question financière, elle a déclaré qu’elle a investi plus de 52 millions de dollars en 2023 et qu’elle devrait investir 278 millions de dollars en 2024 dans différentes initiatives d’infrastructures. A-t-on raison de voir cette augmentation de bon augure?
Comme je le disais plus tôt, il faut du temps pour développer une dynamique dans la ville. Cela dépend également de la répartition de ces investissements. Par exemple, je sais qu’il y a eu des investissements dans les bus électriques, ce qui est un investissement ponctuel. Ce ne sont pas des investissements à long terme, et c’est ce dont nous avons besoin. Pour cela, il faut examiner les montants alloués et leur répartition. En 2023, dans le budget de la Ville d’Ottawa, le Conseil municipal a approuvé la somme de 5 millions de dollars pour le financement annuel du Fonds des infrastructures du Plan directeur sur les changements climatiques, mais c’est un montant qui n’a pas changé.
Il faut être reconnaissant de cette somme, mais répond-elle vraiment aux besoins? Non, clairement. Cependant, il faut saluer le travail du personnel de la ville : avec ces 5 millions, ils ont réalisé 26 de leurs priorités, ce qui est incroyable. Cela démontre leur engagement à accomplir ces objectifs. C’est un début, mais pour bien réaliser le plan et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, l’investissement annuel nécessaire est estimé à 687 millions de dollars.
Chez Écologie Ottawa, au-delà de sensibiliser, vous êtes un partenaire de la municipalité. Avez-vous la sensation que le travail d’Ottawa porte ses fruits et êtes-vous rassuré?
Je suis un peu inquiet, même si nous communiquons beaucoup avec les gens de la Ville. L’équipe de la lutte contre les changements climatiques est excellente et très ouverte à discuter des initiatives et des plans. Cependant, au sein du reste de la Ville, c’est une autre histoire. Par exemple, l’année dernière, pendant les feux de forêt et la fumée à Ottawa, nous avons lancé une pétition pour répondre à cette situation urgente.
Elle contenait cinq demandes et a été signée par 1 200 personnes, en plus des gens qui ont envoyé un courriel. Nous avons envoyé une lettre au maire, mais n’avons reçu aucune réponse, malgré le fait que certaines des demandes avaient été promises par M. Sutcliffe lors de sa campagne électorale. À Ottawa, nous avons vécu des inondations, des tornades, mais que fait-on pour y répondre? Les 5 millions de dollars alloués ne sont pas du tout proportionnels à notre réalité.
Peut-on dire, à lecture de ce rapport, que la Ville d’Ottawa prend très au sérieux la question climatique?
Il y a des conseillers très conscients et prêts à collaborer avec nous, mais malheureusement, la majorité du conseil a d’autres priorités que le climat. Pourtant, cette situation nous affecte tous et nécessite notre attention collective. On ne devrait pas faire de choix entre logement et climat. On peut tout faire.
Il est évident que nous sommes en retard par rapport à d’autres municipalités comparables. Pour être clair, ce n’est pas seulement la faute de l’administration actuelle. Ce sont des années d’inaction qui ont mené à cette situation. Ce n’est pas uniquement la responsabilité de ce Conseil municipal, mais il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire. Montréal est bien plus avancée, tout comme Toronto. Même en regardant des exemples de zonage en Colombie-Britannique, il y a des initiatives très intéressantes. Il est aussi vrai que le gouvernement provincial ne nous aide pas, c’est indéniable. Mais Ottawa ne constitue vraiment pas un exemple.
Quelles sont les bonnes initiatives de la municipalité en termes de lutte contre les changements climatiques?
Il y a une initiative fédérale, le Fonds pour accélérer la construction de logements, qui va aider Ottawa. Il me semble qu’il y a dix priorités là-dedans qui sont super et touchent le logement et le climat. Par exemple, en supprimant les exigences minimales de stationnement pour les voitures, ça parle aussi de densification et des questions de transport en commun.
Il y a aussi les Normes pour l’aménagement d’immeubles très performants. Ce sont des standards qui s’appliquent aux bâtiments nouvellement construits, puisqu’il est bien connu que 45 % de nos émissions de gaz à effet de serre proviennent des bâtiments. Puis, il y a l’objectif de construire 151 000 logements d’ici à 2031. C’est une cible ambitieuse et nécessaire. Si ces standards sont approuvés et appliqués à tous ces nouveaux bâtiments, leur impact sera immense.
Malheureusement, l’approbation est bloquée, le Conseil a voté pour reporter l’application des Normes pour l’aménagement d’immeubles très performants, avec une grande minorité qui a voté contre, c’était une motion présentée par conseiller Hill. La raison donnée était qu’un projet de la province risquait de modifier ces normes, mais finalement rien n’a changé, même après le code de construction annoncé par le gouvernement provincial. Donc, on subit des délais pour aucune raison. C’est inutile de limiter l’approche de la Ville en matière d’action climatique même si les activités de la Ville ne représentent que 4 % des émissions de gaz à effet de serre de notre ville. Ottawa a une influence considérable sur les émissions de la collectivité.
Le changement climatique est probablement le plus grand défi auquel l’humanité ait jamais été confrontée, aucune action climatique significative n’est inutile. »