Abel Maxwell, un musicien qui n’abandonne jamais
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
TORONTO – Le chanteur aux quatre albums n’a pas quitté son piano durant les premiers mois de la pandémie, se produisant chaque semaine sur les réseaux sociaux, avant de préparer son retour « afrobeat » avec un nouveau titre, Ça va bien aller, enregistré au Togo. L’animateur de la prochaine Semaine de la francophonie de Toronto, en mars, revient sur ses influences, sa passion viscérale pour le jazz et son envie de faire passer, coûte que coûte, des messages d’unité dans un monde qui divise.
« Du jazz à l’afrobeat, en passant par la pop et le zouk… votre style de musique a considérablement évolué au fil de vos albums. Pour quelle raison?
J’ai étudié la musique classique et le jazz, mais ce sont des musiques très intellectuelles que tout le monde ne comprend pas. Pour que mon message puisse passer dans les communautés, j’ai réalisé qu’il fallait une musique plus claire, populaire, qui ressemble aux jeunes. Quand tu as fait du jazz, tu as la capacité de jouer tous les styles car c’est une musique tellement complexe que les autres te paraissent plus simples.
Quelle est la teneur de ces messages?
Dans mes textes, je parle de tolérance, de paix, de respect de la dignité humaine. C’est une musique simple pour rejoindre la masse, mais avec des messages universels qui inspirent. J’ai par exemple écrit une chanson pour sensibiliser la violence faite aux femmes et les aider à briser leur silence. Elle a retenu l’attention de plusieurs associations de défense des droits des femmes et de l’UNESCO qui m’a remis un prix pour mon implication communautaire.
Un musicien qui fait carrière dans la finance, c’est plutôt atypique. Comment expliquer vos deux parcours académiques a priori aux antipodes?
Mes parents voulaient que je sois médecin comme eux, mais je ne pouvais pas faire ça. Quand quelqu’un pleure à côté de moi, je vais avoir tendance à pleurer avec lui, plutôt que de l’aider. J’ai fait des études « sérieuses », en administration des affaires, en France, pour les rassurer mais, au fond de moi, la musique a toujours été plus forte que tout. Je suis primé des conservatoires nationaux de Lyon et Amsterdam.
Vous avez quitté la France au moment du succès de votre premier album et même avez même fait la première partie du chanteur Patrick Fiori. Pourquoi avoir choisi le Canada et comment se sont passés vos premiers pas de ce côté-ci de l’Atlantique?
Je voulais découvrir l’Amérique du Nord. L’aspect multiculturel du Canada m’attirait plus que les États-Unis. Quand je suis arrivé en 2005, j’ai commencé en bas de l’échelle dans une firme basée à Toronto, dans la finance, jusqu’à devenir responsable d’employés d’Ottawa, Montréal et Québec. Je voyageais entre ces trois villes pendant quatre ans. Je travaillais toute la journée et, le soir, je sortais énormément pour repérer des salles de concert, nouer des contacts avec des musiciens.
À quel moment la musique vous a-t-elle rattrapé?
Un soir, après un concert au Upstairs, un club de jazz montréalais réputé, j’ai demandé comment se produire sur cette scène. On me disait que c’était impossible et que certains attendaient trois ans avant d’avoir une date. Alors, après ça, j’ai appelé tous les jours pendant deux semaines pour tenter de joindre le gérant. J’ai fini par tomber sur lui et j’ai insisté pour le rencontrer. Il a finalement accepté. Le jour J, j’ai laissé ma veste sur ma chaise de bureau et je suis parti à ce rendez-vous. Il m’a fait jouer du piano et m’a arrêté au bout de deux minutes, en me demandant si j’étais libre le 28 février. C’est comme ça que j’ai eu mon premier concert à Montréal en 2010.
Vous vous êtes obstiné et ça a fonctionné. C’est un conseil que vous donnez souvent autour de vous… Comment vos talents de motivateur vous ont amené à coécrire un livre?
J’ai toujours été fasciné par comment est-ce que les gens réussissent par l’excellence, et je rêvais d’écrire un livre sur le sujet. J’ai eu la chance d’en coécrire un avec l’auteur à succès Brian Tracy : Transform your life, devenu un best-seller. J’aime l’idée de s’accrocher à ses rêves, ne jamais abandonner. C’est d’ailleurs le titre d’une de mes chansons : Never give up.
Vos chansons étaient en anglais en France, et sont quasiment toutes en français en Ontario. N’est-ce pas un paradoxe linguistique?
C’est vrai. Toutes mes chansons étaient en anglais dans mon premier album produit en France, et j’étais d’ailleurs persuadé que je continuerais en anglais en arrivant ici. Mais quand j’ai fait mon deuxième album (Interlude), en Ontario et en français, ma nomination au gala Trille Or 2015, comme « meilleur interprète masculin » a été une surprise, un déclic. À partir de ce moment-là, je me suis dit que dans la francophonie, je pouvais faire quelque chose de bien. Entre être un petit poisson dans un océan et un gros poisson dans un bassin, j’ai choisi la deuxième option. Ça m’a ouvert des opportunités de scène à Toronto. Mon troisième album (Rupture) est né deux ans plus tard.
Votre quatrième album est sorti au tout début de la pandémie de COVID-19 avec son cortège d’annulations de spectacles. Est-ce que cela a été difficile à vivre et comment vous êtes-vous adapté?
L’album Contradictions est sorti le 20 février 2020 et je devais enchaîner sur une mini-tournée, mais tout a été avorté. J’étais désemparé, mais je me suis dit qu’il ne fallait pas que je reste les bras croisés. C’était difficile pour tout le monde, alors j’ai fait un direct de piano sur Facebook chaque semaine, de mars à septembre, pour soutenir les gens et les inviter à la méditation.
Dans quelles circonstances est né le titre « Ça va bien aller », qui sortira en mars?
En septembre dernier, je suis parti deux semaines au Togo, où j’ai été invité par la télévision nationale. Après ça, toutes les radios voulaient m’avoir sur leur plateau. Ce qui était au départ un séjour dans la famille s’est transformé en tournée médiatique. J’en ai profité pour y enregistrer Ça va bien aller avec l’artiste togolais King Mensah. C’est une chanson qui rappelle aux gens de toutes les communautés de prendre soin d’eux et de rester positif durant la pandémie. Je la dévoilerai peu avant la Semaine de la francophonie de Toronto qui débute le 20 mars prochain.
N’était-ce pas risqué de partir en tournée au regard de la situation sanitaire mondiale?
Les déplacements n’étaient pas aussi rigides au début de la pandémie. J’ai fait le test au départ à Toronto et à l’arrivée à Lomé, puis je me suis isolé de retour en Ontario. Je voulais voir comment les gens vivaient la pandémie dans ce pays bien moins frappé que l’Amérique du Nord. Cette expérience humaine m’a vraiment nourri.
Que représente le Mois de l’histoire des Noirs à vos yeux?
C’est une bonne chose mais, si tout était normal, on ne devrait pas avoir un Mois de l’histoire des Noirs. On devrait dépasser la couleur et célébrer l’humanité en chacun d’entre nous.
Comment voyez-vous l’avenir avec ce confinement qui perdure et prive de scène les artistes?
J’essaye de voir le bon côté des choses. Je n’ai jamais été aussi présent depuis un an. Grâce aux réseaux sociaux, j’arrive à rejoindre beaucoup plus de personnes. Quand la pandémie sera terminée, toutes les personnes qui me suivent virtuellement viendront naturellement, dans la mesure du possible, me voir en concert. Mais je pense que les deux prochaines années seront virtuelles avec des retours progressifs. Il faut se donner le temps et faire du mieux qu’on peut avec ce qu’on a. »
LES DATES-CLÉS D’ABEL MAXWELL :
1977 : Naissance à Dakar (Sénégal)
2007 : Arrivée au Canada
2008 : Sortie de son premier album, Abel Maxwell
2015 : Deuxième album, Interlude
2017 : Reçoit le Prix UNESCO / IHFW Accomplissement communautaire
2020 : Sortie du quatrième album, Contradictions
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.